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thènes lui avait fait déclarer la guerre, et battit du pied la mesure. Nous sommes fort loin de chanter dans nos carrefours nos édits sur les finances et sur les deux sous pour livre.

Il est très vraisemblable que la mélopée, regardée par Aristote dans sa Poétique comme une partie essentielle de la tragédie, était un chant uni et simple comme celui de ce qu'on nomme la préface à la messe, qui est, à mon avis, le chant grégorien, et non l'ambrosien, mais qui est une vraie mélopée.

Quand les Italiens firent revivre la tragédie, au seizième siècle, le récit était une mélopće, mais qu'en ne pouvait noter; car qui peut noter des inflexions de voix qui sont des huitièmes, des seizièmes de ton? on les apprenait par cœur. Cet usage fut reçu en France quand les Français commencèrent à former un théâtre, plus d'un siècle après les Italiens. La Sophonisbe de Mairet se chantait comme celle du Trissin, mais plus grossièrement; car on avait alors le gosier un peu rude à Paris, ainsi que l'esprit. Tous les rôles des acteurs, mais surtout des actrices, étaient notés de mémoire par tradition. Mademoiselle Bauval, actrice du temps de Corneille, de Racine et de Molière, me récita, il y a quelque soixante ans et plus, le commencement du rôle d'ÉƉnilie dans Cinna, tel qu'il avait éte débité dans les premières représentations par la Beaupré.

Cette mélopée ressemblait à la déclamation d'aujourd'hui, beaucoup moins que notre récit moderne ne ressemble à la manière dont on lit la gazette.

Je ne puis mieux comparer cette espèce de chant, cette mélopée, qu'à l'admirable récitatif de Lulli, critiqué par les adorateurs des doubles croches, qui n'ont aucune connaissance du génie de notre langue, et qui veulent ignorer combien cette mélodie fournit de secours à un acteur ingénieux et sensible.

La mélopéc théâtrale périt avec la comédienne Duclos,

qui, n'ayant pour tout mérite qu'une belle voix, sans esprit et sans âme, rendit enfin ridicule ce qui avait été admiré dans la Des OEuillets et dans la Champmêlé.

Aujourd'hui on joue la tragedie séchement; si on ne la réchauffait point par le pathétique du spectacle et de l'action, elle serait très insipide. Notre siècle, recommandable par d'autres endroits, est le siècle de la séche

resse.

Est-il vrai que chez les Romains un acteur récitait, et et un autre fesait les gestes?

Ce n'est point par méprise que l'abbé Dubos imagina cette plaisante façon de déclamer. Tite-Live, qui ne néglige jamais de nous instruire des mœurs et des usages des Romains, et qui en cela est plus utile que l'ingénieux et satirique Tacite; Tite-Live, dis-je, nous apprend (1) qu'Andronicus s'étant enroué en chantant dans les intermèdes, obtint qu'un autre chantât pour lui tandis qu'il exécuterait la danse, et que de là vint la coutume de partager les intermèdes entre les danseurs et les chanteurs, Dicitur cantum egisse magis vigente motu quum nihil vocis usus impediebat. Il exprima le chant par la danse; cantum egisse magis vigente motu, avec des mouvements plus vigoureux.

Mais on ne partagea point le récit de la pièce catre un acteur qui n'eût fait que gesticuler, et un autre qui n'eût que déclamé. La chose aurait été aussi ridicule qu'impraticable.

L'art des pantomimes qui jouent sans parler, est tout différent, et nous en avons vu des exemples très frappants; mais cet art ne peut plaire que lorsqu'on représente une action marquée, un évènement théâtral qui se dessine aisément dans l'imagination du spectateur. On peut représenter Orosmane tuant Zaïre, et se tuant lui-même; Sémiramis se traînant blessée sur les mar

(1) Livre VII,

ches du tombeau de Ninus, et tendant les bras à son fils. On n'a pas besoin de vers pour exprimer ces situations par des gestes, aux sons d'une symphonie lugubre et terrible. Mais comment deux pantomimes peindrontils la dissertation de Maxime et de Cinna sur les gouvernements monarchiques et populaires?

A propos de l'exécution théâtrale chez les Romains, l'abbé Dubos dit que les danseurs dans les intermèdes étaient toujours en robe. La danse exige un habit plus leste. On conserve précieusement dans le pays de Vaud une grande salle de bains bâtie par les Romains, dont le pavé est en mosaïque. Cette mosaïque, qui n'est point dégradée, représente des danseurs vêtus précisément conume les danseurs de l'Opéra. On ne fait pas ces observations pour relever des erreurs dans Dubos; il n'y anul mérite dans le hasard d'avoir vu ce monument antiquequ'il n'avait point vu; et on peut d'ailleurs être un esprit très solide et très juste, en se trompant sur un passage de Tite-Live.

CHARITÉ.

Maisons de charité, de bienfesance, hôpitaux, hôtels-Dieu,

etc.

CICERON parle en plusieurs endroits de la charité universelle: caritas humani generis; mais on ne voit point que la police et la bienfesance des Romains aient établi de ces maisons de charité où les pauvres et les malades fussent soulagés aux dépens du public. Il y avait une maison pour les étrangers au port d'Ostia, qu'on appelait Eevadoxiov. Saint Jérôme rend aux Romains cette Justice. Les hôpitaux pour les pauvres semblent avoir été inconnus dans l'ancienne Rome. Elle avait un usage plus noble, celui de fournir des blés au peuple. Trois cent vingt-sept greniers immenses étaient établis à Rome, Avec cette libéralité continuelle, on n'avait pas besoin d'hôpital; il n'y avait point de nécessiteux,

On ne pouvait fonder des maisons de charité pour les enfants-trouvés; personne n'exposait ses enfants; les maîtres prenaient soin de ceux de leurs esclaves. Ce n'était point une honte à une fille du peuple d'accoucher. Les plus pauvres familles nourries par la république, et ensuite par les empereurs, voyaient la subsistance de leurs enfants assurée.

Le mot de maison de charité suppose, chez nos uations modernes, une indigence que la forme de nos gouvernements n'a pu prévenir.

Le mot d'hôpital, qui rappelle celui d'hospitalité, fait souvenir d'une vertu célèbre chez les Grecs, qui n'existe plus; mais aussi il exprime une vertu bien säpérieure. La différence est grande entre loger, nourrir, guérir tous les malheureux qui se présentent, et recevoir chez vous deux ou trois voyageurs chez qui vous aviez aussi le droit d'être reçu. L'hospitalité, après tout, n'était qu'un échange. Les hôpitaux sont des monuments de bienfesance.

Il est vrai que les Grecs connaissaient les hôpitauxsous le nom de Ξενοδοχία pour les étrangers, Νοσοκομία pour les malades, et de Iroxiz pour les pauvres. On lit dans Diogène de Laerce concernant Bion, ce passage: « Il souffrit beaucoup par l'indigence de ceux qui étaient » chargés du soin des malades. >>

L'hospitalité entre particuliers s'appelait Idoğeviz,. et entre les étrangers Пpoeviz. De là on appelait Ho celui qui recevait et entretenait chez lui les étrangers au nom de toute la ville; mais cette institution paraît avoir été fort rare.

Il n'est guère aujourd'hui de ville en Europe sans hôpitaux. Les Turcs en ont, et même pour les bêtes, ce qui semble outrer la charité. Il vaudrait mieux oublier les. bêtes, et songer davantage aux hommes.

Cette prodigicuse multitude de maisons de charité prouve évidemment une vérité à laquelle on ne fait pas

assez d'attention; c'est que l'homme n'est pas si méchaut qu'on le dit; et que, malgré toutes ses fausses opinions, malgré les horreurs de la guerre, qui le changent en bête féroce, on peut croire que cet animal est bon, et qu'il n'est méchant que quand il est effarouché, ainsi que les autres animaux: le mal est qu'on l'agace trop souvent. Rome moderne a presque autant de maisons de charité que Rome antique avait d'arcs de triomphe et d'autres monuments de conquête. La plus considérable de ces maisons est une banque qui prête sur gages à deux pour cent, et qui vend les effets si l'emprunteur ne les retire pas dans le temps marqué. On appelle cette maison l'archiospedale, l'archihôpital. Il est dit qu'ily a presque toujours deux mille malades, ce qui ferait la cinquantième partie des habitants de Rome, pour cette seule maison, sans compter les enfants qu'on y élève, et les pèlerins qu'on y héberge. De quels calculs ne faut-il pas rabat

tre!

N'a-t-on pas imprimé dans Rome que l'hôpital de la Trinité avait couché et nourri, pendant trois jours, quatre cent quarante mille cinq cents pèlerins, et vingt-cinq mille cinq cents pèlerines, au jubilé de l'an 1600? Misson lui-même n'a-t-il pas dit que l'hôpital de l'Annonciade à Naples possède deux de nos millions de rente?

Peut-être enfin qu'une maison de charité, fondée pour recevoir des pèlerins, qui sont d'ordinaire des vagabonds, est plutôt un encouragement à la fainéantise qu'un acte d'humanité. Mais ce qui est véritablement humain, c'est qu'il y a dans Rome cinquante maisons de charité de toutes les espèces. Ces maisons de charité, de bienfesance, sont aussi utiles et aussi respectables que les richesses de quelques monastères et de quelques chapelles sont inutiles et ridicules.

Il est beau de donner du pain, des vêtements, des remèdes, des secours en tout genre à ses frères; mais quel besoin un saint a-t-il d'or et de diamants? quel bien re

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