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N'accusons donc point les erreurs de nos sens avec Mallebranche: des lois constantes de la nature, émanées de la volonté immuable du Tout-Puissant, et proportionnées à la constitution de nos organes, ne peuvent

être des erreurs.

Nous ne pouvons voir que les apparences des choses, et non les choses mêmes. Nous ne sommes pas plus trompés quand le soleil, ouvrage de Dieu, cet astre un million de fois aussi gros que notre terre, nous paraît plat, et large de deux pieds, que lorsque dans un miroir convexe, ouvrage de nos mains, nous voyons un homme sous la dimension de quelques pouces.

Si les mages chaldéens furent les premiers qui se servirent de l'intelligence que Dieu leur donna pour mesurer et mettre à leur place les globes célestes, d'autres peuples plus grossiers ne les imitèrent pas.

Ces peuples enfants et sauvages imaginèrent la terre plate, soutenue dans l'air, je ne sais comment, par son propre poids; le soleil, la lune et les étoiles marchant continuellement sur un cintre solide, qu'on appela plaque firmament; ce cintre portant de eaux, et ayant des portes d' 'espace en espace; les eaux sortant par ces portes pour humecter la terre.

Mais comment le soleil, la lune et tous les astres reparaissaient-ils après s'être couchés? on n'en savait rien. Le ciel touchait à la terre plate; il n'y avait pas moyen que le soleil, la lune et les étoiles tournassent sous la terre, et allassent se lever à l'orient après s'être couchés à l'occident. Il est vrai que ces ignorants avaient raison par hasard, en ne concevant pas que le soleil et les étoiles fixes tournassent autour de la terre. Mais ils étaient bien loin de soupçonner le soleil immobile, et la terre avec son satellite tournant autour de lui dans l'espace avec les autres planètes. Il y avait plus loin de leurs fables au vrai système du monde, que des ténèbres à la lumière.

Ils croyaient que le soleil et les étoiles revenaient par des chemins inconnus, après s'être délassés de leur course dans la mer Méditerranée, on ne sait pas précisément dans quel endroit. Il n'y avait pas d'autre astronomie, du temps même d'Homère, qui est si nouveau; car les Chaldéens tenaient leur science secrète pour se faire plus respecter des peuples. Homère dit plus d'une fois que le soleil se plonge dans l'Océan (et encore cet océan c'est le Nil): c'est là qu'il répare par la fraîcheur des eaux, pendant la nuit, l'épuisement du jour; après quoi il va se rendre au lieu de son lever par des routes inconnues aux mortels. Cette idée ressemble beaucoup à celle du baron de Feneste, qui dit que si on ne voit pas le soleil quand il revient c'est qu'il revient de nuit.

Comme alors la plupart des peuples de Syrie et les Grecs connaissaient un peu l'Asie et une petite partie de l'Europe, et qu'ils n'avaient aucune notion de tout ce qui est au nord du Pont-Euxin, et au midi du Nil, ils établirent d'abord que la terre était plus longue que large d'un grand tiers; par conséquent le ciel qui touchait à la terre, et qui l'embrassait, était aussi plus long que large. De là nous vinrent les degrés de longitude et de latitude, dout nous avons toujours conservé les noms, quoique nous ayons réformé la chose.

Le livre de Job, composé par un ancien Arabe, qui avait quelque connaissance de l'astronomie, puisqu'il parle des constellations, s'exprime pourtant ainsi : « Où >> étiez-vous quand je jetais les fondements de la terre? >> qui en a pris les dimensions? sur quoi ses bases » tent-elles? qui a posé sa pierre angulaire ? »>

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et

Le moindre écolier lui répondrait aujourd'hui: La terre n'a ni pierre angulaire, ni base, ni fondement; à l'égard de ses dimensions, nous les connaissons très bien, puisque depuis Magellan jusqu'à M. de Bougainville, plus d'un navigateur en a fait le tour.

Le même écolier fermerait la bouche au déclamateur

Lactance, et à tous ceux qui ont dit avant et après lui que la terre est fondée sur l'eau, et que le ciel ne peut -être au-dessous de la terre; et que par conséquent il est ridicule et impie de soupçonner qu'il y ait des antipo

. des.

C'est une chose curieuse de voir avec quel dédain, avec quelle pitié Lactance regarde tous les philosophes qui depuis quatre cents ans commençaient à connaître le cours apparent du soleil et des planètes, la rondeur de la terre, la liquidité, la non-résistance des cieux, au travers desquels les planètes couraient dans leurs orbites, etc. Il recherche (1) « par quels degrés les philoso»phes sont parvenus à cet excès de folie de faire de la >> terre une boule, et d'entourer cette boule du ciel. » Ces raisonnements sont dignes de tous ceux qu'il fait sur les sibylles.

Notre écolier dirait à tous ces docteurs: Apprenez qu'il n'y a point de cieux solides placés les uns sur les autres, comme on vous l'a dit; qu'il n'y a point de cercles réels dans lesquels les astres courent sur une prétendue plaque:

Que le soleil est le centre de notre monde planétaire. Que la terre et les planètes roulent autour de lui, dans l'espace, non pas en traçant des cercles, mais des ellipses.

Apprenez qu'il n'y a ni dessus ni dessous, mais que les planètes, les comètes tendent toutes vers le soleil, leur centre, et que le soleil tend vers elles, par une gravitation éternelle.

Lactance et les autres babillards seraient bien étonnés en voyant le système du monde tel qu'il est.

(1) Lactance, Liv. III, Chap. XXIV. Etle clergé de France assemblé solenellement en 1770, dans le dix-huitième siècle, citait sérieusement comme un Père de l'Eglise ce Lactance: dont les élèves de l'école d'Alexandrie se seraient moqués de son temps, s'ils avaient daigné jeter les yeux sur ses rapsoj

CIEL DES ANCIENS.

Si un vers à soie donnait le nom de ciel au petit duvet qui entoure sa coque, il raisonnerait aussi bien que firent tous les anciens, en donnant le nom de ciel à l'atmosphère, qui est, comme dit très bien M. de Fonteneile dans ses Mondes, le duvet de notre coque.

Les vapeurs qui sortent de nos mers et de notre terre, et qui forment les nuages, les météores et les tonnerres, furent prises d'abord pour la demeure des dieux. Les dieux descendent toujours dans des nuages d'or chez Homère; c'est de là que les peintres les peigent encore aujourd'hui assis sur une nuée. Comment est-on assis sur l'eau ? Il était bien juste que le maître des dieux fùt plus à son aise que les autres: on lui donna un aigle pour le porter, parce que l'aigle vole plus haut

autres oiseaux.

que les

Les anciens Grecs voyant que les maîtres des villes demeuraient dans des citadelles, au haut de quelque montagne, jugèrent que les dieux pouvaient avoir une citadelle aussi, et la placèrent en Thessalie, sur le mont Olympe, dont le sommet est quelquefois caché dans les nues; de sorte que leur palais était de plain-pied à leur

ciel.

Les étoiles et les planètes, qui semblent attachées à la voûte bleue de notre atmosphère, devinrent ensuite les demeures des dieux; sept d'entre eux eurent chacun leur planète, les autres logèrent où ils purent; le conseil général des dieux se tenait dans une grande salle, à laquelle on allait par la voie lactée; car il fallait bien que les dieux eussent une salle en l'air puisque les hommes avaient des hôtels de ville sur la terre.

Quand les Titans, espèce d'animaux entre les dieux et les hommes, déclarèrent une guerre assez juste à ces dieux-là, pour réclamer une partie de leur héritage du côté paternel, étant fils du Ciel et de la Terre, ils ne

mirent que
deux ou trois montagnes les unes sur les
autres, comptant que c'en était bien assez pour se ren-
dre maîtres du ciel et du château de l'Olympe.

Neve foret terris securior arduus æther,
Affectas ferunt regnum cæleste gigantes,
Altaque congestos struxisse ad sidera montes.

On attaqua le ciel aussi bien que la terre;

Les géants chez les dieux osant porter la guerre,
Entassèrent des monts jusqu'aux astres des nuits.

Il y a pourtant des six cent millions de lieues de ces astres-là et beaucoup plus loin encore de plusieurs étoi les au mont Olympe.

Virgile ne fait point difficulté de dire :

Sub pedibusque videt nubes et sidera Daphnis.
Daphnis voit sous ses pieds les astres et les nues.

Mais où donc était Daphnis?

A l'Opéra, et dans des ouvrages plus sérieux, on fait descendre des dieux au milieu des vents, des nuages et du tonnerre; c'est-à-dire qu'on promène Dieu dans les vapeurs de notre petit globe. Ces idées sont si proportionnées à notre faiblesse, qu'elles nous paraissent grandes.

Cette physique d'enfants et de vieilles était prodigieu sement ancienne; cependant on croit que les Chaldéens avaient des idées presque aussi saines que nous de ce qu'on appelle le ciel; ils plaçaient le soleil au centre de notre monde planétaire, à peu près à la distance de notre globe que nous avons reconnué; ils fesaient tourner la terre et quelques planètes autour de cet astre; c'est ce que nous apprend Aristarque de Samos: c'est à peu près le système du monde que Copernic a perfectionné depuis; mais les philosophes gardaient le secret pour eux, afin d'être plus respectés des rois et du pers ple, ou plutôt pour n'être pas persécutés.

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