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Introduction.

Le Poète.

A Hedwig.

Le poète, Ange, est une lyre

Que chaque souffle fait vibrer,

Qui, des soupirs de tous, à chaque heure soupire,
Que le deuil et la mort surtout font résonner:
Un cygne voyageur avec son blanc plumage,
Qui, du lac dans lequel il nage,

Ride, sans le ternir, le cristal ondoyant;

C'est l'aigle qui s'élève aux plaines de la foudre, Le courter qui s'anime aux éclats de la poudre, La nourrice qui rit à la voix de l'enfant;

C'est le frère de Philomèle,

Qui s'est abreuvé de douleurs,

Et qui, lorsqu'il pendait encore à la mamelle,

Suçait au lieu de lait des flots amers de pleurs ;
C'est l'écho qui s'endort dans l'antre du rivage,
Et s'éveille lorsque la plage,

De la mer en fureur entend les flots mugir,
Quand, de la forte main, une affreuse tempête
Prend la vague blanchie, et sur les bords la jette,
Divisée en flocons, que l'écueil fait bondir.

Le poète est le sanctuaire,

Où Jéhovah reste toujours,

Et d'où, comme l'encens, s'élève la prière,
De l'aube matinale à la chute des jours;
Il résume en lui seul les voix de la nature,
Et sa voix mystique murmure,

Dans la création un hymne au créateur.

Il aime les tombeaux; et rarement la joie
A son luth suspendu, sur le zéphyr envoie
Un de ces chants d'amour, qui reposent le coeur.
A son âme une bruit n'échappe ;

Comme le buste de Memnon,

Quand l'astre, roi du jour, de l'orient le frappe,
En sons harmonieux il bénit le rayon,

Le rayon qui dans l'air enflammé s'évapore,
En animant le sol qu'il dore

Et comble de ses dons, comme un roi généreux,

Qui, dans tous ses états, sème au loin l'abondance,

Et ne sert de sa puissance

Que pour fair bénir son nom en tous les lieux.

A chacun Dieu donna sa tache:

Gloire à qui l'accomplit; qui la refuse est lâche!
Quand la muse en un coeur jette son feu divin,
Il faut qu'à ses transports tout entier il se voue,
Et que, comme Ixion il s'attache à la roue,
Et subisse en chantant son pénible destin.
Du poète inspiré bien terrible est la couche:
Jéhovah parle par sa bouche;

Mais comme la prêtresse élevée au trépied,
Son flanc, sous le dieu qui l'inspire,

Gémit son douloureux martyre;

Qu'il foule les autels ou qu'il soit à leur pied;
Car pour vivre en quelque mémoire,

Il faut beaucoup souffrir; les palmes de la gloire
Coûtent cher à qui les poursuit:

Elles ornent le front, mais le couvrent de rides, Et d'un feu languissant arment les yeux humides. C'est le destin qui s'accomplit!...

Car celui qui s'élève au-dessus du vulgaire

Ne doit pas demander le bonheur pour salaire !

Dieu sur nous partagea le torrent de ses dons:

Aux uns, il a donné la joie et l'ignorance;

Aux autres, la vertu, fille de l'espérance;

A plusieurs le fardeau glorieux des grands noms.
Si tu trouves un barde au chemin de la vie,
Jamais à sa couronne, Ange, ne porte envie ;
Car il voudrait avoir ton aimable gaîté,

Et ton front de quinze ans qu'anime l'innocence,
Et tes jours oubliés qui traduisent en danse,
Ta marche vers l'éternité.

Lorsque tu le verras, séparé de la foule,

Les mains sur son front, d'où découle Son concert animé d'amour ou de dédains, Ange, respecte son silence;

Car alors son esprit s'élance

Et sort du séjour des humains.

Respecte ce martyr qui chaque jour s'immole,
Et que la gloire en vain console
De tant de doux plaisirs perdus ;
Plains-le, car il est l'hécatombe

Qui s'immole sur chaque tombe;

Il est l'ange des morts et des murs abattus;
Il aime les noires collines;

Il habite dans les ruines,

Gémit comme l'oiseau de nuit,

Lorsque son aile se déploie,

Et que, d'un monde ivre de joie,
Il fuit les passions et les cités de bruit.
Ah! si vers toi son coeur s'élève,

Ange, ne brise pas le bonheur de son rêve,
Ne méprise pas son amour;

Car lorsque toute chose a torturé son âme,
C'est au coeur de la femme

A jeter dans sa nuit au moins un peu de jour.
Lorsqu'il se lève pour maudire,

Arrête l'anathème avec ton doux sourire,
Et pose ta main dans sa main;

Assieds-toi près de lui quand le chagrin le pousse.
Et s'il s'incline, pleure et prie

Adoucis ses jours d'agonie;

Ne l'abandonne pas dans ce Getsemani;

Car moins fort que le Fils de l'homme,

Il a besoin d'un peu de baume

Pour son calice amer, d'où le miel est banni:
Car l'amour est pour le poète,

Ce qu'est pour le pilote, après une tempête,
L'azur éclatant d'un beau ciel;

La femme est la voix qui l'anime,

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