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voyons. On se trompe; il y faut le secours des autres sens Si les hommes n'avaient que le sens de la vue, ils n'auraient aucun moyen pour connaître l'étendue en longueur, largeur et profondeur (1); et un pur esprit ne la connaîtrait pas pent-être, à moins que Dieu ne la lui révélât. Il est très difficile de séparer dans notre entendement l'extension d'un objet d'avec les couleurs de cet objet. Nous ne voyons jamais rien que d'étendu, et de là nous sommes tous portés à croire que nous voyons en effet l'étendue. Nous ne pouvons guère distinguer dans notre âme ce jaune que nous voyons dans un louis d'or, d'avec ce louis d'or dont nous voyons le jaune. C'est comme, lorsque nous entendons prononcer ce mot louis d'or, nous ne pouvons nous empêcher d'attacher malgré nous l'idée de cette monnaie au son que nous entendons prononcer.

Si tous les hommes parlaient la même langue, nous serions toujours prêts à croire qu'il y aurait une connexion nécessaire entre les mots et les idées. Or, tous les hommes ont ici le même langage, en fait d'imagination. La nature leur dit à tous: Quand vous aurez vu des couleurs pendant un certain temps, votre imagination vous représentera à tous, de la même façon, les corps auxquels ces couleurs semblent attachées. Ce jugement prompt et involontaire que vous formerez, vous sera utile dans le cours de votre vie; car s'il fallait attendre, pour estimer les distances, les grandeurs, les situations de tout ce qui vous environne, que vous eussiez examiné des angles et des rayons visuels, vous seriez mort avant que de savoir si les choses dont vous avez besoin sont à dix pas de vous, ou à cent millions de lieues, et si elles sont de la grosseur d'un ciron ou d'une montagne. Il vaudrait beaucoup mieux pour vous être nés aveugles.

(1) Voyez dans les Éléments de la Philosophie de Newtow une note des éditeurs sur cette question,

Nous avons donc peut-être grand tort quand nous disons que nos sens nous trompent. Chacun de nos sens fait la fonction à laquelle la nature l'a destiné. Ils s'aident mutuellement, pour envoyer à notre âme, par les mains de l'expérience, la mesure des connaissances que notre être comporte. Nous demandons à nos sens ce qu'ils ne sont point faits pour nous donner. Nous voudrions que nos yeux nous fissent connaître la solidité, la grandeur, la distance, etc.; mais il faut que le toucher s'accorde en cela avec la vue, et que l'expérience les seconde Si le père Mallebranche avait envisagé la nature par ce côté, il eût attribué peut-être moins d'erreurs à nos sens, qui sont les seules sources de toutes nos idées.

Il ne faut pas, sans doute, étendre à tous les cas cette espèce de métaphysique que nous venons de voir. Nous ne devous l'appeler au secours que quand les mathéma tiques nous sont insuffisantes.

DIVINITÉ DE JÉSUS.

Les sociniens, qui sont regardés comme des blasphémateurs, ne reconnaissent point la divinité de JésusChrist. Ils osent prétendre avec les philosophes de l'antiquité, avecles Juifs, les Mahometans et tant d'autres nations, que l'idée d'un Dieu homme est monstrueuse, que la distance d'un Dieu à l'homme est infinie, et qu'il

est impossible que l'Etre infini, immense, éternel, ait été contenu dans un corps périssable.

Ils ont la confiance de citer en leur faveur Eusèbe, évêque de Césarée, qui, dans son Histoire ecclésiastique, Livre Ier, Chap. XI, déclare qu'il est absurde que la nature non-engendrée, immuable, du Dieu tout-puissant, prenne la forme d'un homme. Ils citent les Pères de l'Eglise, Justin et Tertullien, qui ont dit la même chose; Justin dans son dialogue avec Triphon, et Tertul lien dans son discours contre Praxéas.

Ils citent saint Paul qui n'appelle jamais Jésus-Christ

Dieu, et qui l'appelle homme très souvent. Ils poussent l'audace jusqu'au point d'affirmer que les chrétiens passerent trois siècles entiers à former peu à peu l'apothéose. de Jésus, et qu'ils n'élevaient cet étonnant édifice qu'à l'exemple des païens qui avaient divinisé des mortels. D'abord, selon eux, on ne regarda Jésus que comme un homme inspiré de Dieu, ensuite comme une créature plus parfaite que les autres. On lui donna quelque temps après une place au-dessus des anges, comme le dit saint Paul. Chaque jour ajoutait à sa grandeur. Il devint une émanation de Dieu produite dans le temps. Ce ne fut pas assez; on le fit naître avant le temps même. Enfin, on le fit Dieu consubstantiel à Dieu. Crellius, Voquelsius, Natalis Alexander, Hornebeck, ont appuyé tous ces blasphèmes par des arguments qui étonnent les sages,. et qui pervertissent les faibles. Ce fut surtout Fauste Socin qui répandit les semences de cette doctrine dans l'Europe; et sur la fin du seizième siècle il s'en est peu. fallu qu'il n'établit une nouvelle espèce de christianisme. Il y en avait déjà cu plus de trois cents espèces.

DIVORCE.

Il est dit dans l'encyclopédie, à l'article Divorce, que « l'usage du divorce ayant été porté dans les Gaules par » les Romains, ce fut ainsi que Bissine ou Bazine quitta » le roi de Thuringe sou mari, pour suivre Childéric » qui l'épousa. » C'est comme si on disait que les Troyens ayant établi le divorce à Sparte, Hélène répudia Méné→ las, suivant la loi, pour s'en aller avec Pâris en Phrygie.

La fable agréable de Paris, et la fable ridicule de Childéric, qui n'a jamais été roi de France, et qu'on prétend avoir enlevé Bazine, femme de Bazin, n'ont rien de commun avec la loi du divorce.

On cite encore Cherebert, régule de la petite ville de Lutèce près d'Issy, Lutetia Parisiorum, qui répudia sa femme. L'abbé Véli, dans son Histoire de France,

dit

que ce Cherebert, ou Caribert, répudia sa femme Ingo berge pour épouser Mirefleur, fille d'un artisan, et er suite Theudegilde, fille d'un berger, 'qui « fut élevée sur >> le premier trône de l'empire français.

>>

Il n'y avait alors ni premier ni second trône chez ces barbaros, que l'empire romain ne reconuut jamais rois. Il n'y avait point d'empire français.

pour

L'empire des Francs ne commença que par Charle magne. Il est fort douteux que le mot Mirefleur fùt en usage dans la langue velche ou gauloise, qui était un patois du jargon celte. Ce patois n'avait pas des expressions

si douces.

Il est dit encore que le réga ou régule Chilpéric, seigneur de la province du Soissonnais, et qu'on appelle roi de France, fit un divorce avec la reine Andove ou Andovère; et voici la raison de ce divorce:

Cette Andovère, après avoir donné au seigneur de Soissons trois enfants mâles, accoucha d'une fille. Les Francs étaient en quelque façon chrétiens depuis Clovis. Andovère étant relevée de couche présenta sa fille au baptême. Chilpéric de Soissons, qui apparemment était fort las d'elle, lui déclara que c'était un crime irrémissible d'être marraine de son enfant, qu'elle ne pouvait plus être sa femme par les lois de l'Église, et il épousa Frédégonde; après quoi il chassa Frédégonde, épousa une Visigothe, et puis reprit Frédégonde.

Tout cela n'a rien de bien légal, et ne doit pas plus être cité que ce qui se passait en Irlande et dans les îles Orcades.

Le code Justinien, que nous avons adopté en plusieurs points, autorise le divorce; mais le droit canonique, que les catholiques ont encore plus adopté, ne le permet pas.

L'auteur de l'article dit que « le divorce se pratique » dans les états d'Allemagne de la confession d'Aus>>bourg. >>

On peut ajouter que cet usage est établi dans tous les

pays

du nord, chez tous les réformes de toutes les confessions possibles et dans toute l'Église grecque.

Le divorce est probablement de la même date à peu près que le mariage. Je crois pourtant que le mariage est de quelques semaines plus ancien, c'est-à-dire, qu'on se querella avec sa femme au bout de quinze jours, qu'on se battit au bout d'un mois, et qu'on s'en sépara après six semaines de cohabitation.

Justinien, qui rassembla toutes les lois faites avant lui, auxquelles il ajouta les siennes, non-seulement confirme celle du divorce, mais il lui donne encore plus d'étendue; au point que toute femme dont le mari était, non pas esclave, mais simplement prisonnier de guerre pendant cinq ans, pouvait après les cinq ans révolus contracter un autre mariage.

Justinien était chrétien, et même théologien; comment donc arriva-t-il que l'Église dérogea à ses lois ? ce fut quand l'Église devint souveraine et législatrice. Les papes n'eurent pas de peine à substituer leurs décrétales au code dans l'occident, plongé dans l'ignorance et dans la barbarie. Ils profitèrent tellement de la stupidité des hommes, qu'Honorius III, Grégoire IX, Innocent III, défendirent par leurs bulles qu'on enseignât le droit civil. On peut dire de cette hardiesse: Cela n'est pas croyable, mais cela est vrai.

Comme l'Eglise jugea seule du mariage, elle jugea seule du divorce. Point de prince qui ait fait un divorce, et qui ait épousé une seconde femme sans l'ordre du pape, avant Henri VIII, roi d'Angleterre, qui ne se passa du pape qu'après avoir long-temps sollicité son procès en cour de Rome.

Cette coutume, établie dans des temps d'ignorance, se perpétua dans les temps éclairés, par la seule raison qu'elle existait. Tout abus s'éternise de lui-même; c'est l'écurie d'Augias, il faut un Hercule pour la nettoyer.

Henri IV ne put être père d'un roi de France que par

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