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Mes parents, mes meilleurs amis;
Soyez donc de la compagnie.

Simonide promit. Peut-être qu'il eut peur
De perdre, outre son dû, le gré de sa louange.
Il vient : l'on festine, l'on mange.

Chacun étant en belle humeur,

Un domestique accourt, l'avertit qu'à la porte
Deux hommes demandaient à le voir promptement
Il sort de table; et la cohorte

N'en perd pas un seul coup de dent.

Ces deux hommes étaient les gémeaux de l'éloge.
Tous deux lui rendent grâce; et, pour prix de ses vers、
Ils l'avertissent qu'il déloge,

Et que cette maison va tomber à l'envers.
La prédiction en fut vraie.

Un pilier manque; et le plafond,

Ne trouvant plus rien qui l'étaie, Tombe sur le festin, brise plats et flacons,

N'en fait pas moins aux échansons.

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Ce ne fut pas le pis: car, pour rendre complète
La vengeance due au poëte,

Une poutre cassa les jambes à l'athlète,
Et renvoya les conviés

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Pour la plupart estropiés. Cripple

La renommée eut soin de publier l'affaire :
Chacun cria, Miracle! On doubla le salaire
Que méritaient les vers d'un homme aimé des dieux.
Il n'était fils de bonne mère

Qui, les payant à qui mieux mieux,
Pour ses ancêtres n'en fit faire.

Je reviens à mon texte : et dis premièrement
Qu'on ne saurait manquer de louer largement
Les dieux et leurs pareils; de plus, que Melpomène
Souvent, sans déroger, trafique de sa peine;

Enfin, qu'on doit tenir notre art en quelque prix.

Les grands se font bonneur dès lors qu'ils nous font grâce:

Jadis l'Olympe et le Parnasse

Étaient frères et bons amis.

XV. La Mort et le Malheureux.

Un malheureux appelait tous les jours
La Mort à son secours.

O Mort! lui disait-il que tu me sembles belle!
Viens vite! viens finir ma fortune cruelle!
La Mort crut, en venant, l'obliger en effet.
Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre.
Que vois-je? cria-t-il: ôtez moi cet objet!
Qu'il est hideux! que sa rencontre

Me cause d'horreur et d'effroi !

N'approche pas, ô Mort! ô Mort, retire-toi!

Mécénas fut un galant homme;

Il a dit quelque part1 : Qu'on me rende impotent,
Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme

Je vive, c'est assez, je suis plus que content.
Ne viens jamais, ô Mort! on t'en dit tout autant.

cripple

wooden bowl quity, onehandect

Ce sujet a été traité d'une autre façon par Ésope, comme la fable suivante le fera voir. Je composai celle-ci pour une raison qui me contraignait de rendre la chose ainsi générale. Mais quelqu'un me fit connaître que j'eusse beaucoup mieux fait de suivre mon original, et que je laissais passer un des plus beaux traits qui fût dans Ésope. Cela m'obligea d'y avoir recours. Nous ne saurions aller plus avant que les anciens : ils ne nous ont laissé pour notre part que la gloire de les bien suivre. Je joins toutefois ma fable à celle d'Ésope, non que la mienne le mérite, mais à cause du mot de Mécénas que j'y fais entrer, et qui est si beau et si à propos que je n'ai pas cru le devoir omettre.

1 MÆCENAS apud Ann Senec., Epist. ci, Opera, t. XI. p. 501, in-8°, édit. VAR

XVI. La Mort et le Bûcheron.

wood max Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramée, boughs weight

Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
Gémissant et courbé, marchait à pas pesants,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos :
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier et la corvée, statute
Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu'il faut faire.
C'est, dit-il, afin de m'aider

A recharger ce bois; tu ne tarderas guère.
Le trépas vient tout guérir;

Mais ne bougeons d'où nous sommes :

Plutôt souffrir que mourir.

C'est la devise des hommes.

labor

XVII. L'homme entre deux áges, et ses deux Maitresses.

Un homme de moyen âge,

Et tirant sur le grison, qray Leard

Jugea qu'il était saison

De songer au mariage.

Il avait du comptant, weit

Et partant

De quoi choisir; toutes voulaient lui plaire :

En quoi notre amoureux ne se pressait pas tant;

Bien adresser n'est pas petite affaire.

Deux veuves sur son cœur eurent le plus de part :
L'une encor verte; et l'autre un peu bien mûre,
Mais qui réparait par son art

Ce qu'avait détruit la nature.

detruiz is

Ces deux veuves, en badinant, veut.
En riant, en lui faisant fête,

+

L'allaient quelquefois têtonnant, dressing hair

C'est-à-dire ajustant sa tête.

La vieille, à tous moments, de sa part emportait
Un peu du poil noir qui restait,

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Afin que son amant en fût plus à sa guise.
La jeune saccageait les poils blancs à son tour.
Toutes deux firent tant, que notre tête grise
Demeura sans cheveux, et se douta du tour.
Je vous rends, leur dit-il, mille grâces, les belles,
Qui m'avez si bien tondu :

J'ai plus gagné que perdu;
Car d'hymen point de nouvelles.

Celle que je prendrais voudrait qu'à sa façon
Je vécusse, et non à la mienne.

Il n'est tête chauve qui tienne :

Je vous suis obligé, belles, de la leçon.

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1 Il ne faut pas écrire testonnant selon l'orthographe surannée des éditions originales: on prononçait tétonnant. Ainsi on écrivait teste autrefois, et on écrit téte actuellement. Tous les commentateurs de la Fontaine me paraissent s'être mépris sur le véritable sens du vers qui suit immédiatement ce mot. On a cru que notre poëte avait eu pour but, en l'écrivant, d'expliquer un mot suranné : mais le mot tétonner n'était pas suranné de son temps; il se trouvait dans tous les dictionnaires, et notamment dans celui de l'Académie française. Madame de Sévigné, en parlant d'une fameuse coiffeuse nommée Martin, dit : « Toutes les fem- mes de Saint-Germain, et cette la Mothe surtout, se font tétonner par la Martin. » Lettre du 18 mars 1671. t. I, p. 295, édit. de Monmerqué, 1820, in-8°. Le mot tétonner, indépendamment de sa signification simple de peigner, de coiffer, en avait une autre, au figuré, beaucoup plus populaire, et aujourd'hui inconnue; il signifiait battre, ou donner des coups sur la tête; il en est de même aujourd'hui du mot peigner. C'est pour faire une allusion plaisante à cette autre signification que la Fontaine donne son explication.

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XVIII. Le Renard et la Cigogne. stork

Compère le renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la cigogne.
Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts:
Le galant, pour toute besogne, need
Avait un brouet clair; il vivait chichement. tingly

Wroth Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :

La cigogne au long bec n'en put attraper miette;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.

Pour se venger de cette tromperie,

A quelque temps de là, la cigogne le prie.
Volontiers, lui dit-il; car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie.

A l'heure dite, il courut au logis
De la cigogne son hôtesse ;
Loua très-fort sa politesse;

Trouva le dîner cuit à point.

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Bon appétit surtout; renards n'en manquent point.
Il se réjouissait à l'odeur de la viande

Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande. Small
On servit, pour l'embarrasser,

En un vase à long col et d'étroite embouchure.
Le bec de la cigogne y pouvait bien passer;
Mais le museau du sire était d'autre mesure.

Il lui fallut à jeun retourner au logis,

Honteux comme un renard qu'une poule aurait pris

Serrant la queue, et portant bas l'oreille.

Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :
Attendez vous à la pareille.

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