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En 1603, dans une petite ville de la Franche-Comté, une femme de qualité fesait lire les vies des saints à sa belle-fille devant ses parents; cette jeune personne un peu trop instruite, mais ne sachant pas l'orthographe, substitua le mot d'histoires à celui de vies. Sa marâtre, qui la haïssait, lui dit aigrement: Pourquoi ne lisez-vous pas comme il y a ? La petite fille rougit, trembla, n'osa répondre; elle ne voulut pas décéler celle de ses compagnes qui lui avait appris le mot propre mal orthographié, qu'elle avait eu la pudeur de ne pas prononcerUnmoine confesseur de la maison prétendit que c'était le diable qui lui avait enseigné ce mot. La fille aima mieux se laire que se justifier: son silence fut regardé comme un aveu. L'inquisition la convainquit d'avoir fait un pacte avec le diable. Elle fut condamnée à être brûlée, parce qu'elle avait beaucoup de bien de sa mère, et que la confiscation appartenait de droit aux inquisiteurs: elle fut la cent millième victime de la doctrine des démoniaques, des possédés, des exorcismes, et des véritables diables qui ont régné sur la terre.

DENIS (SAINT) L'ARÉO PAGITE,

Et la fameuse éclipse.

L'auteur de l'article Apocryphe a négligé une centaine d'ouvrages reconnus pour tels, et qui étant entièrement oubliés, semblaient ne pas mériter d'entrer dans sa liste. Nous avons cru devoir ne pas omettre saint Denis, surnommé l'Areopagite, qu'on a prétendu longtemps avoir été disciple de saint Paul et d'un Hiérothée, compagnon de saint Paul, qu'on n'a jamais connu. II fut, dit-on, sacré évêque d'Athènes par saint Paul luimême. Il est dit dans sa vie qu'il alla rendre une visite dans Jérusalem à la sainte Vierge, et qu'il la trouva si belle et si majestueuse, qu'il fut tenté de l'adorer.

Après avoir long-temps gouverné l'église d'Athènes,

il alla conférer avec saint Jean l'Évangéliste à Éphèse, ensuite à Rome avec le pape Clément ; de là il alla exercer son apostolat en France; « et sachant, dit l'histoire, » que Paris était une ville riche, peuplée, abondante,et » comme la capitale des autres, il vint y planter une >> citadelle pour battre l'enfer et l'infidélité en ruine. »

On le regarda très long-temps comme le premier évêque de Paris. Harduinus, l'un de ses historieus, ajoute qu'à Paris on l'exposa aux bêtes; mais qu'ayant fait le signe de la croix sur elles, les bêtes se prosternèrent à ses pieds. Les païens parisiens le jetèrent alors dans un four chaud; il en sortit frais et en parfaite santé. On le crucifia; quand il fut crucifié, il se mit à prêcher du haut de la potence.

On le ramena en prison avec Rustique et Éleuthère ses compagnons. Il dit la messe; saint Rustique servit de diacre, Eleuthère de sous-diacre. Enfin on les mena tous trois à Montmartre, et on leur trancha la tête, après quoi ils ne dirent plus de messe.

Mais, selon Harduinus, il arriva un bien plus grand miracle; le corps de saint Denis se leva debout, prit sa tête entre ses mains; les anges l'accompagnaient en chantant: Gloria tibi, Domine, alleluia. Il porta sa tête jusqu'à l'endroit où on lui bâtit une église, qui est la fameuse église, de Saint Denis.

Métaphraste, Harduinus, Hincmar, évêque de Reims, disent qu'il fut martyrisé à l'àge de quatre-vingt-onze ans; mais le cardinal Baronius prouve qu'il en avait cent dix (1), en quoi il est suivi par Ribadeneira, savant auteur de la Fleur des saints. C'est sur quoi nous ne prenons point de parti.

On lui attribue dix-sept ouvrages, dont malheureusement nous en avons perdu six. Les onze qui nous restent, ont été traduits du grec, par Jean Scot, Hugues de Saint-Victor, Albert dit le Grand, et plusieurs autres savants illustres.

(1) Baron, tome II page 37.

Il'est vrai que depuis que la saine critique s'est introduite dans le monde, on est convenu que tous les livres qu'on attribue à Denis furent écrits par un imposteur, l'an 362 de notre ère; et il ne reste plus sur cela de difficultés.

De la grande éclipse observée par Denis.

Ce qui a surtout excité une grande querelle entre les savants, c'est ce que rapporte un des auteurs inconnus de la vie de saint Denis. On a prétendu que ce premier évêque de Paris étant en Égypte dans la ville de Diospolis ou No-Ammon, à l'âge de vingt-cinq ans, et n'étant pas encore chrétien, il y fut témoin, avec un de ses amis, de la fameuse éclipse du soleil arrivée dans la pleine lune à la mort de Jésus-Christ, et qu'il s'écria en grec: « Ou Dieu pâtit, ou il s'afflige avec le patient.

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Ces paroles ont été diversement rapportées par divers auteurs; mais dès le temps d'Eusèbe de Césarée on prétendait que deux historiens, l'un nommé Phlégon et l'autre Thallus, avaient fait mention de cette éclipse miraculeuse; Eusèbe de Césarée cite Phlegon, mais nous n'avons plus ses ouvrages. Il disait, à ce qu'on prétend, que cette éclipse arriva la quatrième année de la deux centième olympiade, qui serait la dix-huitième année de Tibère. Il y a sur cette anecdote plusieurs leçons, et on peut se défier de toutes, d'autant plus qu'il reste à savoir si on comptait encore par olympiades du temps de Phlegon; ce qui est fort douteux.

Ce calcul important intéressa tous les astronomes; Hodgson, Wiston, Gale, Maurice,et le fameux Halley, ont démontré qu'il n'y avait point eu d'éclipse de soleil cette année; mais que dans la première année de la deux cent deuxième olympiade, le 24 novembre, il en arriva une qui obscurcit le soleil pendant deux minutes à une heure et un quart à Jérusalem.

On a encore été plus loin; un jésuite nommé Gres

lon prétendit que les Chinois avaient conservé dans leurs annales la mémoire d'une éclipse arrivée à peu près dans ce temps-là, contre l'ordre de la nature. On pria les mathématiciens d'Europe d'en faire le calcul. Il était assez plaisant de prier des astronomes de calculer une éclipse qui n'était pas naturelle. Enfin, il fut avéré que les annales de la Chine ne parlent en aucune manière de cette éclipse (1).

Il résulte de l'histoire de saint Denis l'Aréopagite, et du passage de Phlegon, et de la lettre du jésuite Greslon, que les hommes aiment fort à en imposer. Mais sette prodigieuse multitude de mensonges, loin de faire du tort à la religion chrétienne, ne sert au contraire qu'à en prouver la divinité, puisqu'elle s'est affermie de jour en jour malgré eux.

DÉNOMBREMENT.

SECTION PREMIÈRE.

Les plus anciens dénombrements que l'histoire nous ait laissés, sont ceux des Israélites. Ceux-là sont indubitables puisqu'ils sont tirés des livres juifs.

On ne croit pas qu'il faille compter pour un dénombrement la fuite des Israélites au nombre de six cent mille hommes de pied, parce que le texte ne les spécifie pas tribu par tribu (2); il ajoute qu'une troupe innombrable de gens ramassés se joignit à eux ; ce n'est qu'un récit.

Le premier dénombrement circonstancié est celui qu'on voit dans le livre du Vaiedaher, et que nous nommons les Nombres (3). Par le recensement que Moyse et Aaron firent du peuple dans le désert, on trouva en comptant toutes les tribus, excepté celle de Lévi, six

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cent trois mille cinq cent cinquante hommes en état de porter les armes; et si vous y joignez la tribu de Lévi, supposée égale en nombre aux autres tribus, le fort portant le faible, vous aurez six cent cinquante-trois mille neuf cent trente-cinq hommes, auxquels il faut ajouter un nombre égal de vieillards, de femmes et d'enfants, ce qui composera deux millions six cent quinze mille sept cent quarante-deux personnes parties de l'Égypte.

Lorsque David, à l'exemple de Moïse, ordonna le recensement de tout le peuple (1), il se trouva huit cent mille guerriers des tribus d'Israël, et cinq cent mille de celle de Juda, selon le livre des Rois; mais, selon les Paralipomènes (2), on compta onze cent mille guerriers dans Israël, et moius de cinq cent mille dans Juda.

Le livre des Rois exclut formellement Lévi et Benjamin; et les Paralipomènes ne les comptent pas. Si donc on joint ces deux tribus aux autres, proportion gardée, le total des guerriers sera de dix-neuf cent vingt mille. C'est beaucoup pour le petit pays de la Judée, dont la moitié est composée de rochers affreux et de cavernes. Mais c'était un miracle.

Ce n'est pas à nous d'entrer dans les raisons pour lesquelles le souverain arbitre des rois et des peuples punit David de cette opération qu'il avait commandée luimême à Moïse. Il nous appartient encore moins de rechercher pourquoi Dieu étant irrité contre David, c'est le peuple qui fut puni pour avoir été dénombré. Le prophète Gad ordonna au roi de la part de Dieu de choisir la guerre, la famine, ou la peste; David accepta la peste, et il en mourut soixante et dix mille Juifs en trois jours.

Saint Ambroise, dans son livre de la Pénitence, et saint Augustin dans son livre contre Fauste, reconnais

(1) Liv. II des Rois, Ch XXIV.

(2) Liv. I des Paralip. Chap. XXI, v. 5.

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