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nous nous traînons seulement de soupçons en soupçons. de vraisemblances en probabilités. Nous arrivons à uzz très petit nombre de certitudes. Il y a quelque chose, donc il y a quelque chose d'éternel, car rien n'est produit de rien. Voilà une vérité certainc sur laquelle votre esprit se repose. Tout ouvrage qui nous montre des moyens et une fin, annonce un ouvrier; donc cet univers, composé de ressorts, de moyens dont chacun a sa fin, découvre uù ouvrier très puissant, très intelligent. Voilà une probabilité qui approche de la plus grande certitude; mais cet artisan suprême est-il infini? est-il partout? est-il en un lieu? comment répondre à cette question avec notre intelligence bornée et nos faibles connaissances?

Ma seule raison me prouve un être qui a arraugé la matière de ce monde; mais ma raison est impuissante à me prouver qu'il ait fait cette matière, qu'il l'ait tirée du néant. Tous les sages de l'antiquité, sans aucune exception, ont cru la matière éternelle et subsistante par elle-même. Tout ce que je puis faire sans le secours d'une lumière supérieure, c'est donc de croire que le Dieu de ce monde est aussi éternel et existant par lui-même. Dieu et la matière existent par la nature des choses. D'autres dieux ainsi que d'autres mondes ne subsisteraient-ils pas? Des nations entières, des écoles très éclairées ont bien admis deux dieux dans ce monde-ci, l'un la source du bien, l'autre la source du mal. Ils ont admis une guerre interminable entre deux puissances égales. Certes la nature peut plus aisément souffrir dans l'immensité de l'espace plusieurs êtres indépendants, maîtres absolus chacun dans leur étendue, que deux dieux bornés et impuissants dans ce monde, dont l'un ne peut faire le bien, et l'autre ne peut faire le mal.

Si Dieu et la matière existent de toute éternité, comme l'antiquité l'a cru, voilà deux êtres nécessaires; or s'il y a deux êtres nécessaires, il peut y en avoir trente. Ces seuls doutes, qui sont le germe d'une infinité de réflexions,

servent au moins à nous convaincre de la faiblesse de notre entendement. Il faut que nous confessions notre ignorance sur la nature de la Divinité avec Cicéron. Nous n'en saurons jamais plus que lui.

Les écoles ont beau nous dire que Dieu est infini négativement, et non privativement formaliter et non materialiter, qu'il est le premier, le moyen et le dernier acte; qu'il est partout sans être dans aucun lieu; cent pages de commentaires sur de pareilles définitions ne peuvent nous donner la moindre lumière. Nous n'avons ni degré, ni point d'appui pour monter à de telles connaissances. Nous sentens que nous sommes sous la main d'un être invisible; c'est tout, et nous ne pouvons faire un pas audelà. Il y a une témérité insensée à vouloir deviner ce que c'est que cet être, s'il est étendu on non, s'il existe daus un lieu ou non, comment il existe, comment il opère (1). SECTION II.

JE crains toujours de me tromper; mais tous les monuments me font voir avee évidence que les anciens peuples policés reconnaissaient un Dieu suprême. Il n'y a pas un seul livre, une médaille, un bas-relief, une inscription, où il soit parlé de Junon, de Minerve, de Neptune, de Mars et des autres dieux, comme d'un être formateur, souverain de toute la nature. Au contraire, les plus anciens livres profanes que nous ayons, Hésiode et Homère, représentent leur Zeus comme seul lançant la fou. dre, comme seul maître des dieux et des hommes; il punit même les autres dieux; il attache Junon à une chaîne; il chasse Apollon du ciel.

L'ancienne religion des brachmanes, la première qui admit des créatures célestes, la première qui parla de leur rébellion, s'explique d'une manière sublime sur l'unité et la puissance de Dieu, comme nous l'avons vu à l'article Ange.

(1) Voyez CREATION, INFINE

Les Chinois, tout anciens qu'ils sont, ne viennent qu'a près les Indiens; ils ont reconnu un seul Dieu de temps immémorial; point de dieux subalternes, point de génies ou démons médiateurs entre Dieu et les hommes, point d'oracles, point de dogmes abstraits,' point de disputes théologiques chez les lettrés; l'empereur fut toujours le premier pontife, la religion fut toujours auguste et simple: c'est ainsi que ce vaste empire, quoique subjugué deux fois, s'est toujours conservé dans son intégrité. qu'il a soumis ses vainqueurs à ses lois, et que, malgré les crimes et les malheurs attachés à la race humaine, il est encore l'état le plus florissant de la terre.

Les mages de Chaldée, les Sabéens ne reconnaissaient qu'un seul Dieu suprême, et l'adoraient dans les étoiles qui sont son ouvrage.

Les Persans l'adoraient dans le soleil. La sphère posée sur le frontispice du temple de Memphis, était l'emblème d'un Dieu unique et parfait, nommé Knef par les Egyptiens.

Le titre de Deus optimus maximus n'a jamais été donné par les Romains qu'au seul Jupiter, hominum sator atque deorum. On ne peut trop répéter cette grande vérité que nous indiquons ailleurs (1).

Cette adoration d'un Dieu suprême est confirmée do puis Romulus jusqu'à la destruction entière de l'empire, et à celle de sa religion. Malgré toutes les folies du peuple qui vénérait des dieux secondaires et ridicules, et malgré les épicuriens qui au fond n'en reconnaissaient aucun, il est avéré que les magistrats et les sages adorèrent dans tous les temps un Dieu souverain.

Dans le grand nombre de témoignages qui nous restent de cette vérité, je choisirai d'abord celui de Maxime

(1) Le prétendu Jupiter, né en Crète, n'était qu'une fable historique, ou poétique, comme celle des autres dieux. Jovis depuis Jupiter, était la traduction du mot grec Zeus et Zevs était la traduction du mot phénicien Jéherak.

de Tyr qui florissait sous les Antonins, ces modèles de la vraie piété; puisqu'ils l'étaient de l'humanité. Voici ses paroles dans son discours intitulé, De Dieu selon Platon. Le lecteur qui veut s'instruire est prié de les bien peser.

« Les hommes ont eu la faiblesse de donner à Dieu » une figure humaine, parce qu'ils n'avaient rien vu au» dessus de l'homme; mais il est ridicule de s'imaginer, >> avec Homère, que Jupiter ou la suprême Divinité a » les sourcils noirs et les cheveux d'or, et qu'il ne peut >> les secouer sans ébranler le ciel.

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Quand on interroge les hommes sur la nature de la » Divinité, toutes leurs réponses sont différentes. Cepen» dant, au milieu de cette variété prodigieuse d'opi>> nions, vous trouverez un même sentiment par toute la >> terre, c'est qu'il n'y a qu'un seul Dieu qui est le père » de tous, etc. »

Que deviendront, après cet aveu formel, et après les discours immortels des Cicéron, des Antonin, des Épictête; que deviendront, dis-je, les déclamations que tant de pédants ignorants répètent encore aujourd'hui ? A quoi serviront ces éternels reproches d'un polytheisme grossier et d'une idolâtrie puérile, qu'à nous convaincre que ceux qui les font n'ont pas la plus légère connaissance de la saine antiquité? Ils ont pris les rêveries d'Homère pour la doctrine des sages.

Faut-il un témoignage encore plus fort et plus expressif? vous le trouverez dans la lettre de Maxime de Madaure à saint Augustin; tous deux étaient philosophes et orateurs; du moins ils s'en piquaient: ils s'écrivaient librement; ils étaient amis autant que peuvent l'être un homme de l'ancienne religion et un de la nouvelle.

Lisez la lettre de Maxime de Madaure, et la réponse de l'évêque d'Hippone.

Lettre de Maxime de Madaure.

« Or, qu'il y ait un Dicu souverain qui soit sans con

» mencement, et qui, sans avoir rien engendré de sein, » blable à lui, soit néanmoins le père et le formateur de

toutes choses, quel homme est assez grossier, assez stu, » pide pour en douter ? C'est celui dont nous adorons, > sous des noms divers, l'éternelle puissance répandue » dans toutes les parties du monde ; ainsi honorant séparé» ment, par diverses sortes de cultes, ce qui est comme >>>ses divers membres, nous l'adorons tout en tier.... Qu'ils >> vous conservent, ces dieux subalternes, sous les noms » desquels et par lesquels, tout autant de mortels que » nous sommes sur la terre, nous adorons le père com» mun des dieux et des hommes, par différentes sortes » de cultes, à la vérité, mais qui s'accordent tous dans » leur variété même, et ne tendent qu'à la même fin. Qui écrivait cette lettre? un Numide, un homme du pays d'Alger.

Réponse d'Augustin.

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« Il y a dans votre place publique deux statues de » Mars, nu dans l'une et armé dans l'autre, et tout au» près, la figure d'un homme qui, avec trois doigts qu'il » avance vers Mars, tient en bride cette divinité dange>> reuse à toute la ville. Sur ce que vous me dites que de » pareils dieux sont comme les membres du seul véri» table Dieu, je vous avertis, avec toute la liberté que » vous me donnez, de ne pas tomber dans de pareils >> sacrileges: car ce seul Dieu dont vous parlez, est sans >> doute celui qui est reconnu de tout le monde, et sur >> lequel les ignorants conviennent avec les savants, com» me quelques anciens ont dit. Or, direz-vous que celui >> dont la force, pour ne pas dire la cruauté, est réprimée » par un hom ne mort, soit un membre de celui-là ? Il » me serait aisé de vous pousser sur ce sujet, car vous >> voyez Lien ce qu'on pourrait dire sur cela; mais je me » retiens, de peur que vous ne disiez que ce sont les

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