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notre Roger fut l'inventeur de la poudre à canon. Il est certain que de son temps on était sur la voie de cette horrible découverte; car je remarque toujours que l'esprit d'invention est de tous les temps, et que les docteurs, les geus qui gouvernent les esprits et les corps, ont beau être d'une ignorance profonde, ont beau faire régner les plus insensés préjugés, ont beau n'avoir pas le sens commun, il se trouve toujours des hommes obscurs, des artistes animés d'un instinct supérieur, qui inventent des choses admirables, sur lesquelles ensuite les savants raisonnent.

Voici mot à mot ce fameux passage de Roger Bacon touchant la poudre à canon; il se trouve dans son Opris majus, page 474, édit. de Londres: « Le feu grégeois » peut difficilement s'éteindre, car l'eau ne l'éteint pas. >> Et il y a de certains feux dont l'explosion fait tant de >> bruit, que si on les allumait subitement et de nuit,

» une ville et une armée ne pourraient le soutenir: les » éclats de tonnerre ne pourraient leur être comparés. » Il y en a qui effraient tellement la vue, , que les éclairs » des nues la troublent moins: on croit que c'est par de »tels artifices, que Gédéon jeta la terreur dans l'armée » des Madianites. Et nous en avons une preuve dans ce » jeu d'enfants, qu'on fait partout le monde. On erí>> fonce du salpêtre avec force dans une petite balle de » la grosseur d'un pouce; on la fait crever avec un bruit » si violent qu'il surpasse le rugissement du tonnerre; » et il en sort une plus grande exhalaison de feu que >> celle de la foudre. » Il paraît évidemment que Roger Bacon ne connaissait que cette expérience commune d'une petite boule pleine de salpêtre mise sur le feu. §1 y a encore bien loin de là à la poudre à canon, dont Roger ne parle en aucun endroit, mais qui fut bientôt après inventée.

Une chose me surprend davantage, c'est qu'il ne connut pas la direction de l'aiguille aimantée, qui de son

temps commençait à être connue en Italie; mais en récompense il savait très bien le secret de la baguette de coudrier, et beaucoup d'autres choses semblables, dont il traité dans sa Dignité de l'art expérimental.

Cependant, malgré ce nombre effroyable d'absurdités et de chimères, il faut avouer que ce Bacon était un homme admirable pour son siècle. Quel siècle? me direzvous; c'était celui du gouvernement féodal et des scolastiques. Figurez-vous les Samoïèdes et les Ostiaques, qui auraient lu Aristote et Avicenne; voilà ce que nous étions.

Roger savait un peu de géométrie et d'optique, et c'est ce qui le fit passer à Rome et à Paris pour un sorcier. Il ne savait pourtant que ce qui est dans l'Arabe Alhazen; car dans ces temps-là on ne savait encore rien que par les Arabes. Ils étaient les médecins et les astrologues de tous les rois chrétiens. Le fou du roi était toujours de la nation; mais le docteur était Árabe ou Juif. Transportez ce Bacon au temps où nous vivons, il serait sans doute un très grand homme. C'était de l'or encroûté de toutes les ordures du temps où il vivait : cet or aujourd'hui serait épuré.

Pauvres humains que nous sonimes! que de siècles il a fallu pour acquérir un peu de raison!

DE FRANÇOIS BACON,

ET DE L'ATTRACTION.

SECTION PREMIÈRE.

Le plus grand service peut-être que François Bacon ait rendu à la philosophie a été de deviner l'attraction. Il disait sur la fin du seizième siècle, dans son livre de la nouvelle Méthode de savoir :

«

Il faut chercher s'il n'y aurait point une espèce de >> force magnétique qui opère entre la terre et les choses » pesantes, entre la lune et l'océan; entre les planètes....

Il faut, ou que les corps graves soient poussés vers le ccn= >>tre de la terre, ou qu'ils en soient mutuellement atti» rés; et, en ce dernier cas, il est évident que plus les >> corps en tombant s'approchent de la terre, plus forte>>ment ils s'attirent. Il faut expérimenter si la mêmné » horloge à poids irá plus vite sur le haut d'une monta»gne, ou au fond d'une mine. Si la force des poids » diminue sur la montagne et augmente dans la mine, ily a apparence que la terre a une vraie attraction. >>

Environ cent ans après, cette attraction, cette gravitation, cette propriété universelle de la matière, cette cause quiretient les planètes dans leurs orbites, qui agit dans le soleil, et qui dirige un fétu vers le centre de la terre, a été trouvée, calculée et démontrée par le grand Newton. Mais quelle sagacité dans Bacon de Verulam, de l'avoir soupçonnée lorsque personne n'y pensait!

Ce n'est pas là de la matière subtile produite par des échancrures de petits dés qui tournèrent autrefois sur eux-mêmes, quoique tout fût plein; ce n'est pas de la matière globuleuse formée de ces dés, ni de la matière cannelée. Ces grotesques furent reçus pendant quelque temps chez les curieux: c'était un très mauvais roman; non-seulement il réussit comme Cyrus et Pharamond, mais il fut embrassé comme une vérité par des gens qui cherchaient à penser. Si vous en exceptez Bacon, Galilée, Toricelli, et un très petit nombre de sages, il n'y avait alors que des aveugles en physique.

Ces aveugles quittèrent les chimères grecques pour les chimères des tourbillons et de la matière cannelée; et lorsque enfin on eut découvert et démontré l'attraction, la gravitation et ses lois, on cria aux qualités occultes. Hélas! tous les premiers ressorts de la nature ne sont-ils pas pour nous des qualités occultes? Les causes du mouvement, du ressort, de la génération, de l'immutabilité des espèces, du sentiment, de la mémoire, de la pensée, ne sont-elles pas très occultes?

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Bacon soupçonna, Newton démontra l'existence d'un principe jusqu'alors inconnu. Il faut que les hommes s'en tiennent là, jusqu'à ce qu'ils deviennent des dieux. Newton fut assez sage, en démontrant les lois de l'attraction, pour dire qu'il en ignorait la cause; il ajouta que c'était peut-être une impulsion, peut-être une substance légère prodigieusement élastique, répandue dans la nature. Il tâchait apparemment d'apprivoiser par ces peut-être les esprits effarouchés du mot d'attraction, et d'une propriété de la matière qui agit dans tout l'univers sans toucher à rien.

Le premier qui osa dire (du moins en France) qu'il est impossible que l'impulsion soit la cause de ce grand et universel phénomène, s'expliqua ainsi, lors même que les tourbillons et la matière subtile étaient encore fort à la mode.

« On voit l'or, le plomb, le papier, la plume, tomber » également vite, et arriver au fond du récipient en >> même temps, dans la machine pneumatique.

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>> Ceux qui tiennent encore pour le plein de Descartes, » pour les prétendus effets de la matière subtile, ne peu>>> vent rendre aucune bonne raison de ce fait ; car les faits » sont leurs écueils. Si tout était plein, quand on leur >> accorderait qu'il pût y avoir alors du mouvement (ce qui est absolument impossible), au moins cette » prétendue matière subtile remplirait exactement le >> récipient, elle y serait en aussi grande quantité que » de l'eau ou du mercure qu'on y aurait mis: elle s'op» poserait au moins à cette descente si rapide des corps: » elle résisterait à ce large morceau de papier selon la » surface de ce papier, et laisserait tomber la balle d'or » ou de plomb beaucoup plus vite. Mais ces chutes se » font au même instant; donc il n'y a rien dans le réci» pient qui résiste; donc cette prétendue matière subtile »> ne peut faire aucun effet sensible dans ce récipient; » donc il y a une autre force qui fait la pesanteur.

» En vain dirait-on qu'il reste une matière subtile » dans ce récipient, puisque la lumière le pénètre. Il y » a bien de la différence: la lumière qui est dans ce vase » de verre n'en occupe certainement pas la cent millième » partie ; mais selon les cartésiens, il faut que leur matière » imaginaire remplisse bien plus exactement le récipient, que si je le supposais rempli d'or; car il y a beau » coup de vide dans l'or, et ils n'en admettent point » dans leur matière subtile.

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Or, par cette expérience, la pièce d'or qui pèse cent >> mille fois plus que le morceau de papier, est descen» due aussi vite que le papier; donc la force qui l'a fait » descendre a agi cent mille fois plus sur elle que sur le » papier; de même qu'il faudra cent fois plus de force à » mon bras pour remuer cent livres que pour remuer » une livre; donc cette puissance qui opère la gravitation >> agit en raison directe de la masse des corps. Elle agit >> en effet tellement sur la masse des corps, non selon les » surfaces, qu'un morceau d'or, réduit en poudre, des» cend dans la machine pneumatique aussi vite que la >> même quantité d'or étendue en feuille. La figure du » corps ne change ici en rien sa gravité; ce pouvoir de » gravitation agit donc sur la nature interne des corps, >> etnon en raison des superficies.

» On n'a jamais pu répondre à ces vérités pressantes » que par une supposition aussi chimérique que les tour» billons. On suppose que la matière subtile prétendue, » qui remplit tout le récipient, ne pèse point. Étrange » idée, qui devient absurde ici; car il ne s'agit pas, dans » le cas présent, d'une matière qui ne pèse pas, mais » d'une matière qui ne resiste pas. Toute matière résiste » par sa force d'inertie. Donc si le récipient était plein, la matière quelconque qui le remplirait, résisterait » infiniment; cela paraît démontré en rigueur.

>> Ge pouvoir ne résiste point dans la prétendue matière *subtile. Cette matière serait un fluide; tout fluide agit

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