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de Cicéron comme un acte de la justice divine ; les triumvirs ne l'auraient pas osé. Tous les siècles jusqu'ici ont détesté et pleuré sa mort:

On reproche à Cicéron de s'être vanté trop souvent d'avoir sauvé Rome, et d'avoir trop aimé la gloire. Mais ses ennemis voulaient flétrir cette gloire. Une faction tyrannique le condamnait à l'exil, et abattait sa maison, parce qu'il avait préservé toutes les maisons de Rome de l'incendie que Catilina leur préparait. Il vous est permis, c'est même un devoir de vanter vos services quand on les méconnaît, et surtout quand on vous en fait un crime.

On admire encore Scipion de n'avoir répondu à ses accusateurs que par ces mots : « C'est à pareil jour que j'ai » vaincu Annibal; allons rendre grâces aux dieux. » Il fut suivi par tout le peuple au Capitole, et nos cœurs l'y suivent encore en lisant ce trait d'histoire; quoique après tout il eût mieux valu rendre ses comptes que se tirer d'affaire par un bon mot.

Cicéron fut admiré de même par le peuple romain le jour qu'à l'expiration de son consulat, étant obligé de faire les serments ordinaires, et se préparant à haranguer le peuple selon la coutume, il en fut empêché par le tribun Métellus, qui voulait l'outrager. Cicéron avait commencé par ces mots : Je jure; le tribun l'interrompit, et déclara qu'il ne lui permettrait pas de haranguer. Il s'éleva un grand murmure. Cicéron s'arrêta un moment; et renforçant sa voix noble et sonore, il dit pour toute harangue: Je jure que j'ai sauvé la patrie. L'assemblée enchantée s'écria: Nous jurons qu'il a dit la vérité. Ce moment fut le plus beau de sa vie. Voilà comme il faut aimer la gloire.

Je ne sais où j'ai lu autrefois ces vers ignorés :

Romains, j'aime la gloire et ne veux point m'en taire';
Des travaux des humains c'est le digne salaire

Ce n'est qu'en vous servant qu'il la faut acheter:
Qui n'ose la vouloir n'ose la mériter (1).

Peut-on mépriser Cicéron si on considère sa conduite dans son gouvernement de la Cilicie, qui était alors une des plus importantes provinces de l'empire romain, en ce quelle confinait à la Syrie et à l'empire des Parthes? Laodicée, l'une des plus belles villes d'orient, en était la capitale cette province était aussi florissante qu'elle est dégradée aujourd'hui sous le gouvernement des Turcs, qui n'ont jamais eu de Cicéron.

Il commence par protéger le roi de Cappadoce Ariobarzane, et il refuse les présents que ce roi veut lui faire. Les Parthes viennent attaquer en pleine paix Antioche; Cicéron y vole, il atteint les Parthes après des marches forcées par le mont Taurus, il les fait fuir, il les poursuit dans leur retraite; Orzace, leur général, est tué avec une partie de son armée.

De là il court à Pendenissum, capitale d'un pays allié des Parthes, il la prend; cette province est soumise. It tourne aussitôt contre les peuples appelés Tiburaniens, il ́les défait; et ses troupes lui défèrent le titre d'empereur qu'il garda toute sa vie. Il aurait obtenu à Rome les honneurs du triomphe sans Caton qui s'y opposa, et qui obligea le sénat à ne décerner que des réjouissances publiques, et des remerciments aux dieux, lorsque c'était à Cicéron qu'on devait en faire.

Si on se représente l'équité, le désintéressement de Cicéron dans son gouvernement, son activité, son affabilité, deux vertus si rarement compatibles, les bienfaits dont il combla les peuples dont il était le souverain absolu, il faudra être bien difficile pour ne pas accorder son

estime à un tel homme.

(1) Acte V, scène II de Rome sauvée, tragédie de l'auteur. Ces vers sont si peu ignorés, que tout Français qui a l'esprit cultivé les sait par cœur. M. de Voltaire a corrigé ainsi le troisième vers dans les dernières éditions de la pièce:

Sénat, en vous servant, il la faut acheter.

Si vous faites réflexion que c'est là ce même Roma qui le premier introduisit la philosophie dans Rome, que ses Tusculanes et son livre de la Nature des dieux sont les deux plus beaux ouvrages qu'ait jamais écrits la sagesse qui n'est qu'humaine, et que son Traité des Offices est le plus utile que nous ayons en morale, il sera encore plus malaisé de mépriser Cicéron. Plaignons ceux qui ne le lisent pas, plaignons encore plus ceux qui ne lui rendent pas justice.

Opposons au détracteur français les vers de l'Espagnol Martial, dans son épigramme contre Antoine:

Quidprosunt sacræ pretiosa silentia linguæ?
Incipient omnes pro Cicerone loqui.

Ta prodigue fureur acheta son silence,
Mais l'univers entier parle à jamais pour lui.

Voyez surtout ce que dit Juvéna! ::

Roma patrem patriæ Ciceronem libera dixit.

CIEL MATÉRIEL.

Les lois de l'optique, fondées sur la nature des choses, ont ordonné que de notre petit globe nous verrons toujours le ciel matériel comme si nous en étions le centre, quoique nous soyons bien loin d'être centre;

Que nous le verrons toujours comme une voûte surbaissée, quoiqu'il n'y ait d'autre voûte que celle de notre atmosphère, laquelle n'est point surbaissée;

Que nous verrons toujours les astres roulant sur cetie voûte, et comme dans un même c rcle, quoiqu'il n'y ait que cinq planètes principales, et dix lunes et un anncau, qui marchent ainsi que nous dans l'espace;

Que notre soleil et notre lune nous paraîtront toujours d'un tiers plus grands à l'horizon qu'au zénith, quoiqu'ils soient plus près de l'observateur au zénith qu'à l'horizon.

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Cette figure représente à peu près en quelle proportion le soleil et la lune doivent être aperçus dans la courbe A B, et comment les astres doivent paraître plus rapprochés les uns des autres dans la même courbe.

1o. Telles sout les lois de l'optique, telle est la nature de vos yeux, que preinièrement le ciel matériel, les nuages, la lune, le soleil qui est si loin de vous, les planètes qui dans leur apogée en sont encore plus loin, tous les astres placées à des distances encore plus immenses, comètes, météores, tout doit vous paraître dans cette voûte surbaissée, composée de votre atmosphère.

2o. Pour moins compliquer cette vérité, observons seulement ici le soleil, qui semble parcourir le cercle A B.

Il doit vous paraître au zénith plus petit qu'à quinze degrés au-dessous, à trente degrés encore plus gros, et enfin à l'horizon encore davantage; tellement que ses dimensions dans le ciel inférieur décroissent en raison de ses hauteurs dans la progression suivante:

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A quarante-cinq degrés.

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Ses grandeurs apparentes dans la voûte surbaissée sont comme ses hauteurs apparentes; et il en est de même de la lune et d'une comète (1).

3o. Ce n'est point l'habitude, ce n'est point l'interposition des terres, ce n'est point la réfraction de l'atmosphère qui causent cet effet. Mallebranche et Régis ont disputé l'un contre l'autre ; mais Robert Smith a calcule(2).

4o. Observez les deux étoiles qui, étant à une prodigieuse distance l'une de l'autre et à des profondeurs très différentes dans l'immensité de l'espace, sont considérées ici comme placées dans le cercle que le soleil semble parcourir. Vous les voyez distantes l'une de l'autre dans le grand cercle, se rapprochant dans le petit par les mêmes lois.

C'est ainsi que vous voyez le ciel matériel. C'est par ces règles invariables de l'optique que vous voyez les planètes tantôt rétrogrades, tantôt stationnaires; elles ne sont rien de tout cela. Si vous étiez dans le soleil, vous verriez toutes les planètes et les comètes rouler régulièrement autour de lui dans les ellipses que Dieu leur assigne Mais vous êtes sur la planète de la terre, dans un coin où vous ne pouvez jouir de tout le spectacle.

(1) Voyez l'Optique de Robert Smith.

(2) L'opinion de Smith est au fond la même que celle de Mallebranche Puisque les astres au zénith et l'horizon sont vus sous un angle à peu près égal, la différence apparente de grandeur ne peut venir que de la même cause qui nous fait juger un corps de cent pouces, vu à cent pieds, plus grand qu'un corps d'un pouce vu à un pied; et cette cause ne peut être qu'nn jugement de l'âme devenu habituel, et dont par cette raison nous avons cessé d'avoir une conscience distincte. (Édit. de Kehl.)

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