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merveilles du monde; tristes et vastes témoins de l'orgueil insensé de ces monarques qui ont fait périr tant de milliers d'hommes pour se bâtir des tombeaux.

Tous ces édifices étaient couverts de dessins et de figures qu'on appelle hieroglyphes. Ils étaient destinés à conserver le souvenir des événements les plus remarquables; mais, jusqu'à présent, les savants n'ont pu parvenir à retrouver la clef complète de cette écriture symbolique, qui aurait répandu parmi nous de grandes lumières sur ces temps reculés.

Non loin de Memphis, il existait une merveille plus surprenante encore que les pyramides; c'était un immense édifice composé de la réunion de douze palais qui contenaient quinze cents chambres au-dessus du sol et quinze cents au-dessous. La difficulté de se retrouver dans le nombre infini de terrasses et de galeries qui servaient de communication à tous ces appartements, avait fait donner à cet édifice le nom de labyrinthe. Il servait à la fois de sépulture aux rois et d'habitation aux crocodiles sacrés.

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Un monument plus utile était le lac Moris, creusé en partie par la main des hommes, et qui, si les anciens récits étaient parvenus jusqu'à nous sans erreur, aurait eu cent quatrevingts lieues de tour et trois cents pieds de profondeur. Au reste, le but de cet ouvrage, incontestablement grand et admirable, était de corriger, autant qu'on le pouvait, les irrégularités du Nil qui seul rendait l'Égypte féconde ou stérile, par l'abondance ou la rareté de ses eaux. Le lac en déchargeait la terre lorsqu'elle était trop inondée, ou s'ouvrait pour les verser quand le fleuve en refusait.

Deux pyramides, portant chacune une statue colossale, s'élevaient au milieu du lac; elles étaient creuses, hautes de trois cents pieds, et servaient ainsi d'ornement et de supplément à cet immense réservoir.

Le temps a fait un acte de justice : il a laissé tomber dans l'oubli les noms des princes qui n'ont travaillé qu'à leur tombeau; mais il nous a conservé celui du roi Moris, dont les

étonnants travaux n'avaient pour but que la prospérité de son empire et le bonheur de ses peuples.

La plus grande merveille de l'Égypte n'est pas l'ouvrage des hommes; la nature seule l'a créée : c'est le Nil. Il ne pleut presque jamais dans ce pays; mais son fleuve lui apporte annuellement, par des débordements réglés, le tribut des pluies qui tombent dans les contrées voisines. L'Égypte était coupée de canaux qui distribuaient partout ses eaux bienfaisantes. Ainsi ce fleuve, répandant la fécondité, unissant les villes entre elles et la mer Méditerranée avec la mer Rouge, servait d'engrais à l'agriculture, de lien au commerce, de barrière au royaume, et était tout ensemble, comme le dit Rollin, le nourricier et le défenseur de l'Égypte. Le Nil a ses scurces en Abyssinie; il coule paisiblement dans les vastes solitudes de l'Éthiopie; mais, en entrant en Égypte, il se trouve resserré dans un lit étroit, rempli de rochers énormes qu'on appelle cataractes, et qui le rendent furieux. Il précipite rapidement son cours du haut de ces roches dans la plaine, avec un tel bruit qu'on l'entend de trois lieues. Ce qui cause ces débordements si nécessaires à la fertilité de l'Égypte, ce sont les pluies qui tombent régulièrement en Éthiopie, depuis le mois d'avril jusqu'à la fin d'août. L'inondation du Nil commence en Égypte à la fin de juin, et dure trois mois. Les plaines de ce beau royaume offrent ainsi deux aspects bien différents dans deux saisons de l'année. Tantôt c'est une vaste mer sur laquelle s'élèvent une grande quantité de villes et de villages; tantôt c'est une belle et féconde prairie, peuplée de troupeaux, couverte de palmiers et d'orangers, dont la verdure émaillée de fleurs charme les yeux.

La Basse-Égypte, qui a la figure d'un triangle, est une espèce d'ile formée par les deux branches du fleuve, qu'on appelait Pélusienne et Canopique. Les deux villes de Péluse et de Canope, dont elles avaient pris le nom, s'appellent à présent Damiette et Rosette; Saïs, Tanis, Alexandrie, Héliopole étaient les principales villes du Delta. Saïs contenait un temple

dédié à Isis, avec cette inscription qui convient également à la Vérité et à la Nature: « Je suis ce qui a été, ce qui est et «< ce qui sera, et personne n'a encore percé le voile qui me

« couvre. »

Hérodote aimait les fables en parlant du temple du soleil qu'on voyait à Héliopole, dans le Delta, il raconte que le phénix, oiseau merveilleux et unique dans son espèce, nait dans l'Arabie, et vit cinq ou six cents ans; sa grandeur est celle d'un aigle; ses ailes sont mêlées de blanc, de pourpre et d'or: lorsqu'il voit sa fin approcher, il forme un nid de bois aromatique, il y meurt; de ses os et de sa moelle il sort un ver qui se transforme et devient un nouveau phénix; celui-ci compose un œuf de myrrhe et d'encens; il le vide, il y dépose le corps de son père, emporte ce précieux fardeau, et vient le brûler sur l'autel du soleil dans la ville d'Héliopole.

Alexandrie, la principale des cités qui subsistent encore dans le Delta, fut bâtie par Alexandre-le-Grand, et égale en magnificence les anciennes villes de l'Égypte. Elle est à quatre journées du Caire. C'est là que se faisait le commerce de l'Orient, avant la découverte du Cap de Bonne-Espérance par les Portugais.

En écrivant l'histoire des autres peuples, nous ferons connaître leurs lois et leurs coutumes dans l'ordre des règnes et des époques qui les ont vus naître ou changer; mais nous n'aurions pu suivre cette méthode relativement aux Égyptiens. L'origine de leurs usages, de leurs cérémonies, de leur législation, se perd dans la nuit des temps: il serait impossible d'én découvrir la naissance et d'en suivre avec certitude les progrès. L'explication des hiéroglyphes pourrait seule nous faire retrouver les noms des fondateurs de cette école politique, sage et religieuse, si renommée parmi les anciens, que les plus grands hommes de la Grèce, Homère, Solon, Lycurgue, Py thagore et Platon allèrent exprès en Egypte pour y puiser les lumières qu'ils répandirent ensuite dans leur patrie. Moïse même est loué dans l'Écriture pour s'étre instruit dans toute la

sagesse des Égyptiens. Ces considérations nous portent à faire précéder le récit des événements par le tableau général des lois et des coutumes de l'Égypte.

La forme du gouvernement égyptien était monarchique; mais l'autorité du roi, loin d'être absolue, se trouvait limitée par une aristocratie d'autant plus puissante qu'elle semblait tirer ses droits du ciel, et le corps des prêtres était à la fois le dépositaire des lois et des sciences, l'interprète des dieux, le surveillant et le juge des monarques.

La vie publique et privée des rois était entourée de gênes dont ils ne pouvaient s'affranchir, et de règles qu'on ne leur permettait pas d'enfreindre. Pour les préserver de toute pensée basse et servile, on éloignait d'eux tout esclave; et, pour ne point compromettre les intérêts de la patrie, on leur défendait d'admettre aucun étranger à leur service. Dans la crainte des vices et des désordres qui suivent l'intempérance, on avait réglé soigneusement la nourriture et la boisson des rois; l'ordre de leurs occupations et l'emploi de leurs journées étaient de même décidés par la loi.

En se levant, ils lisaient leurs lettres; de là ils allaient au temple où le pontife, après la prière, prononçait un discours sur les vertus nécessaires aux monarques, sur les fautes qu'ils pouvaient commettre, et sur les dangers de la flatterie et des mauvais conseils.

On lisait ensuite devant eux les livres sacrés, qui contenaient les maximes et les actions des grands hommes, pour les engager à respecter leurs lois et à suivre leurs exemples.

Le monarque travaillait après avec ses ministres; il présidait le tribunal des trente juges, tirés des principales villes de l'empire, pour rendre la justice au peuple.

Le reste de la journée était consacré aux exercices militaires et à des conversations utiles. La piété, la frugalité, la simplicité entouraient le trône, et tout prouvait que les lois avaient été faites par des hommes qui étaient à la fois prêtres, législateurs et médecins.

La législation des anciens peuples était sans doute moins parfaite que celle des nations modernes, et cependant elle avait plus de force et de durée: on en trouvera la cause dans son origine. Les anciens législateurs d'Égypte et de Rome passaient pour avoir été inspirés par la divinité; on dispute contre les hommes et non contre les dieux. Les lois d'Osiris, d'Hermès, de Moïse, de Numa, ne devaient éprouver aucune contradiction on les respectait comme des oracles; elles devenaient des sentiments comme des habitudes, et se gravaient dans les âmes comme dans les esprits. La législation de ces peuples s'unissait d'une manière indissoluble à leur religion, et il leur était aussi difficile de changer de loi que de culte; c'est ce qui explique leur constance à suivre leurs règlements et leurs coutumes: elle était telle que Platon disait qu'on pouvait regarder une coutume nouvelle comme un prodige en Égypte, et que jamais aucun peuple n'a conservé plus longtemps ses usages et ses lois.

Pour rendre les juges indépendants et exclusivement occupés de leurs fonctions, on leur avait assigné des revenus, et ils rendaient gratuitement la justice au peuple.

On jugeait les affaires par écrit et sans avocats, parce qu'on craignait l'art de la fausse éloquence qui réveille les passions et trompe les esprits.

Le président du tribunal portait à son cou une chaîne d'où pendait l'effigie de la vérité, et il prononçait ses arrêts en présentant cette image à la partie qui gagnait sa cause.

On punissait de mort le meurtrier, le parjure et le calomniateur.

Le lâche qui ne défendait pas un homme attaqué, lorsqu'il avait la possibilité de le sauver, perdait aussi la vie.

On ne permettait à personne d'être inutile à l'état : chacun s'inscrivait dans un registre et déclarait sa profession; une fausse déclaration se punissait de mort.

La liberté individuelle était fort respectée dans ce pays: on n'y arrêtait pas même les débiteurs. Mais, pour garantir la fi

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