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son beau-frère, les deux princes de Conti. Vendôme, et son frère le grand prieur, non-seulement aimaient la Fontaine, mais le pensionnaient. Il était admis dans leur société intime et dans leurs joyeux banquets. C'est pour cette société, et à son instigation, qu'il composa ses derniers contes, malheureusement plus licencieux que les premiers: ils ne purent, comme ceux-ci, paraître avec privilége du roi. La Champmeslé les débitait en secret; et il est probable, ainsi que le dit Furetière, que la Fontaine lui en abandonnait le profit, et payait ainsi ses faveurs.

Ce recueil de contes était une arme redoutable entre les mains de ceux qui voulaient fermer à la Fontaine les portes de l'Académie. Le président Rose, secrétaire intime du roi, et très-avant dans sa faveur, jeta ce livre sur la table le jour de l'élection, et demanda, avec colère, si l'Académie oserait proposer à l'approbation du roi l'auteur d'un livre flétri par une sentence de police. Cette manière violente ne réussit point. Des voix s'élevèrent pour défendre la Fontaine, et il fut élu. Ce fut là peut-être le premier acte d'indépendance de l'Académie française. Le roi reçut très-mal ses députés, et n'approuva pas. Mais l'Académie ne rétracta point son choix. La Fontaine fit une jolie ballade pour supplier le roi de consentir à sa nomination, et il fit agir madame de Thianges, qui, malgré la retraite de sa sœur, avait conservé tout son crédit à la cour. Une nouvelle place vint à vaquer à l'Académie. Boileau, ainsi que le roi le désirait, y fut nommé, et Louis XIV donna alors, en même temps, son approbation à l'élection de la Fontaine et à celle de Boileau; et l'auteur des contes et celui des satires furent enfin, tous deux et en même temps, académiciens.

Dans l'épître à madame de la Sablière, que la Fontaine lut dans la séance publique le jour de sa réception, il fit en beaux vers une sorte d'amende honorable de sa vie passée, et il manifesta l'intention de suivre les conseils de son amie et de sa bienfaitrice mais il craignait de ne pouvoir y parvenir, et disait :

Ne point errer est chose au-dessus de mes forces....
Tel que fut mon printemps, je crains que l'on ne voie
Les plus chers de mes jours aux vains désirs en proie.

En effet, il continua son même genre de vie, et fit encore des contes; mais cependant sa plume fut plus réservée, et ses nouvelles productions n'en eurent que plus de charme.

Tout semblait conspirer contre la résolution qu'il avait voulu prendre. Sa verte vieillesse se trouvait assiégée par tous les genres de séductions. Un jeune conseiller au parlement de Paris, nommé Hervart, et sa femme, aimable et jolie, l'avaient pris en amitié, et tous deux se plaisaient à l'attirer chez eux et à leur campagne. Là ils passaient la belle saison en compagnie avec plusieurs jeunes femmes, leurs parentes, et avec Vergier, le plus heureux des imitateurs de la Fontaine. Cette société si gaie, si séduisante, de Bois-le-Vicomte et de l'hôtel d'Hervart, éveillait l'imagination de notre poëte, et prolongeait en lui, au delà du terme ordinairement prescrit par la nature, le règne des illusions et des désirs.

Toutefois, les exemples et les exhortations de madame de la Sablière, et de Racine et de Maucroix, ses meilleurs amis, autrefois compagnons des écarts de sa jeunesse, et désormais livrés à la plus austère piété, faisaient impression sur lui; et, aidés des bienfaits de l'âge, ils auraient plus tôt triomphé de ses déplorables habitudes, sans une influence qui vint encore en prolonger le cours.

Une certaine madame Ulrich lisait avec délices les Contes de la Fontaine, et éprouvait le plus vif regret qu'il eût renoncé à en composer. Femme d'un maître d'hôtel du comte d'Auvergne, frère du duc de Bouillon, chez lequel la Fontaine allait souvent dîner, elle avait eu occasion de voir ce poëte et de le connaître. Elle prit la résolution d'employer tous les moyens qui étaient en son pouvoir, pour obtenir de lui de nouveaux écrits dans le genre de ceux qui avaient tant charmé son imagination licencieuse. Déjà sur le retour de l'âge, puisqu'elle avait une fille de quinze ans, elle était cependant encore fraîche et belle. Complaisante compagne de

la duchesse de Praslin, dont elle servait les intrigues, et qui la protégeait contre un mari jaloux et quinteux, beaucoup plus âgé qu'elle, elle avait su, pour ceux qui aimaient le jeu, la bonne chère, et les plaisirs sans contrainte, rendre sa maison une des plus agréables de Paris : il ne lui fut pas difficile d'y attirer la Fontaine. Le bon sens du bonhomme résista d'abord aux séductions d'un attachement si disproportionné; mais, pour vaincre sa résistance, madame Ulrich n'eut qu'à le vouloir; et comme elle lui accorda tout, il ne sut rien lui refuser. C'est pour lui complaire qu'il composa le joli conte du Quiproquo, qu'elle publia après la mort de notre poëte, avec une portion de la correspondance qu'elle avait eue avec lui, où se trouvent dévoilés les moyens qu'elle employa pour enchaîner le vieillard. Dans l'avant-propos de ces OEuvres posthumes de la Fontaine, madame Ulrich a pris avec chaleur la défense de celui qu'elle appelle emphatiquement son ami; et elle soutient que le contraste que la Bruyère a voulu établir entre sa personne et ses écrits n'existait pas. Elle affirme qu'il n'était distrait, lourd, rêveur et silencieux, que dans les sociétés où il s'ennuyait, ou avec ceux qu'il ne connaissait pas; mais qu'à table, dans le têteà-tête, et partout où il se plaisait, c'était l'homme le plus enjoué et le plus aimable. L'attachement vrai et désintéressé que tant de femmes spirituelles de ce temps eurent pour la Fontaine, le désir qu'elles éprouvaient de jouir de sa société, démontrent l'exactitude du portrait que madame Ulrich en a tracé. De tous les défauts que les femmes supportent le moins dans un homme, c'est d'être nul ou ennuyeux.

Tandis que madame Ulrich obtenait de notre poëte qu'il caressât encore, par instants, la Muse badine qui avait fait la réputation de sa jeunesse, une influence d'une nature bien différente le portait à s'adonner de nouveau avec ardeur aux productions morales auxquelles il devait la gloire de son âge mur. Cette influence était celle d'un enfant de dix ans; mais cet enfant était le petit-fils de Louis XIV, l'espoir de la France; et il était guidé par un homme qui unissait en lui

le génie et la vertu. Fénelon admirait ce fabuliste, « à qui il a été donné, dit-il, de rendre la négligence même de l'art préférable à son poli le plus brillant; » et Fénelon ne se contenta pas d'une admiration stérile pour le poëte qui en était l'objet; il fit verser sur lui les bienfaits du jeune prince son élève. La Fontaine, en qui le sentiment de la reconnaissance était encore plus efficace que les suggestions de la volupté, écrivit, pour l'instruction du duc de Bourgogne, des fables égales en beauté à celles qu'il avait composées, et il ajouta un douzième et dernier livre aux onze que contenaient les recueils déjà publiés.

Lorsque son dernier recueil de Fables vit le jour, notre poëte donnait au monde un exemple qui devait être encore plus cher que ses écrits au pieux précepteur du duc de Bourgogne.

Une maladie avait conduit la Fontaine aux portes du tombeau. Il guérit; mais depuis cette époque toutes ses pensées se tournèrent vers la religion: il se confessa, communia, et eut de longs et fréquents entretiens avec le savant théologien Pouget. Une grande affliction vint encore ajouter dans la Fontaine à l'effet de ces conférences: madame de la Sablière mourut. Notre poëte quitta aussitôt cet hôtel où il avait habité si longtemps avec elle. Dans la rue il rencontra Hervart, qui, venant d'apprendre la nouvelle de cette mort, lui dit : « Je venais vous prier de venir demeurer chez moi. - J'y allais, répondit la Fontaine.

La Fontaine, depuis sa conversion, s'était interdit tout ouvrage profane; mais il écrivait alors à de Maucroix : « Je mourrais d'ennui si je ne composais plus. » Et il fait part à son ami du projet qu'il a conçu de traduire les Hymnes sacrées en vers. Il se flattait de vivre encore assez longtemps pour terminer cette œuvre. Sa piété, aussi ardente qu'elle était sincère, le portait à s'assujettir à des privations que personne ne lui avait prescrites, à des rigueurs auxquelles on se serait opposé si on les avait connues. Il portait sur lui un cilice, ce qu'on ne sut qu'après sa mort. Il avait une grande

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NOTICE SUR LA VIE DE LA FONTAINE.

confiance dans l'efficacité de la prière, et, dans sa paraphrase du Dies iræ, il dit, en s'adressant à Dieu :

Le larron te priant fut écouté de toi :

La prière et l'amour ont un charme suprême.

Pour se distraire, il allait très-assidûment aux séances de l'Académie, travaillait sans cesse pour terminer la tâche qu'il s'était imposée, et formait même encore le dessein d'un autre ouvrage, pour lequel il espérait être aidé par son ami de Maucroix. Tout à coup ses forces diminuèrent rapidement, et il expira âgé de près de soixante et quatorze ans, entre les bras de Racine, de Hervart et de sa femme, qui avaient comblé ses derniers jours des soins les plus tendres et les plus attentifs.

Quand Fénelon apprit cette mort, il chercha à soulager ses regrets et sa douleur en écrivant, en latin, un éloge du poëte que l'on venait de perdre, et il le donna à traduire à son royal élève. Cet éloge se termine ainsi : « Lisez-le, et << dites si Anacréon a su badiner avec plus de grâce, si Ho« race a paré la philosophie d'ornements poétiques plus va«<riés et plus attrayants, si Térence a peint les mœurs des << hommes avec plus de naturel et de vérité, si Virgile, en

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fin, a été plus touchant et plus harmonieux! >>

WALCKENAER.

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