Ayant, de cette façon, A souper chair et poisson. Vivez donc en paix. Ni querelles ni procès. A plaider, on n'enrichit que les gens de justice; témoins ces deux voyageurs qui se disputaient une huître par-devant le juge. Le juge mangea l'huître à leur nez et leur adjugea à chacun une écaille. L'HUÎTRE ET LES PLAIDEURS. Un jour deux pèlerins sur le sable rencontrent L'un se baissait déjà pour amasser (1) la proie; Celui qui le premier a pu l'apercevoir En sera le gobeur; l'autre le verra faire. Si par là l'on juge l'affaire, Reprit son compagnon, j'ai l'oeil bon, Dieu merci. Dit l'autre ; et je l'ai vue avant vous, sur ma vie. Eh bien! vous l'avez vue; et moi je l'ai sentie. » (1) Ramasser. Pendant tout ce bel incident, Perrin Dandin (1) arrive : ils le prennent pour juge. Perrin, fort gravement, ouvre l'huître, et la gruge, Nos deux messieurs le regardant. Ce repas fait, il dit d'un ton de président : << Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille Sans dépens; et qu'en paix chacun chez soi s'en aille. » Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui ; Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles (2). Témoins encore le lapin et la belette, qui ont procès par-devant le chat. Mauvais choix d'un juge, direz-vous. Ce n'est pas tant mal choisir le juge, c'est plaider qui est mauvais. LE CHAT, LA BELETTE ET LE PETIT LAPIN. Du palais d'un jeune lapin Dame belette, un beau matin, (1) Nom donné par Rabelais à un homme de justice. (Pantagruel, liv. III, ch. 39.) Depuis, Racine, par sa comé die des Plaideurs, et La Fontaine, par ses Fables, ont rendu ce nom populaire. (2) Expression proverbiale, pour dire ne leur laisse rien. S'empara: c'est une rusée. Le maître étant absent, ce lui fut chose aisée. Qu'il était allé faire à l'aurore sa cour Après qu'il eut brouté, trotté, fait tous ses tours, « O dieux hospitaliers! que vois-je ici paraître! Que l'on déloge sans trompette, Ou je vais avertir tous les rats du pays. » « C'était un beau sujet de guerre, Qu'un logis où lui-même il n'entrait qu'en rampant ! A Jean, fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume, Jean lapin allégua la coutume et l'usage: « Ce sont, dit-il, leurs lois qui m'ont de ce logis - Or bien, sans crier davantage, Rapportons-nous (1), dit-elle, à Raminagrobis. » (4) Rapportons-nous-en. LA FONTAINE C'était un chat vivant comme un dévot ermite, Un chat faisant la chattemite (1), Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras, Les voilà tous deux arrivés Devant sa majesté fourrée. Grippeminaud leur dit : « Mes enfants, approchez, Approchez; je suis sourd: les ans en sont la cause. > L'un et l'autre approcha, ne craignant nulle chose. Aussitôt qu'à portée il vit les contestants, Grippeminaud, le bon apôtre, Jetant des deux côtés la griffe en même temps, Loin de chercher à se nuire, il faut secourir le voisin, pour qu'il vous aide en un besoin vousmême. « Il se faut entr'aider; c'est la loi de na ture, » dit La Fontaine d'un ton plus grave qu'à son ordinaire; car c'est un principe qui lui est particulièrement cher, et, ailleurs, répétant les mêmes expressions presque impérieuses: Telle est la loi de l'univers: Si tu veux qu'on t'épargne, épargne aussi les autres. (1) Faire la chatte mite, faire la chatte doucereuse. |