Avant d'affronter son empire, Il balance son mât fragile Et dort au vain roulis des vents! Il vit! le colosse superbe Qui couvre un arpent tout entier, Grossit comme une eau dans son cours, Et dans son coeur qu'il fortifie Circule un sang ivre de vie Pour qui les siècles sont des jours! Les sillons où les blés jaunissent Des générations sans nombre, Et lui? voyez ! il rajeunit! Son tronc que l'écorce protége, Pour porter sa feuille ou sa neige Et son vaste et pesant feuillage, La nef dont le regard implore Le soir fait pencher sa grande ombre Et le pasteur et les troupeaux. Et pendant qu'au vent des collines I berce ses toits habités, Et ces torrens d'âme et de vie, Qui remonte avec le soleil; Et ces mondes de créatures Et moi, je dis: Seigneur, c'est toi seul, c'est ta force Ta sagesse et ta volonté, Ta vie et ta fécondité, Ta prévogance et ta bonté ! Le ver trouve ton nom gravé sous son écorce, Et mon oeil dans sa masse et son éternité ! Alph. de Lamartine. Le lac. Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages, " O lac! l'année à peine a fini sa carrière, Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes; Sur ses pieds adorés. Un soir, t'en souvient-il? nous voguions en silence; Tout-à-coup des accents inconnus à la terre Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère " O temps! suspends ton vol; et vous, heures pro "Suspendez votre cours: pices! „Laissez-nous savourer les rapides délices Des plus beaux de nos jours! Assez de malheureux ici-bas vous implorent, Coulez, coulez pour eux; „Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent; Oubliez les heureux. Mais je demande en vain quelques moments encore, Le temps m'échappe et fuit; „Je dis à cette nuit: Sois plus lente! et l'aurore Va dissiper la nuit. „Aimons donc, aimons donc! de l'heure fugitive, Hâtons-nous, jouissons! L'homme n'a point de port, le temps n'a point de Il coule, et nous passons!" rive; Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse, Où l'amour à longs flots nous verse le bonhenr, S'envolent loin de nous de la même vitesse Que les jours du malheur? Eh quoi! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace? Quoi! passés pour jamais! quoi! tout entiers perdus! Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface, Ne nous les rendra plus! |