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change selon les temps et selon les lieux. Nous ne fesons ici que raconter, et nous ne controversons jamais.

Des clers du secret, devenus depuis secrétaires d'état et ministres.

Les clercs du secret, clercs du roi, qui sont devenus depuis secrétaires d'état en France et en Angleterre, étaient originairement notaire du roi; ensuite on les nomma secrétaires des commandements. C'est le savant et laborieux Pasquier qui nous l'apprend. Il était bien instruit, puisqu'il avait sous ses yeux les registres de la chambre des comptes, qui de nos jours ont été consumés par un incendie.

A la malheureuse paix du Catau-Cambresis, en 1558, un clerc de Philippe II ayant pris le titre de secrétaire d'état, l'Aubépine, qui était clerc secrétaire des commandements du roi de France et son notaire, prit aussi le titre de secrétaire d'état, afin que les dignités fussent égales, si les avantages de la paix ne l'étaient pas.

En Angleterre, avant Henri VIII, il n'y avait qu'un secrétaire du roi, qui présentait debout les mémoires et requêtes au conseil. Henri VIII en créa deux, et leur donna les mêmes titres et les mêmes prérogatives qu'en Espagne. Les grands seigneurs alors n'acceptaient pas ces places; mais avec le temps elles sont devenues si considérables, que les pairs du royaume et les généraux des arinées en ont été revêtus. Ainsi tout change. Il ne reste rien en France du gouvernement de Hugues surnommé Capet, ni en Angleterre de l'administration de Guillaume surnommé le Batard.

CLIMAT.

Hic segetes, illic veniunt feliciùs uvæ:
Arborei fætus alibi atque injussa virescunt
Gramina. Nonne vides, croceos ut Tmolus odores,
India mittit ebur, molles sua thura Sabai?
Ut Chalybes nudi ferrum, virosaque Pontus
Castorca, Eliadumpalmas Epirus equarum?

Il faut ici se servir de la traduction de M. l'abbé Delille, dont l'élégance en tant d'endroits est égale au mérite de la difficulté surmontée.

Ici sont des vergers qu'enrichit la culture;
Là règne un vert gazon qu'entretient la nature;
Le Tmole est parfumé d'un safran précieux;
Dans les champs de Saba l'encens croît pour les dieux
L'Euxin voit le castor se jouer dans ses ondes;
Le Pont s'enorgueillit de ses mines fécondes;
L'Inde produit l'ivoire; et dans ses champs guerriers
L'Épire pour l'Élide exerce ses coursiers.

Il est certain que le sol et l'atmosphère signalent leur empire sur toutes les productions de la nature, à commencer par l'homme, et à finir par les champignons. Dans le grand siècle de Louis XIV,l'ingénieux Fontenelle a dit:

« On pourrait croire que la zone torride et les deux » glaciales ne sont pas fort propres pour les sciences: jus» qu'à présent elles n'ont point passé l'Egypte et la Mau>> ritanie d'un côté, et de l'autre la Suède. Peut-être n'a» ce pas été par hasard qu'elles se sont tenues entre le » mont Atlas et la mer Baltique. On ne sait si ce ne sont >> point là les bornes que la nature leur a posées et si l'on » peut espérer de voir jamais de grands auteurs lapons » ou nègres. >>

Chardin, l'un de ces voyageurs qui raisonnent et qui approfondissent, va encore plus loin que Fontenelle, en parlant de la Perse (1). « La température des climats » chauds, dit-il, énerve l'esprit comme le corps. et dis» sipe ce feu nécessaire à l'imagination pour l'invention. >> On n'est pas capable dans ces climats-là de longues » veilles et de cette forte application qui enfantent les ou» vrages des arts libéraux et des arts mécaniques, etc. »

Chardin ne songeait pas que Sadi et Lokman étaient persans. Il ne fesait pas attention qu'Archimède était (1) Chardin, Chap, VII.

de Sicile, où la chaleur est plus grande que dans les trois quarts de la Perse. Il oubliait que Pythagore apprit autrefois la géométrie chez les brachmanes.

L'abbé Dubos soutint et développa, antant qu'il le put, ce sentiment de Chardin.

Cent cinquante ans avant eux Bodin en avait fait la base de son système, dans sa République et dans sa Méthode de l'histoire; il dit que l'influence du climat est le principe du gouvernement des peuples et de leur reli. gion.

Diodore de Sicile fut de ce sentiment long-temps avant Bodin.

L'auteur de l'Esprit des Lois, sans citer personne, poussa cette idée encore plus loin que Dubos, Chardin et Bodin. Une certaine partie de la nation l'en crut l'inventeur, et lui en fit un crime. C'est ainsi que cette partie de la nation est faite. Il y a partout des gens qui ont plus d'enthousiasme que d'esprit.

On pourrait demander à ceux qui soutiennent que l'atmosphère fait tout, pourquoi l'empereur Julien dit, dans son Misopogon, que ce qui lui plaisait dans les Parisiens, c'était la gravité de leur caractère et la sévérité de leurs mœurs; et pourquoi ces Parisiens, sans que le climat ait changé, sont aujourd'hui des enfants badins à qui le gouvernement donne le fouet en riant, et qui rient eux-mêmes le moment d'après, et chansonnent leurs précepteurs?

Pourquoi les Égyptiens, qu'on nous peint encore plus graves que les Parisiens, sont aujourd'hui le peuple le plus mou, le plus frivole et le plus lâche, après avoir, dit-on, conquis autrefois toute la terre pour leur plaisir, sous un roi nommé Sésostris?

Pourquoi, dans Athènes, n'y a-t-il plus d'Anacréon, ni d'Aristote, ni de Zeuxis?

D'où vient que Rome a pour ses Cicéron, ses Caton et ses Tite-Live, des citoyens qui n'osent parler, et une po

pulace de gueux abrutis, dont le suprême bonheur est 'd'avoir quelquefois de l'huile à bon marché, et de voir défiler des processions?

Cicéron plaisante beaucoup sur les Anglais dans ses lettres. Il prie Quintus son frère, lieutenant de César, de lui mander s'il avait trouvé de grands philosophes parmi eux, dans l'expédition d'Angleterre. Il ne se doutait pas qu'un jour ce pays pût produire des mathématiciens qu'il n'aurait jamais pu entendre. Cependant le climat n'a point changé; et le ciel de Loudres est tout aussi nébuleux qu'il l'était alors.

Tout change dans les corps et dans les esprits, avec le temps. Peut-être un jour les Américains viendront enseigner les arts aux peuples de l'Europe.

Le climat a quelque puissance, le gouvernement cent fois plus; la religion jointe au gouvernement, encore davantage.

Influence du climat.

Le climat influe sur la religion en fait de cérémonies ét d'usages. Un législateur n'aura pas eu de peine à faire baigner des Indiens dans le Gange, à certains temps de la lune; c'est un grand plaisir pour eux. On l'aurait lapidé, s'il eût proposé le même bain aux peuples qu habitent les bords de la Duina, vers Archangel. Défendez le porcà un Arabe qui aurait la lèpre s'il mangeait de cette chair très mauvaise et très dégoutante dans son pays, il vous obeira avec joie. Faites la même défense à un Westphalien, il sera tenté de vous battre.

L'abstinence du vin est un bon précepte de religion dans l'Arabie, où les eaux d'orange, de citron, de limon, sont nécessaires à la santé. Mahomet n'aurait pas peutêtre, défendu le vin en Suisse, surtout avant d'aller au combat.

Il y a des usages de pure fantaisie. Pourquoi les prêtres d'Égypte imaginèrent-ils la circoncision ? ce n'est

pas pour la santé. Cambyse qui les traita comme ils le méritaient, eux et leur boeuf Apis, les courtisans de Cambyse, les soldats de Cambyse, n'avaient point fait rogner leurs prépuces, et se portaient fort bien. La raison du climat ne fait rien aux parties génitales d'un prêtre. On offrait son prépuce à Isis, probablement comme on présenta partout les prémices des fruits de la terre. C'était offrir les prémices du fruit de la vie.

Les religions ont toujours roulé sur deux pivots ; observance et croyance : l'observance tient, en grande partie, au climat; la croyance n'en dépend point. On fera tout aussi bien recevoir un dogme sous l'équateur et sous le cercle polaire. Il sera ensuite également rejeté à Batavia et aux Orcades, tandis qu'il sera soutenu unguibus et rostro à Salamanque. Cela ne dépend point du sol et de l'atmosphère, mais uniquement de l'opinion, cette reine inconstante du monde.

Certaines libations de vin seront de précepte dans un pays de vignoble, et il ne tombera point dans l'esprit d'un législateur d'instituer en Norvège des mystères sacrés qui ne pourraient s'opérer sans vin.

Il sera expressément ordonné de brûler de l'encens dans le parvis d'un temple où l'on égorge des bêtes à l'honneur de la divinité, et pour le souper des prêtres. Cette boucherie, appelée temple, serait un lieu d'infection abominable, si on ne le purifiait pas continuellement: et, sans le secours des aromates, la religion des anciens aurait apporté la peste. On ornait même l'intérieur des temples de festons de fleurs, pour rendre l'air plus doux.

On ne sacrifiera point de vache dans le pays brûlant de la presqu île des Indes, parce que cet animal, qui nous fournit un lait nécessaire, est très rare dans une campagne aride, que sa chair y est sèche, coriace, trẻs peu nourrissante, et que les brachmanes feraient très mauvaise chère. Au contraire, la vache deviendra sacrée, attendu sa rareté et son utilité.

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