Se redresse, et des toits soulève la charpente, Comme un affreux géant qui veut toucher les cieux. L'homme sous le destin fléchit silencieux.
Ses oeuvres ont péri. Partout la flamme est reine, Les murs brûlés, debout restent seuls, sombre arène, Où des froids ouragans s'engouffre la fureur : La nue, en voyageant, y regarde, et l'horreur Dans leurs concavités profondément séjourne. Une dernière fois, l'homme en priant, se tourne Vers sa fortune éteinte; et, bientôt plus serein, Prend avec le bâton les voeux du pélerin.
Tout ce qui fut son bien n'est plus qu'un peu de cendre; Mais un rayon de joie en son deuil vient descendre, Voyez il a compté les têtes qu'il chérit,
Pas une ne lui manque, et triste il leur sourit.
Le métal que la terre enferme
A comblé le moule. Ah! du moins, L'oeuvre arrivé pur à son terme Paîra-t-il notre art et nos soins? Mais si l'enveloppe fragile
Rompait sous le bronze enflammé !... Peut-être, dans la sombre argile,
Le mal est déjà consommé !
Nous confions au sein de la terre profonde L'ouvrage de nos mains; dans son ombre féconde, Le prudent laboureur laisse tomber encor L'humble grain, en espoir riche et flottant trésor. Vêtus de deuil, hélas! nous venons à la terre,
D'un germe plus sacré déposer le mystère, Pleins de l'espoir qu'un jour, du cercueil redouté, Ce dépôt fleurira pour l'immortalité.
Des hauts sommets du dôme, aux épaisses ténèbres, La cloche a du tombeau tinté les chants funèbres. Écoutez! Ses concerts, d'un accent inhumain, Suivent un voyageur sur son dernier chemin. C'est la mère chérie, hélas ! la tendre épouse Que vient du roi des morts l'avidité jalouse Séparer des enfants, de l'époux expirant: L'époux les reçut d'elle; et tous, l'un déjà grand, L'autre dans ses bras, l'autre encore à sa mamelle, Ils souriaient... Alors, rien n'était beau comme elle! C'en est fait. Elle dort sous le triste gazon, Celle qui fut longtemps l'âme de la maison. Déjà manquent tes soins, ô douce ménagère ! Et demain, sans amour, va régner l'étrangère...
Laissons froidir la cloche; et vous, Comme l'oiseau sons la feuillée,
Libres et joyeux, courez tous;
Voici l'heure de la veillée !
Le compagnon vole au plaisir,
Dans les cieux, en paix, il voit naître
Et briller les astres; le maître
Doit se tourmenter sans loisir.
Sous la forêt, où glisse une pâle lumière, O voyageur, hâtez vos pas vers la chaumière ; L'Angelus des hameaux retentit dans les airs.
Le filet allongé pend sur les flots déserts.
L'agneau, devant les chiens, vers le bercail se sauve, Le troupeau des grands boeufs au front large, au poil
S'arrache, en mugissant, aux délices des prés;
Il s'avance, couvert de festons diaprés,
Le lourd char des moissons, criant sous l'abondance, Et les gais moissonneurs s'échappent vers la danse. Cependant tous les bruits meurent dans la cité; Près de l'ardent foyer, par l'aïeul excité, S'arrondit la famille, et quelque vieille histoire Enchante, en l'effrayant l'immobile auditoire. La porte des remparts se ferme pesamment. Sous son aile, l'oiseau courbe son front dormant. La nuit, qui des méchants éveille le cortége, Du citoyen que l'ordre et que la loi protége N'épouvante jamais le sommeil innocent.
Ordre sacré, tes noeuds, joug aimable et puissant, Resserrent les anneaux de l'égalité sainte ;
Tu traças des cités et tu défends l'enceinte ; Ta noble voix, du fond de ses antres lointains, Appela le sauvage à de meilleurs destins;
Sous le toit des mortels, dans leur premier ménage, Tu pénétras, timide; et plus fort, d'âge en âge, Soumis au frein des moeurs leurs rebelles penchants. C'est toi qui présidas aux limites des champs, Toi qui créas enfin cette autre idolâtrie, Le plus saint des amours, l'amour de la patrie! A son nom, mille bras, d'un mutuel secours, S'animent; au milieu de cet heureux concours,
Sur tous les points rivaux les forces dispersées, Tendent au bien commun, librement exercées ; Chacun, heureux et fier du poste qu'il a pris, Des grands, au coeur oisif, brave les vains mépris. Le plus noble ornement du citoyen qui pense, C'est le travail; son oeuvre en est la récompense. Si les rois de splendeur marchent environnés, De nos créations nous brillons couronnés; Ils sont, par le hasard; et nous par le génie. Paix gracieuse, douce et divine harmonie, Que nos bras fraternels enchaînent vos attraits! Qu'il ne se lève plus le jour où j'entendrais Des hordes d'étrangers, turbulente mêlée, Parcourir, en vainqueurs, ma tranquille vallée; Où l'horizon du soir rouge de pourpre et d'or, Des chaumes embrasés resplendirait encor!
Maintenant, brisez l'édifice; Pour que notre oeil soit récrée, Que notre coeur se réjouisse De l'oeuvre par nos mains créé. Que le marteau pesant résonne, Jusqu'au moment où, des débris De l'enceinte qui l'emprisonne, Naîtra la cloche, au jour surpris.
C'est le maître prudent qui doit rompre le moule; Mais, lorsqu'en flots brulants, l'airain s'échappe et roule, Quand sa puissance même a rejeté ses fers, Il mugit, et semblable aux laves des enfers,
De sa captivité court punir ses rivages.
Tel, le flot populaire étend ses longs ravages. Ah! malheur, lorsqu'au sein des états menacés, Des germes factieux fermentent amassés,
Et que le peuple enfin, las de sa longue enfance, S'empare horriblement de sa propre défense ! Aux cordes de la cloche, alors, en rugissant, Se suspend la révolte, aux bras ivres de sang. L'airain qu'au Dieu de la paix la piété consacre, Sonne un affreux signal de guerre et de massacre; Un cri de toutes parts s'élève: Égalité! Liberté !... chacun s'arme ou fuit épouvanté. La ville se remplit; hurlant des chants infâmes, Des troupes d'assassins la parcourent; les femmes Avec les dents du tigre insultent, sans pitié, Le coeur de l'ennemi déjà mort à moitié, Et du rire d'un monstre avec l'horreur se jouent. De l'austère pudeur les liens se dénouent; L'homme de bien fait place à la rébellion. Certe, il est dangereux d'éveiller le lion, La serre du vautour est sanglante et terrible; Mais l'homme en son délire, est cent fois plus horrible. Oh! ne prodiguons point par un jeu criminel,
Les célestes clartés à l'aveugle éternel;
Leur flambeau l'aide au mal, et d'une main hardie
Au lieu de la lumière, il répand l'incendie!
Dieu ne veut plus nous éprouver!
Voyez, du sol qui l'environne,
Lisse et brillante, la couronne
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