Page images
PDF
EPUB

Eternité, néant, passé, sombres abîmes,

Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez nous rendrez-vous ces extases sublimes

Que vous nous ravissez ?

O lac! rochers muets! grottes ! forêt obscure!
Vous, que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,

Au moins le souvenir!

Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux.

Qu'il soit dans le zéphir qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés.

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit, ou l'on respire,
Tout dise: Ils ont aimé !

Alph. de Lamartine.

Le matin..

Le laboureur répond au taureau, qui l'appelle,
L'aurore les ramène au sillon commencé,
Il conduit en chantant le couple, qu'il attelle,
Le vallon retentit sous le soc renversé ;

Au gemissement de la roue

Il mesure ses pas et son chant cadencé ;

Sur sa trace en glanant le passereau se joue,
Et le chêne à sa voix secoue

Le baume des sillons, que la nuit a versé.
L'oiseau chante, l'agneau bêle,

L'enfant gazouille au berceau,
La voix de l'homme se mêle
Au bruit des vents et de l'eau,
L'air fremit, l'épi frissonne,
L'insect au soleil bourdonne,
L'airain pieux, qui résonne
Rappelle au Dieu, qui le donne
Ce premier soupir du jour;
Tout vit, tout luit, tout remue,
C'est l'aurore dans la nue,

C'est la terre, qui salue

L'astre de vie et d'amour!

Alph. de Lamartine.

Le rossignol aveugle.

Pauvre exilé de l'air! sans ailes, sans lumière,
Oh! comme on t'a fait malheureux!

Quelle ombre impénétrable inonde ta paupière !
Quel deuil est étendu sur tes chants douloureux!
Innocent Bélisaire! une empreinte brûlante
Du jour sur ta prunelle a séché les couleurs ;
Et ta mémoire y roule incessamment des pleurs;
Et tu ne sais pourquoi Dieu fait la nuit si lente!

Et Dieu nous verse encor la nuit égale au jour.
Non! ta nuit sans rayons n'est pas son triste ouvrage;
Il ouvrit tout un ciel à ton vol plein d'amour;

Et ton vol mutilé l'outrage!

Par lui ton coeur éteint s'illumine d'espoir;

Un éclair qu'il allume à ton horizon noir

Te fait rêver de l'aube, ou des étoiles blanches,
Ou d'un reflet de l'eau qui glisse entre les branches
Des bois que tu ne peux plus voir!

Et tu chantes les bois, puisque tu vis encore;
Tu chantes pour l'oiseau respirer, c'est chanter.
Mais quoi! pour moduler l'ennui qui te dévore,
Sous le voile vivant qui t'usurpe l'aurore,
Combien d'autres accents te faut-il inventer!

Un coeur d'oiseau sait-il tant de notes plaintives?
Ah! quand la liberté soufflait dans tes chansons,
Qu'avec ravissement tes ailes incaptives
Dans l'azur sans barrière emportaient ses leçons!

Douce horloge du soir aux saules suspendue,
Ton timbre jetait l'heure aux pâtres dispersés !
Mais le timbre égaré dans ta clarté perdue
Sonne toujours minuit sur tes chants oppressés:
Tes chants n'éveillent plus la pâle primevère

Qui meurt sans recevoir les baisers du soleil,
Ni le souci fermé sous le doigt du sommeil,
Qui se rouvre baigné d'une rosée amère.
Tu ne sais plus quel astre éclaire tes instants!

Tu bois, sans les compter, tes heures de souffrance!

Car la veille sans espérance

Ne sent pas la fuite du temps !

Mme Desbordes Valmore.

Le printemps.

LE DÉPART.

Le printemps ! le printemps! la magique saison!
Le ciel sourit de joie à la jeune nature,
L'aube aux cheveux dorés s'éveille à l'horizon,
Dieu d'un rayon d'amour pare sa créature.

Avril a secoué le manteau de l'hiver,

Les maronniers touffus dressent leurs grappes blanches:
Partons, le soleil luit et le chemin est vert,
Les feuilles et les fleurs frémissent sur les branches.

Avez-vous reconnu le pinson gazouilleur?

Le rossignol plaintif attendrit les bocages;
Hirondelle, reviens! le pays est meilleur,

Reviens, car nous l'aimons et n'avons pas de cages.

La brise fraîche encor frémit dans les ormeaux,
Le pommier tremble et verse une pluie odorante,
La vigne épanouie étend ses verts, rameaux
Et promet une grappe à la coupe enivrante.

LA VALLÉE.

La chaumière qui fume a pris un air vivant,
A l'espoir des moissons elle vient de renaître ;

Le pâle liseron grimpe à son contrevent;

Pour voir le blé qui pousse elle ouvre sa fenêtre.
Au bout de ce vieux parc, dans l'étang du château,
Un groupe folâtrant se promène en nacelle:

Que de grâce! On dirait un groupe de Watteau,
Où l'amour se suspend, où l'esprit étincelle,

Dans le lointain brumeux un vieux clocher flamand
S'élève avec notre âme aux régions divines,
Tandis qu'un doux signal, un joyeux aboiement,
Nous appelle à la ferme, au-dessus des ravines.

LA PRAIRIE.

Dans les prés reverdis le troupeau reparaît:
Le jeune pâtre chante et sculpte une quenouille,
La vache qui nous voit jette un regard distrait,
Le grand boeuf nonchalant sommeille et s'agenouille.

A deux pas du troupeau par les chiens arrêté,
Sous le saule éploré qui s'agite à la brise,
Une blonde génisse au beau flanc tacheté
Nous regarde passer, curieuse et surprise.

Que cachent ces haillons sur le bord du ruisseau?
Un jeune vagabond secouant sa misère,
Émiettant son pain bis pour son ami l'oiseau,
Et de sa vie oisive égrenant le rosaire.

Auprès du vagabond un beau narcisse blanc
A mon esprit rêveur vient rappeler la fable;
Il mire dans les flots son calice tremblant
Et semble s'égarer dans un songe ineffable.

« PreviousContinue »