Page images
PDF
EPUB

et respectable cet enfant et ses camarades sont des étourdis qui méritent une correction paternelle. Vous arrachez à l'état des citoyens qui pourraient un jour le servir; vous vous souillez du sang innocent, et vous êtes plus cruels que les Cannibales. Vous vous rendez exécrables à la dernière postérité. Quel motif a été assez puissant pour éteindre ainsi en vous la raison, la justice, l'humanité, et pour vous changer en bêtes féroces? Le malheureux juge répondit enfin : Nous avions eu des querelles avec le clergé d'Ancône : il nous accusait d'être trop zélés pour les libertés de l'Église lombarde, et par conséquent de n'avoir point de religion. J'entends, dit le Milanais; vous avez été assassins pour paraître chrétiens. A ces mots le juge tomba par terre comme frappé de la foudre : ses confrères perdirent depuis leurs emplois, ils crièrent qu'on leur fesait injustice; ils oubliaient celle qu'ils avaient faite, et ne s'apercevaient pas que la main de Dieu était sur eux (1).

[ocr errors]

Pour que sept personnes se donnent légalement l'amusement d'en faire périr une huitième en public à coups de barre de fer sur un théâtre; pour qu'ils jouissent du plaisir secret et mal démêlé dans leur cœur, de voir comment cet homme souffrira son supplice, et d'en parler ensuite à table avec leurs femmes et leurs voisins; pour que des exécuteurs qui font gaîment ce métier, comptent d'avance l'argent qu'ils vont gagner; pour que le public coure à ce spectacle comme à la foire, etc.; il faut que le crime mérite évidemment ce supplice du consentement de toutes les nations policées, et qu'il soit nécessaire au bien de la société; car il s'agit ici de l'humanité entière. Il faut surtout que l'acte du délit soit démontré non comme une proposition de géométrie, mais autant qu'un fait peut l'être.

(1) Voyez dans le vol. de Politique et de Législation, la Re: lation de la mort du chevalier de La Barre, et le dernier Chapitre de l'Histoire du Parlement.

Si contre cent mille probabilités que l'accusé est coupable, il y en a une seule qu'il est innocent, cette seule doit balancer toutes les autres.

Question si deux témoins suffisent pour faire pendre un homme.

On s'est imaginé long-temps, et le proverbe en est resté, qu'il suffit de deux témoins pour faire pendre un homme en sûreté de conscience. Encore une équivoque! Les équivoques gouvernent donc le monde ? Il est dit dans saint Matthieu ( ainsi que nous l'avons déjà remarqué): « Il suffira de deux ou trois témoins pour récon

cilier deux amis brouillés; » et d'après ce texte, on a réglé la jurisprudence criminelle, au point de statuer que c'est une loi divine de tuer un citoyen sur la déposition uniforme de deux témoins qui peuvent être des scélérats! Une foule de témoins uniformes ne peut constater une chose improbable niée par l'accusé: on l'a déjà dit. Que faut-il donc faire en ce cas ? attendre, remettre le jugement à cent ans, comme fesaient les Athéniens.

Rapportons ici un exemple frappant de ce qui vient de se passer sous nos yeux à Lyon. Une femme ne voit pas revenir sa fille chez elle vers les onze heures du soir; elle court partout; elle soupçonne sa voisine d'avoir caché sa fille; elle la redemande; elle l'accuse de l'avoir prostituée. Quelques semaines après, des pêcheurs trouvent dans le Rhône, à Condrieux, une fille noyée et toute en pourriture. La femme dont nous avons parlé croit que c'est sa fille. Elle est persuadée par les ennemis de sa voisine qu'on a déshonoré sa fille chez cette voisine mêqu'on l'a étranglée, qu'on la jetée dans le Rhône. Elle le dit, elle le crie; la populace le répète. Il se trouve bientôt des gens qui savent parfaitement les moindres détails de ce crime. Toute la ville est en rumeur; toutes les bouches crient vengeance. Il n'y a rien jusque-là que d'assez commun dans une populace sans jugement; mais

me,

voici le rare, le prodigieux. Le propre fils de cette voisine, un enfant de cinq ans et demi, accuse sa mère d'avoir fait violer sous ses yeux cette malheureuse fille retrouvée dans le Rhône, de l'avoir fait tenir par cinq hommes pendant que le sixième jouissait d'elle. Il a entendu les paroles que prononçait la violée; il peint ses attitudes; il a vu sa mère et ces scélérats étrangler cette infortunée immédiatement après la consommation. Il a vu sa mère et les assassins la jeter dans un puits, l'en retirer, l'envelopper dans un drap; il a vu ces monstres la porter en triomphe dans les places publiques, danser autour du cadavre et le jeter enfin dans le Rhône. Les juges sont obligés de mettre aux fers tous les prétendus complices; des témoins déposent contre eux. L'enfant est d'abord entendu, et il soutient avec la naïveté de son âge tout ce qu'il a dit d'eux et de sa mère. Comment dit la pas imaginer que cet enfant n'ait vérité? Le pure crime n'est pas vraisemblable; mais il l'est encore moins qu'à cinq ans et demi on calomnie ainsi sa mère; qu'un enfant répète avec uniformité toutes les circonstances d'un crime abominable et inouï, s'il n'en a pas été témoin oculaire, s'il n'en a point été vivement frappé, si la force de la vérité ne les arrache à sa bouche.

Tout le peuple s'attend à repaître ses yeux du supplice des accusés.

Quelle est la fin de cet étrange procès criminel? Il n'y avait pas un mot de vrai dans l'accusation. Point de fille violée, point de jeunes gens assemblés chez la femme accusée, point de meurtre, pas la moindre aventure,

pas

le moindre bruit. L'enfant avait été suborné, et par qui? chose étrange, mais vraie! par deux autres enfants qui étaient fils des accusateurs. Il avait été sur le point de faire brûler sa mère pour avoir des confitures.

Tous les chefs d'accusation réunis étaient impossibles. Le présidial de Lyon, sage et éclairé, après avoir déféré à la fureur publique au point de rechercher les preuves

les plus surabondantes pour et contre les accusés, les absout pleinement et d'une voix unanime.

Peut-être autrefois aurait-on fait rouer et brûler tous les accusés innocents,à l'aide d'un monitoire, pour avoir le plaisir de faire ce qu'on appelle une justice, qui est la tragédie de la canaille.

CRIMINALISTE

DANS les antres de la chicane, on appelle grand criminaliste, un barbare en robe qui sait faire tomber les accusés dans le piége, qui ment impudemment pour découvrir la vérité, qui intimide des témoins, et qui les force, sans qu'ils s'en aperçoivent, à déposer contre le prévenu: s'il y a une loi antique et oubliée portée dans un temps de guerres civiles, il la fait revivre, il la réclame dans un temps de paix. Il écarte, il affaiblit tout ce qui peut servir à justifier un malheureux; il amplifié, il aggrave tout ce qui peut servir à le condamner; son rapport n'est pas d'un juge, mais d'un ennemi. Il mérite d'être pendu à la place du citoyen qu'il fait pendre.

CRIMINEL.

Procès criminel.

Ora puni souvent par la mort des actions très inno. centes; c'est ainsi qu'en Angleterre Richard III et Édouard IV firent condamner par des juges ceux qu'ils soupçonnaient de ne leur être pas attachés. Ce ne sont pas là des procès criminels, ce sont des assassinats compar des meurtriers privilégiés. Le dernier degré de la perversité est de faire servir les lois à l'injustice.

mis

On a dit que les Athéniens punissaient de mort tout! étranger qui entrait dans l'église, c'est-à-dire dans l'assemblée du peuple. Mais si cet étranger n'était qu'un curieux, rien n'était plus barbare que de le faire mourir. El est dit dans l'Esprit des Lois qu'on usait de cette ri

gueur « parce que cet homme usurpait les droits de » la souveraineté. » Mais un Français qui entre à Londres dans la chambre des communes pour entendre ce qu'on y dit, ne prétend point faire le souverain. On le reçoit avec bonté. Si quelque membre de mauvaise humeur demande le clear the house, « éclaircissez la » chambre, » mon voyageur l'éclaircit en s'en allant; il n'est point pendu. Il est croyable que si les Athéniens ont porté cette loi passagère, c'était dans un temps où l'on craignait qu'un étranger ne fût un espion, et non qu'il s'arrogeât les droits de souverain. Chaque Athénien opinait dans sa tribu; tous ceux de la tribu se connaissaient; un étranger n'aurait pu aller porter sa fêve.

Nous ne parlons ici que des vrais procès criminels. Chez les Romains tout procès criminel était public. Le citoyen accusé des plus énormes crimes avait un avocat qui plaidait en sa présence, qui fesait même des interrogations à la partie adverse, qui discutait tout devant ses juges. On produisait à portes ouvertes tous les témoins pour ou contre, rien n'était secret. Cicéron plaida pour Milon, qui avait assassiné Clodius, en plein jour, à la vue de mille citoyens. Le même Cicéron prit en main la cause de Roscius Amérinus accusé de parricide. Un seul juge n'interrogeait pas en secret des témoins, qui sont d'ordinaire des gens de la lie du peuple, auxquels on fait dire ce qu'on veut.

Un citoyen romain n'était pas appliqué à la torture sur l'ordre arbitraire d'un autre citoyen romain qu'un contrat eût revêtu de ce droit cruel. On ne fesait pas cet horrible outrage à la nature humaine dans la personne de ceux qui étaient regardés comme les premiers des hommes, mais seulement dans celle des esclaves regardés à peine comme des hommes. Il eût mieux valu ne point employer la torture contre les esclaves même (1). (1) Voyez TORTURS,

« PreviousContinue »