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Quand, sur l'eau se penchant, une fourmis y tombe,
Et dans cet océan l'on eût vu la fourmis

S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive.
La colombe aussitôt usa de charité :

Un brin d'herbe dans l'eau par elle étant jeté,
Ce fut un promontoire où la fourmis arrive.
Elle se sauve; et là-dessus

Passe un certain croquant (1) qui marchait les pieds nus. Ce croquant, par hasard, avait une arbalète.

Dès qu'il voit l'oiseau de Vénus (2), Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête. Tandis qu'à le tuer mon villageois s'apprête, La fourmi le pique au talon ;

Le vilain (3) retourne la tête ;

La colombe l'entend, part, et tire de long.
Le souper du croquant avec elle s'envole:

Point de pigeon pour une obole (4).

LES PETITS PRÉFÈRENT LA MÉDIOCRITÉ.

Voilà les inconvénients de la grandeur. Les petits ont leurs maux, mais bien des avantages

fin, au singulier, pour éviter deux hiatus: une fourmis y tombe et la fourmis arrive, et au quatrième vers pour la rime.

(1) Croquant, gueux, misérable.

(2) Vénus, déesse de la beauté; la colombe lui était consacrée.

(3) Vilain indiquait autrefois les paysans.

(4) Une obole, petite monnaie des Grecs.

aussi. Moins de souci, c'est plus de vraie richesse. Voyez ces bonnes gens qui avaient trois souhaits à former. Inutile de vous dire que leur premier vœu fut pour la richesse. Les voilà opulents, malheureux aussi par trop de fortune:

Quels registres, quels soins, quel temps il leur fallut !
Les voleurs contre eux complotèrent,

Les grands seigneurs leur empruntèrent,
Le prince les taxa..

Dégoûtés d'une fortune si onéreuse, ils demandèrent qu'on leur rendît la médiocrité. Ce fut leur second souhait. Il en restait un troisième à faire: «Ils demandèrent la sagesse. C'est un trésor qui n'embarrasse point. >>

Et le bon savetier, joyeux, toujours chantant, toujours gaillard dans sa pauvreté, à qui on joue le mauvais tour de donner cent écus. Adieu la joie, et l'heureuse insouciance, adieu les chansons! << Le sommeil quitte son logis, » et les soucis y

entrent:

Tout le jour, il avait l'œil au guet; et la nuit,

Si quelque chat faisait du bruit,

Le chat prenait l'argent.

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Que faire ? C'était un sage: il reporta les cent

écus chez le prêteur, et retrouva chansons le jour et sommeil la nuit.

LE SAVETIER ET LE FINANCIER.

Un savetier chantait du matin jusqu'au soir :
C'était merveille de le voir,

Merveille de l'ouïr; il faisait des passages (1),
Plus content qu'aucun des sept sages.
Son voisin, au contraire, étant tout cousu d'or,
Chantait peu, dormait moins encor ;
C'était un homme de finance.

Si, sur le point du jour, parfois il sommeillait,
Le savetier alors en chantant l'éveillait ;
Et le financier se plaignait

Que les soins de la Providence

N'eussent pas au marché fait vendre le dormir,
Comme le manger et le boire.

En son hôtel il fait venir

Le chanteur, et lui dit : « Or çà, sire Grégoire,

Que gagnez-vous par an?

Par an? ma foi, Mon

[sieur,

Dit avec un ton de rieur

Le gaillard savetier, ce n'est point ma manière
De compter de la sorte ; et je n'entasse guère
Un jour sur l'autre : il suffit qu'à la fin

(1)

Passage signifie ici ornement ajouté à un trait de chant.» (Littré.)

J'attrape le bout de l'année ;

Chaque jour amène son pain.

:

Eh bien ! que gagnez-vous, dites-moi, par journée ? - Tantôt plus, tantôt moins le mal est que toujours (Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes), Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours

Qu'il faut chômer; on nous ruine en fêtes:

L'une fait tort à l'autre ; et monsieur le curé

De quelque nouveau saint charge toujours son prône. » Le financier, riant de sa naïveté,

Lui dit : « Je vous veux mettre aujourd'hui sur le trône. Prenez ces cent écus; gardez-les avec soin,

Pour vous en servir au besoin. >>

Le savetier crut voir tout l'argent que la terre
Avait, depuis plus de cent ans,

Produit pour l'usage des gens.

Il retourne chez lui: dans sa cave il enserre
L'argent, et sa joie à la fois.

Plus de chant: il perdit la voix

Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines.
Le sommeil quitta son logis:

Il eut pour hôtes les soucis,

Les soupçons, les alarmes vaines.

Tout le jour, il avait l'œil au guet ; et la nuit,
Si quelque chat faisait du bruit,

Le chat prenait l'argent. A la fin le pauvre homme
S'en courut chez celui qu'il ne réveillait plus :
< Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme,
Et reprenez vos cent écus. »

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Reproduction de Fessard.

Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme, Et reprenez vos cent écus.

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