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Cette grande charlatanerie était en usage dès long-temps. Peut-on blâmer Scipion de s'en être servi? il fut peutêtre l'homme qui fit le plus d'honneur à la république romaine; mais pourquoi les dieux lui inspirerent-ils de ne point rendre ses comptes?

Numa fit mieux; il fallait policer des briganda et un sénat qui était la portion de ces brigands la plus dificile à gouverner. S'il avait proposé ses lois aux tribus assem blées, les assassins de son prédécesseur lui auraient fait mille difficultés. Il s'adresse à la déesse Égerie, qui lui donne des pandectes de la part de Jupiter; il est obei sans contradiction, et il règne heureux. Ses instructions sont bonnes, son charlatanisme fait du bien; mais si quelque ennemi secret avait découvert la fourberie; si on avait dit: Exterminons un fourbe qui prostitue le nom des dieux pour tromper les hommes, il courait risque d'être envoyé au ciel avec Romulus.

Il est probable que Numa prit très bien ses mesures, et qu'il trompa les Romains pour leur profit, avec une habileté convenable au temps, aux lieux, à l'esprit des premiers Romains.

Mahomet fut vingt fois sur le point d'échouer; mais enfin il réussit avec les Arabes de Médine, et on le crut intimne ami de l'ange Gabriel. Si quelqu'un venait aujourd'hui annoncer dans Constantinople qu'il est le favori de l'ange Raphaël, très supérieur à Gabriel en dignité, et que c'est à lui seul qu'il faut croire, il serait empale en place publique. C'est aux charlatans à bien prendre leur temps.

N'y avait-il pas un peu de charlatanisme dans Socrate avec son démon familier, et la déclaration précise d'Apollon qui le proclama le plus sage de tous les hommes? Comment Rollin, dans son histoire, peut-il raisonner d'après cet oracle? comment ne fait-il pas connaître à la jeunesse que c'était une pure charlataneric? Socrate prit mal son temps. Peut-être cent ans plutôt aurait-il gouverné Athènes.

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Tout chef de secte en philosophie a été un peu charlatan; mais les plus grands de tous ont été ceux qui ont aspiré à la domination. Cromwell fut le plus terrible de tous nos charlatans. Il parut précisément dans le seul temps où il pouvait réussir: sous Élisabeth il aurait été pendu; sous Charles II il n'eût été que ridicule. Il vint heureusement dans le temps où l'on était dégoûté des rois; et son fils, dans le temps où l'on était las d'un protecteur.

De la charlatan erie des sciences et de la littérature.

Les sciences ne pouvaient guère être sans charlatanerie. On veut faire recevoir ses opinions; le docteur subtil veat éclipser le docteur angélique; le docteur' profond veut régner seul. Chacun bâtit son système de physique, de métaphysique, de théologie scolastique; c'est à qui fera valoir sa marchandise. Vous avez des courtiers qui la vantent, des sots qui vous croient, des protceteurs qui vous appuient.

Ya-t-il une charlatanerie plus grande que de mettre des mots à la place des choses, et de vouloir que les autres croient ce que vous ne croyez pas vous-mêmes?

L'un établit des tourbillons de matière subtile, rameuse, globaleuse, striée, cannelée; l'autre, des éléments de matière qui ne sont point matière, et une harmonie préétablie qui fait que l'horloge du corps sonne l'heure, quand l'horloge de l'âme la montre par son aiguille. Ces chimères trouvent des partisans pendant quelques années. Quand ces drogues sont passées de mode, de nouveaux énergumènes montent sur le théâtre ambulant; ils baunissent les germes du monde, ils disent que la mer a produit les montagnes, et que les hommes ont autrefois été poissons.

Combien a-t-on mis de charlatanisme dans l'histoire, soit en étonnant le lecteur par des prodiges, soit en chatouillent la malignité humaine par des satires, soit en flattant des familles de tyrans par d'infàmes éloges!

La malheureuse espèce qui écrit pour vivre est charlatane d'une autre manière. Un pauvre homme qui n'a point de métier, qui a eu le malheur d'aller au college, et qui croit savoir écrire, va faire sa cour à un marchand libraire, et lui demande à travailler. Le marchand libraire sait que la plupart des gens domiciliés veulent avoir de petites bibliothèques, qu'il leur faut des abrégés et des titres nouveaux ; il ordonne à l'écrivain un abrégé de l'Histoire de Rapin Thoyras, un abrégé de l'Histoire de l'Église, Recueil de bons mots tiré du Ménagiana, un Dictionnaire des grands hommes, où l'on place un pédant inconnu à côté de Cicéron, et un sonnettiero d'Italie auprès de Virgile.

un

Un autre marchand libraire commande des romans, ou des traductions de romans. Si vous n'avez pas d'imagination, dit-il à son ouvrier, vous prendrez quelques aventures dans Cyrus, dans Gusman d'Alfarache, dans les Mémoires secrets d'un homme de qualité, ou d'unc femme de qualité; et du total vous ferez un volume de quatre cents pages à vingt sous la feuille.

Un autre marchand libraire donne les gazettes et les almanachs de dix années à un homme de génie. Vous me ferez un extrait de tout cela, et vous me le rapporterez dans trois mois sous le nom d'Histoire fidèle du temps, par monsieur le chevalier de trois étoiles, lieutenant de vaisseau, employé dans les affaires étrangères.

De ces sortes de livres il y en a environ cinquante mille en Europe; et tout cela passe comme le secret de blanchir la de noircir les cheveux, et la panacée peau, universelle.

CHARLES IX.

CHARLES IX, roi de France, était dit-on, un bon poëte Il est sûr que ses vers étaient admirables de son vivant. Brantôme ne dit pas, à la vérité, que ce roi fùt le meilleur poëte de l'Europe; mais il assure « qu'il fesait sur

» tout fort gentiment des quatrains impromptu sans soix»ger (comme il en a vu plusieurs), et quand il fesait » mauvais temps ou pluie, ou d'un extrême chaud, il » envoyait querir messieurs les poëtes en son cabinet, » et là passait son temps avec eux. »

S'il avait toujours passé son temps ainsi, et surtout s'il avait fait de bons vers, nous n'aurions pas eu la Saint-Barthélemi; il n'aurait pas tiré de sa fenêtre avec une carabine sur ses propres sujets comme sur des perdreaux. Ne croyez-vous pas qu'il est impossible qu'un Bon poëte soit un barbare? pour moi, j'en suis persuadé.

On lui attribue ces vers, faits en son nom pour Ronsard:

Ta lyre, qui ravit par de si doux accords,

Te soumet les esprits dont je n'ai que les corps;
Le maître elle t'en rend, et te sait introduire
Où le plus fier tyran ne peut avoir d'empire.

Ces vers sont bons, mais sont-ils de lui? ne sont-ils pas de son précepteur? En voici de son imagination royale qui sont un peu différents:

Il faut suivre ton roi qui t'aime par sus tous,
Pour les vers qui de toi coulent braves et doux;
Et crois, si tu ne viens me trouver à Pontoise,
Qu'entre nous adviendra une très grande noise.

L'auteur de la Saint-Barthélemi pourrait bien avoir fait ceux-là. Les vers de César sur Térence sont écrits avec un peu plus d'esprit et de goût. Ils respirent l'urbanité romaine. Ceux de François Ier et de Charles IX se ressentent de la grossièreté velche. Plût à Dieu que Charles IX eût fait plus de vers même mauvais! Une application constante aux arts aimables adoucit les

mœurs:

Emollit mores nec sinit esse feros,

Au reste, la langue française ne commença à se débrouiller un peu que 1 ng-temps après Charles IX. Voyez les lettres qu'on nous a conservées de François Jer. « Tout est perdu fors l'honneur, » est digne d'un chevalier; mais en voici une qui n'est ni de Cicéron, ni de César:

« Tout a steure ynsi que je me volois mettre o lit est >> arrivé Laval qui m'a aporté la serteneté du lévement » du siége. »

Nous avons quelques lettres de la main de Louis XIII, qui ne sont pas mieux écrites. On n'exige pas qu'un roi écrive des lettres comme Pline, ni qu'il fasse des vers comme Virgile; mais personne n'est dispensé de bien parler sa langue. Tout prince qui écrit comme une femme de chambre a été fort mal élevé.

CHEMINS.

Il n'y a pas long-temps que les nouvelles nations de l'Europe out commencé à rendre les chemins praticables, et à leur donner quelque beauté. C'est un des grands soins des empereurs mogols et de ceux de la Chine; mais ces princes n'ont pas approché des Romains. La voie Appienne, l'Aurélienne, la Flaminienne, l'Émilienne, la Trajane, subsistent encore. Les seuls Romains pouvaient faire de tels chemins, et seuls pouvaient les ré

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Bergier, qui d'ailleurs a fait un livre utile, insiste beaucoup sur ce que Salomon employa trente mille Juifs pour couper du bois sur le Liban, quatre-vingt mille pour maçonner son temple, soixante et dix mille pour les charrois, et trois mille six cents pour présider aux travaux. Soit: mais il ne s'agissait pas là de grands che

mins.

Pliue dit qu'on employa trois cent mille hommes pendant vingt ans pour batir une pyramide en Égypte : je le veux croire; mais voilà trois cent mille hommes

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