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vient-il aux hommes que Notre-Dame de Lorette ait un plus beau trésor que le sultan des Turcs? Lorette est une maison de vanité, et non de charité.

Londres, en comptant les écoles de charité, a autant de maisons de bienfesance que Rome.

Le plus beau monument de bienfesance qu'on ait jamais élevé, est l'hôtel des Invalides fondé par Louis XIV.

De tous les hôpitaux, celui où l'on reçoit journellement le plus de pauvres malades, est l'Hôtel-Dieu de Paris. II y en a souvent entre quatre à cinq mille à la fois. Dans la multitude nuit à la charité même. C'est en même temps le réceptacle de toutes les horribles misères humaines, et le temple de la vraie vertu qui consiste à les secourir.

ce cas,

Il faudrait avoir souvent dans l'esprit le contraste d'une fête de Versailles, d'un opéra de Paris, où tous les plaisirs et toutes les magnificences sont réunis avec tant d'art; et d'un Hôtel-Dieu où toutes les douleurs, tous les dégoûts et la mort sont entassés avec tant d'horreurs. C'est ainsi que sont composées les grandes villes.

Par une police adınirable, les voluptés même et le luxe servent la misère et la douleur. Les spectacles de Paris ont payé, année commune, un tribut de plus de cent mille écus à l'hôpital.

Dans ces établissements de charité, les inconvénients ont souvent surpassé les avantages. Une preuve des abus attachés à ces maisons, c'est que les malheureux qu'on y transporte craignent d'y être.

L'Ilôtel-Dieu, par exemple, était très bien placé autrefois dans le milieu de la ville auprès de l'Évêché. Il l'est très mal quand la ville est trop grande, quand quatre ou cinq malades sont entassés dans chaque lit, quand un malheureux donne le scorbut à son voisin, dont il reçoit la vérole; et qu'une atmosphère empestée répand les maladies incurables et la mort, non-seulement dans cet hospice destiné pour rendre les hommes à la vie, mais dans une grande partie de la ville à la ronde.

L'inutilité, le danger même de la médecine en ce cas, sont démontrés. S'il est si difficile qu'un médecin connaisse et guérisse une maladie d'un citoyen bien soigné dans sa maison, que sera-ce de cette multitude de maux compliqués, accumulés les uns sur les autres dans un lieu pestiféré?

En tout genre, souvent plus le nombre est grand, plus mal on est.

M. de Chamousset, l'un des meilleurs citoyens et des plus attentifs au bien public, a calculé, par des relevés fidèles, qu'il meurt un quart des malades à l'HôtelDieu, un huitième à l'hôpital de la Charité, un neuvième dans les hôpitaux de Londres, un trentième dans ceux de Versailles.

Dans le grand et célèbre hôpital de Lyon, qui a été long-temps un des mieux administrés de l'Europe, il ne mourait qu'un quinzième des malades, année com

mune.

On a proposé souvent de partager l'Hôtel-Dieu de Paris en plusieurs hospices mieux situés, plus aérés, plus salutaires; l'argent a manqué pour cette entreprise.

Curta nescio quid semper abest rei.

On en trouve toujours quand il s'agit d'aller faire tuer des hommes sur la frontière; il n'y en a plus quand il faut les sauver. Cependant l'Hôtel-Dieu de Paris possèd e plus d'un million de revenu qui augmente chaque année, et les Parisiens l'ont doté à l'envi.

On ne peut s'empêcher de remarquer ici que Germain Brice, dans sa Description de Paris, en parlant de quelques legs faits par le premier président de Bellièvre à la salle de l'Hôtel-Dieu nommée Saint-Charles, dit qu'il faut lire cette belle inscription gravée en lettres d'or dans une grande table de marbre, de la composition d'OlivierPatru de l'Académie française, un des plus beaux esprits de son temps, dont on a des plaidoyers fort esti

més:

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« Qui que tu sois qui entres dans ce saint lieu, tu ny » verras presque partout que des fruits de la charité du » grand Pomponne. Les brocards d'or et d'argent, et les >> beaux meubles qui paraient autrefois sa chambre, par >> une heureuse métamorphose, servent maintenant aux » nécessités des malades. Cet homme divin, qui fut l'or»nement et les délices de son siècle, dans le combat » même de la mort, a pensé au soulagement des affligés. » Lesang de Bellièvre s'est montré dans toutes les actions » de sa vie. La gloire de ses ambassades n'est que trop >> connue, etc. >>

L'utile Chamousset fit mieux que Germain Brice et Olivier Patru, l'un des plus beaux esprits du temps; voici le plan dont il proposa de se charger à ses frais, avec une compagnie solvable.

Les administrateurs de l'Hôtel-Dieu portaient en comple la valeur de cinquante livres pour chaque malade, ou mort, ou guéri. M. de Chamousset et sa compagnic offraient de gérer pour cinquante livres seulement par guérison. Les morts allaient par-dessus le marché, et étaient à sa charge.

La proposition était si belle, qu'elle ne fut point acceptée; on craignit qu'il ne pût la remplir. Tout abus qu'on veut réformer est le patrimoine de ceux qui ont -plus de crédit que les réformateurs.

est que

l'Hôtel-Dieu

Une chose non moins singulière, a seul le privilége de vendre la chair en carême à son profit; et il y perd. M. de Chamousset offrit de faire un marché où l'Hôtel-Dieu gagnerait; on le refusa, et on chassa le boucher, qu'on soupçonna de lui avoir donné l'avis (1).

Ainsi chez les humains, par un abus fatal,

Le bien le plus parfait est la source du mal.

(1) En 1775, sous l'adminisation de M. Turgot, ce privilége ridicule de l'Hôtel-Dieu fut détruit et remplacé par un impôt sur l'entrée de la viande, Le peuple de Paris etait réduit

CHARLATAN..

L'ARTICLE Charlatan du Dictionnaire encyclopédique est rempli de vérités utiles, agréablement énoncées. M. le chevalier de Jaucour y a développé le charlatanisme de la médecine.

On prendra ici la liberté d'y ajouter quelques réflexions. Le séjour des médecins est dans les grandes villès; il n'y en a presque point dans les campagnes. C'est dans les grandes villes que sont les riches malades; la débauche, les excès de table, les passions, causent leurs maladies. Dumoulin, non pas le jurisconsulte, mais le médecin, qui était aussi bon praticien que l'autre, a dit en mourant qu'il laissait deux grands médecins après lui, la diète et l'eau de la rivière.

En 1728, du temps de Lass, le plus fameux des charlatans de la première espèce, un autre, nommé Villars, confia à quelques amis que son oncle, qui avait vécu près de cent ans, et qui n'était mort que par accident, lui avait laissé le secret d'une eau qui pouvait aisément prolonger la vie jusqu'à cent cinquante années, pourvu qu'on fùt sobre. Lorsqu'il voyait passer un enterrement, il levait les épaulés de pitié; si le défunt, disait-il, avait bu de mon eau, il ne serait pas où il est. Ses amis auxquels il en donna généreusement, et qui observèrent un peu le régime prescrit, s'en trouvèrent bien et le prònèrent. Alors il vendit la bouteille six francs; le débit en

auparavant à n'avoir pendant tout le carême qu'une nourriture malsaine et très chère. Cependant quelques hommes ont osć regretter cet ancien usage, non qu'ils le crussent utile, mais parce qu'il était un monument du pouvoir que le clergé avait eu trop long-temps sur l'ordre public, et que sa destruction avançait la décadence de ce pouvoir. En 1629 on tuait six bœufs à l'Hôtel-Dieu pendant le carème, deux cents en 1665, cinq cents en 1708, quinze cents en 1750; on en con somme aujourd'hui près de neuf mille. (Édit. de Kehl)

fut prodigieux. C'était de l'eau de Seine avec un peu de nitre. Ceux qui en prirent et qui s'astreignirent à un pe■ de régime, surtout qui étaient nés avec un bon tempé rament, recouvrèrent en peu de jours une santé parfaite. Il disait aux autres: C'est votre faute si vous n'êtes pas entièrement guéris. Vous avez été intempérants et incontinents: corrigez-vous de ces deux vices, et vous vivrez cent cinquante ans pour le moins. Quelques-uns se corrigèrent; la fortune de ce bon charlatan s'augmenta comme sa réputation. L'abbé de Pons, l'enthousiaste, le mettait fort au-dessus du maréchal de Villars: il fait tuer des hommes, lui dit-il, et vous les faites vivre.

On sut enfin que l'eau de Villars n'était que de l'eau de rivière; on n'en voulut plus, et on alla à d'autres charlatans.

Il est certain qu'il avait fait du bien, et qu'on ne pouvait lui reprocher que d'avoir vendu l'eau de la Seine un peu trop cher. Il portait les hommes à la tempérance,

et

par là il était supérieur à l'apothicaire Arnoud, qui a farci l'Europe de ses sachets contre l'apoplexie, sans recommander aucune vertu.

que

J'ai connu un médecin de Londres, nommé Brown, qui pratiquait aux Barbades. Il avait une sucrerie et des nègres; on lui vola une somme considérable; il assemble ses nègres: « Mes amis, leur dit-il, le grand serpent m'a » apparu pendant la nuit, il m'a dit le voleur au>> rait dans ce moment une plume de perroquet sur le » bout du nez. » Le coupable sur-le-champ porte la main à son nez. « C'est toi qui m'as volé, dit le maî>>tre, le grand serpent vient de m'en instruire; » et it reprit son argent. On ne peut guère condamner une telle charlatanerie; mais il fallait avoir affaire à des negres.

Scipion le premier Africain, ce grand Scipion, fort différent d'ailleurs du médecin Brown, fesait croire volontiers à ses soldats qu'il était inspiré par les diena.

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