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Quittez le long espoir et les vastes pensées ;
Tout cela ne convient qu'à nous.

Il ne convient pas à vous-même,

Repartit le vieillard. Tout établissement (1)

Vient tard, et dure peu. La main des Parques blêmes (2)
De vos jours et des miens se joue également.
Nos termes sont pareils par leur courte durée.
Qui de nous des clartés de la voûte azurée
Doit jouir le dernier? Est-il aucun moment
Qui vous puisse assurer d'un second seulement ?
Mes arrière-neveux me devront cet ombrage:
Eh bien ! défendez-vous au sage

De se donner des soins pour le plaisir d'autrui?
Cela même est un fruit que je goûte aujourd'hui:
J'en puis jouir demain, et quelques jours encore;
Je puis enfin compter l'aurore

Plus d'une fois sur vos tombeaux. >>
Le vieillard eut raison: l'un des trois jouvenceaux
Se noya dès le port, allant à l'Amérique ;
L'autre, afin de monter aux grandes dignités,
Dans les emplois de Mars servant la république (3),
Par un coup imprévu vit ses jours emportés ;
Le troisième tomba d'un arbre

Que lui-même il voulut enter;

Et, pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre que je viens de raconter.

Ce

(1) Tout ce qu'on établit, tout ce qu'on fonde, domaine, industrie, ménage, etc.

(2) Déesses de la mythologie qui tenaient en leurs mains le sort des hommes.

(3) Servant l'Etat dans l'armée.

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Ailleurs La Fontaine montre, pour prouver la supériorité de la patience sur les plus heureux dons naturels, la lutte du lièvre contre la tortue. La tortue a parié d'arriver plus vite que le lièvre à un but marqué. Vous pensez si le lièvre a ri; et voilà cependant que la tortue a gagné, parce qu'elle est partie tout de suite, n'a pas perdu un instant, s'est << hâtée avec lenteur, » tandis que le lièvre batifolait, et attendait le dernier moment pour se mettre en route.

LE LIÈVRE ET LA TORTUE.

Rien ne sert de courir; il faut partir à point :
Le lièvre et la tortue en sont un témoignage.
« Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point
sitôt que moi ce but. Sitôt ? êtes-vous sage?
Repartit l'animal léger:

Ma commère, il vous faut purger
Avec quatre grains d'ellébore (1).

Sage ou non, je parie encore. >
Ainsi fut fait ; et de tous deux
On mit près du but les enjeux.
Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire,

(1) Plante qui passait pour guérir la folie.

Ni de quel juge l'on convint.

Notre lièvre n'avait que quatre pas à faire,

J'entends de ceux qu'il fait lorsque, près d'être atteint,
Il s'éloigne des chiens, les renvoie aux calendes,
Et leur fait arpenter les landes.

Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir, et pour écouter

D'où vient le vent, il laisse la tortue
Aller son train de sénateur.

Eile part, elle s'évertue,

Elle se hâte avec lenteur.

Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure à peu de gloire,
Croit qu'il y va de son honneur
De partir tard. Il broute, il se repose,
Il s'amuse à tout autre chose

Qu'à la gageure. A la fin, quand il vit
Que l'autre touchait presque au bout de la carrière,
Il partit comme un trait; mais les élans qu'il fit
Furent vains: la tortue arriva la première.
Eh bien! lui cria-t-elle, avais-je pas raison?
De quoi vous sert votre vitesse?
Moi l'emporter ! et que serait-ce
Si vous portiez une maison? >

Le fabuliste recommande enfin le travail comme la plus sûre et la plus précieuse des ressources

humaines.

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La lièvre laisse la tortue
Aller son train de sénateur;
Elle part, elle s'évertue,
Elle se hâte avec lenteur.

Reproduction de Fessard.

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