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FABLES.

A MONSEIGNEUR LE DAUPHIN

Je chante les héros dont Ésope est le père,
Troupe de qui l'histoire, encor que mensongère,
Contient des vérités qui servent de leçons.
Tout parle en mon ouvrage, et même les poissons :
Ce qu'ils disent s'adresse à tous tant que nous sommes ;
Je me sers d'animaux pour instruire les hommes.
Illustre reJETON D'UN PRINCE aimé des cieux,
Sur qui le monde entier a maintenant les yeux,
Et qui, faisant fléchir les plus superbes têtes,
Comptera désormais ses jours par ses conquêtes,
Quelque autre te dira d'une plus forte voix
Les faits de tes aïeux et les vertus des rois.
Je vais t'entretenir de moindres aventures,
Te tracer en ces vers de légères peintures:
Et si de t'agréer je n'emporte le prix,
J'aurai du moins l'honneur de l'avoir entrepris.

LIVRE PREMIER.

1. La Cigale et la Fourmi.

La cigale, ayant chanté
Tout l'été,

Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :

Pas un seul petit morceau

De mouche ou de vermisseau. Warh

Elle alla crier famine

Chez la fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu'à la saison nouvelle.
Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l'oût, foi d'animal,
Intérêt et principal.

La fourmi n'est pas prêteuse :
C'est là son moindre défaut.
Que faisiez-vous au temps chaud?
Dit-elle à cette emprunteuse.
Nuit et jour à tout venant

Je chantais, ne vous déplaise.
Vous chantiez! j'en suis fort aise :

Eh bien! dansez maintenant.

I Avant la moisson, qui se fait au mois d'août, qu'on prononce out; et ce dernier mot, sous cette forme, dans notre ancien langage, se prend pour la moisson. On disait autrefois un aousteron (ousteron) pour un moissonneur. Voyez le Thrésor de la langue Françoyse, de Nicot, in-folio, 1606, p. 35. Voyez encore la note sur la fable 1x du livre V.

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Maître corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.

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Maître renard, par l'odeur alléché,εn trd
Lui tint à peu près ce langage :

Hé! bonjour, monsieur du corbeau,
Que vous êtes joli! que vous me semblez beau!
Sans mentir, si votre ramage

Se rapporte à votre plumage,

Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois.
A ces mots le corbeau ne se sent pas de joie ;
Et, pour montrer sa belle voix,

Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le renard s'en saisit, et dit : Mon bon monsieur,
Apprenez que tout flatteur

Vit aux dépens de celui qui l'écoute :
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute.
Le corbeau, honteux et confus,

Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.

III. La Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le Bœuf.

Une grenouille vit un boeuf

Qui lui sembla de belle taille.

Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille

Pour égaler l'animal en grosseur;

Disant: Regardez bien, ma sœur ;

Est-ce assez? dites-moi; n'y suis-je point encore?

Nenni. M'y voici donc ?

Point du tout. - M'y voilà?

Vous n'en approchez point. La chétive pécore fool

S'enfla si bien qu'elle creva.

Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.

IV. Les deux Mulets.

Deux mulets cheminaient, l'un d'avoine chargé

L'autre portant l'argent de la gabelle. Salt- tax

Celui-ci, glorieux d'une charge si belle,
N'eût voulu pour beaucoup en être soulagé.

Il marchait d'un pas relevé,

Et faisait sonner sa sonnette;

Quand l'ennemi se présentant,

Comme il en voulait à l'argent,

Sur le mulet du fisc une troupe se jette, Treasury

Le saisit au frein, et l'arrête.

Le mulet, en se défendant,

Se sent percer de coups; il gémit, il soupire.
Est-ce donc là, dit-il, ce qu'on m'avait promis?
Ce mulet qui me suit du danger se retire;
Et moi j'y tombe, et je péris!

Ami, lui dit son camarade,

Il n'est pas toujours bon d'avoir un haut emploi :

Si tu n'avais servi qu'un meunier, comme moi,iller.

Tu ne serais pas si malade.

V. Le Loup et le Chien.

Un loup n'avait que les os et la peau,

Tant les chiens faisaient bonne garde.

Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau,

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Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers,

Sire loup l'eût fait volontiers; ut him t
Mais il fallait livrer bataille;

Et le mâtin était de taille
A se défendre hardiment.

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Le loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu'il admire.
Il ne tiendra qu'à vous, beau sire,
D'être aussi gras que moi, lui repartit le chien
Quittez les bois, vous ferez bien :

Vos pareils y sont misérables,

Cancres, hères, et pauvres diables,

Dont la condition est de mourir de faim.

dunces wretches

Car, quoi! rien d'assuré! point de franche lipée! ment Ser

Tout à la pointe de l'épée!

Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin.

Le loup reprit : Que me faudra-t-il faire ?

Presque rien, dit le chien: donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants;

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Flatter ceux du logis, à son maître complaire :

Moyennant quoi votre salaire

Sera force reliefs de toutes les façons,
Os de poulets, os de pigeons;
Sans parler de mainte caresse.

Le loup déjà se forge une félicité

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Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le cou du chien pelé.
Qu'est-ce là? lui dit-il.-Rien.—Quoi! rien!
Mais encor? Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
Attaché! dit le loup : vous ne courez donc pas

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Peu de chose.

'Le mot poli se prend ici au simple, et signifie luisant de graisse. 2 Restes de repas.

VAR. Portant, dans les éditions modernes,

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