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présumer que l'Église entière bien instruite la prononcerait, si elle pouvait avoir en corps cette discipline qui lui appartient privativement.

Ajoutons encore, pour donner une idée complète de l'excommunication et des vraies règles du droit canonique à cet égard, que cette excommunication, légitimement prononcée par ceux à qui le souverain, au nom de L'Église, en a expressément laissé l'exercice, ne renferme que la privation des biens spirituels sur la terre. Elle ne saurait s'étendre à autre chose. Tout ce qui serait audelà serait abusif, et plus ou moins tyrannique. Les ministres de l'Église ne font que déclarer qu'un tel homme n'est plus membre de l'Église. Il peut donc jouir, malgré l'excommunication, de tous les droits naturels, de tous les droits civils, de tous les biens temporels, comme homme, ou comme citoyen. Si le magistrat intervient, et prive outre cela un tel homme d'une charge ou d'un emploi dans la société, c'est alors une peine civile ajoutée pour quelque faute contre l'ordre civil.

Supposons encore que les ecclésiastiques qui ont prononcé l'excommunication, aient été séduits par quelque erreur ou quelque passion ( ce qui peut toujours arriver puisqu'ils sont hommes ), celui qui a été ainsi exposé à une excommunication précipitée est justifié par sa conscience devant Dieu. La déclaration faite contre lui n'est et ne peut être d'aucun effet pour la vie à venir. Privé de la communion extérieure avec les vrais fidèles, il peut encore jouir ici-bas de toutes les consolations de la communion intérieure. Justifié par sa conscience, il n'a rien à redouter dans la vie à venir du jugement de Dieu qui est son véritable juge.

C'est encore une grande question dans le droit canonique, si le clergé, si son chef, si un corps ecclésiastique quelconque, peut excommunier les magistrats ou le souverain, sous prétexte ou pour raison de l'abus de leur pouvoir. Cette question seule est scandaleuse, et le sim

ple doute une rébellion manifeste. En effet, le premier devoir de l'homme en société est de respecter et de faire respecter le magistrat; et vous prétendriez avoir le droit de le diffamer et de l'avilir ! qui vous aurait donné ce droit aussi absurde qu'exécrable? serait-ce Dieu qur gouverne le monde politique par les souverains, qui veut que la société subsiste par la subordination?

Les premiers ecclésiastiques, à la naissance du christianisme, se sont-ils crus autorisés à excommunier les Tibère, les Néron, les Claude, et ensuite les Constance, qui étaient hérétiqués ? Comment donc a-t-on pu souffrir si long-temps des prétentions aussi monstrueuses, des idées aussi atroces, et les attentats affreux qui en ont été la suite; attentats également réprouvés par la raison, le droit naturel et la religion ? S'il était une religion qui enseignât de pareilles horreurs, elle devrait être proscrite de la société comme directement opposée au repos du genre humain. Le cri des nations s'est déjà fait entendre contre ces prétendues lois canoniques, dictees par l'ambition et le fanatisme. Il faut espérer que les souverains, mieux instruits de leurs droits, soutenus par la fidélité des peuples, mettront enfin un terme à des abus si énormes, et qui ont causé tant de malheurs. L'auteur de l'Essai sur les Mœurs et l'Esprit des nations a été le premier qui a relevé avec force l'atrocité des entreprises de cette nature.

SECTION V.

De l'inspection sur le dogme.

Le souverain n'est point le juge de la vérité du dogme: il peut juger pour lui-même comme tout autre homme; mais il doit prendre connaissance du dogme dans tout ce qui intéresse l'ordre civil; soit quant à la nature de la doctrine, si elle avait quelque chose de contraire au bien public; soit quant à la manière de la proposer.

Règle générale dont les magistrats souverains n'auraient jamais dû se départir. Rien dans le dogme ne mérite l'attention de la police que ce qui peut intéresser l'ordre public; c'est l'influence de la doctrine sur les mœurs qui décide de son importance. Toute doctrine qui n'a qu'un rapport éloigné avec la vertu, ne saurait être fondamentale. Les vérités qui sont propres à rendre les hommes doux, humains, soumis aux lois, obéissants aux souverains, intéressent l'état, et viennent évidemment de Dieu.

SECTION VI.

Inspection des magistrats sur l'administration des

sacrements.

L'ADMINISTRATION des sacrements doit être aussi soumise à l'inspection assidue du magistrat en tout ce qui intéresse l'ordre public.

On convient d'abord que le magistrat doit veiller sur la forme des registres publics des mariages, des baptêmes, des morts, sans aucun égard à la croyance des divers citoyens de l'état.

Les mêmes raisons de police et d'ordre n'exigeraientelles pas qu'il y eût des registres exacts entre les mains du magistrat, de tous ceux qui font des vœux pour entrer dans les cloîtres, dans les pays où les cloîtres sont admis?

Dans le sacrement de la pénitence, le ministre qui refuse ou accorde l'absolution, n'est comptable de ses jugements qu'à Dieu; de même aussi le pénitent n'est comptable qu'à Dieu s'il communie ou non, et s'il communię bien ou mal.

Aucun pasteur pécheur ne peut avoir le droit de refuser publiquement et de son autorité privée, l'eucharistie à un autre pécheur. Jésus-Christ impeccable ne refusa pas la communion à Judas.

L'extrême-onction et le viatique demandés par les malades sont soumis aux mêmes règles. Le seul droit du ministre est de faire des exhortations au malade, et le devoir du magistrat est d'avoir soin que le pasteur n'abuse pas de ces circonstances pour persécuter les malades.

Autrefois c'était l'Église en corps qui appelait ses pasteurs, et leur conferait le droit d'instruire et de gouverner le troupeau. Ce sont aujourd'hui des ecclésiastiquesqui en consacrent d'autres, mais la police publique doit y veiller.

C'est sans doute un grand abus introduit depuis longtemps, que de conférer les ordres sans fonction; c'est enlever des membres à l'état sans en donner à l'Église. Le magistrat est en droit de réformer cet abus.

Le mariage, dans l'ordre civil, est une union légitime de l'homme et de la femme pour avoir des enfants, pour les clever, et pour leur assurer les droits des propriétés sous l'autorité de la loi. Afin de constater cette union, elle est accompagnée d'une cérémonie religieuse, regardée par les uns comme un sacrement, par les autres comme une pratique du culte public; vraie logomachie qui ne change rien à la chose. Il faut donc distinguer deux parties dans le mariage, le contrat civil ou l'engagement naturel, et le sacrement ou la cérémonie sacrée. Le mariage peut donc subsister avec tous ses effets naturels et civils, indépendamment de la cérémonie religieuse. Les cérémonies même de l'Église ne sont devenues nécessaires dans l'ordre civil, que parce que le magistrat les a adoptées. Il s'est même écoulé un longtemps sans que les ministres de la religion aient eu aucune part à la célébration des mariages. Du temps de Justinien, le consentement des parties en présence de témoins, sans aucune cérémonie de l'Église, légitimait encore le mariage parmi les chrétiens. C'est cet empereur qui fit, vers le milieu du sixième siècle, les premières lois pour que les prêtres intervinssent comme simples

témoins, sans ordonner encore de bénédiction nuptiale. L'empereur Léon, qui mourut sur le trône en 886, semble être le premier qui ait mis la cérémonie religieuse au rang des conditions nécessaires. La loi même qu'il fit, atteste que c'était un nouvel établissement.

De l'idée juste que nous nous formons ainsi du maria. ge, il résulte d'abord que le bon ordre et la piété même rendent aujourd'hui nécessaires les formalités religieuses, adoptées dans toutes les communions chrétiennes. Mais l'essence du mariage ne peut en être dénaturée; et cet engagement, qui est le principal 'dans la société, est ét doit demeurer toujours soumis, dans l'ordre politique, à l'autorité du magistrat.

Il suit de là encore, que deux époux élevés dans le culte même des infidèles et des hérétiques, ne soient point obligés de se marier s'ils l'ont été selon la loi de leur patrie; c'est au magistrat, dans tous les cas, d'examiner la chose.

Le prêtre est aujourd'hui le magistrat que la loi a désigné librement en certains pays pour recevoir la foi du mariage. Il est très évident que la loi peut modifier ou changer, comme il lui plaît, l'étendue de cette autorité ecclésiastique.

Les testaments et les enterrements sont incontestablement du ressort de la loi civile et de celui de la police. Jamais les magistrats n'auraient dû souffrir que le clergé usurpât l'autorité de la loi à aucun de ces égards. On peut voir encore, dans le siècle de Louis XIV et dans celui de Louis XV, des exemples frappants des entreprises de certains ecclésiastiques fanatiques sur la police des 'enterrements. On a vu des refus de sacrements, d'inhumation, sous prétexte d'hérésie; barbarie dont les païens même auraient eu horreur.

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