Page images
PDF
EPUB

Afin que la masse amollie

Roule en plus rapides torrents.

Ce pieux monument que vont, avec mystère,
Édifier nos mains dans le sein de la terre,
Il parlera de nous des sommets de la tour:
Vainqueur, il franchira les temps, et tour à tour,
Comptera des humains les races disparues;
On verra dans le temple, à sa voix accourues,
Des familles sans nombre humilier leur front;
Aux pleurs de l'affligé ses plaintes s'uniront;
Et ce que les destins, loin de l'âge où nous sommes,
Dans leur cours inégal apporteront aux hommes,
S'en ira retentir contre ses flancs mouvants
Qui le propageront sur les ailes des vents.

Je vois frémir la masse entière,
L'air s'enfle en bulles; cependant
Des sels de l'alkali mordant,
Laissez se nourrir la matière.
Il faut que du bouillant canal
L'impure écume s'évapore,
Afin que la voix du métal

Retentisse pleine et sonore.

La cloche annonce au jour, avec des chants joyeux,
L'enfant dont le sommeil enveloppe les yeux,
Qu'il repose!... Pour lui, tristes ou fortunées,
Dans l'avenir aussi dorment les destinées.
Mais sa mère, épiant un sourire adoré,
Veille amoureusement sur son matin doré.

Hélas! le temps s'envole et les ans se succèdent.
Déjà l'adolescent, que mille voeux possèdent,
Tressaille, et de ses soeurs quittant les chastes jeux,
S'élance, impatient, vers un monde orageux.
Pélerin engagé dans ses trompeuses voies,
Qu'il a connu bientôt le néant de ses joies!
Il revient, étranger, au hameau paternel,
Et devant ses regards, comme un ange du ciel,
Apparaît, dans la fleur de sa grâce innocente,
Les yeux demi-baissés, la vierge rougissante.
Alors un trouble ardent, qu'il ne s'explique pas,
S'empare du jeune homme. Il égare ses pas,
Cherche les bois déserts et les lointains rivages,
Et, de ses compagnons fuyant les rangs sauvages,
Au traces de la vierge il s'attache, et rêveur,
Adore d'un salut la douteuse faveur.

Des aveux qu'il médite il s'enivre lui-même ;
Aux nuages, aux vents, il dit cent fois qu'il aime ;
Sa main aux prés fleuris demande, chaque jour,
Ce qu'ils ont de plus beau, pour parer son amour;
Son coeur s'ouvre au désir, et ses rêves complices
Du ciel anticipé connaissent les délices.
Hélas! dans sa fraîcheur, que n'est-elle toujours,
Cette jeune saison des premières amours!

Comme les grands tubes brunissent!
Qu'un rameau, dans la masse admis,
Plonge... Quand ses bords se vernissent
On peut fondre. Courage, amis !
Tentons cette épreuve infaillible,

Par qui doit être révélé

Si le métal dur au flexible
S'est heureusement accouplé.

Car, où l'on voit la force à la douceur unie,
De ce contraste heureux naît la pure harmonie.
C'est ainsi qu'enchaîné par un attrait vainqueur,
Le coeur éprouvera s'il a trouvé le coeur.
L'illusion est courte, et sa fuite est suivie
D'un amer repentir aussi long que la vie.
Voici, des fleurs au sein, des fleurs dans ses cheveux,
La vierge, pâle encore de ses premiers aveux;
Sur son front couronné, sur sa pudique joue,
Le voile de l'épouse avec amour se joue,
Quand la cloche sonore, en longs balancements,
A l'éclat de la fête invite les amants :
La fête la plus belle et la plus fortunée,
Hélas! est du printemps la dernière journée;
Car avec la ceinture et le voile, en un jour,
La belle illusion se déchire, et l'amour
Menace d'expirer quand sa flamme est plus vive.
A l'amour fugitive que l'amitié survive,

Qu'à la fleur qui n'est plus succède un fruit plus doux.
Déjà, la vie hostile appelle au loin l'époux;
Il faut qu'il veille, agisse, ose, entreprenne, achève,
Pour atteindre au bonheur, insaisissable rêve.
D'abord il marche, aidé de la faveur des cieux:
L'abondance envahit ses greniers spacieux;
A ses nombreux arpens d'autres arpens encore
S'ajoutent; sa maison s'étend et se décore;

La mère de famille y règne sagement;

Du groupe des garçons gourmande l'enjoûment,
Instruit la jeune fille, aux mains laborieuses;
Youée aux soins prudents des heures sérieuses,
Des rameaux du verger elle détache et rend
Tout le linge de neige à son coffre odorant;
Y joint la pomme d'or que janvier verra mûre;
Tourne le fil autour du rouet qui murmure,
Partage aux travailleurs la laine des troupeaux,
Les surveille et comme eux ignore le repos.
Du haut de sa demeure, au jour naissant, le père
Contemple, en souriant, sa fortune prospère,
Ses murs dont l'épaisseur affronte les saisons,
Et ses greniers comblés des dernières moissons,
Tandis que du printemps les haleines fécondes
De ses jeunes épis bercent déjà les ondes.
D'une bouche orgueilleuse il se vante: „Aussi forts
Que ces rocs où du temps s'épuisent les efforts,
Pèsent les bâtiments que mon or édifie;
Vienne l'adversité, leur splendeur la défie!"

Malheureux! qui peut faire un pacte avec le sort! Le ciel rit, un point noir paraît, la fondre en sort. Bien. Le rameau fait son épreuve.

Commençons la fonte... Un moment!
Avant de déchaîner le fleuve,
Avez-vous prié saintement?

A présent, allons! qu'on se range;
Ouvrez les canaux. (Ah! que Dieu
Nous aide!) Voyez le mélange

Accourir en vagues de feu.

Il est de l'univers la plus pure merveille,

Le feu, quand l'homme en paix le dompte et le surveille,

Et c'est par son secours que l'homme est souverain.
Mais qu'il devient fatal lorsque, seule et sans frein,
Sa force enveloppant les vieux pins, les grands chênes,
Vole comme un esclave affranchi de ses chaînes.
Malheur, lorsque la flamme au gré des aquilons,
A travers les cités roule ses tourbillons!
Car tous les éléments ont une antique haine
Pour les créations de la puissance humaine.
Entendez-vous des tours bourdonner le beffroi ?
A la rougeur du ciel, le peuple avec effroi

S'interroge ; au milieu des noirs flots de fumée,
S'élève, en tournoyant, la colonne enflammée.
L'incendie, étendant sa rapide vigueur,

Du front des bâtiments sillonne la longueur ;
L'air s'embrase, pareil aux gueules des fournaises;
La lourde poutre craque et de dissout en braises;
Les portes, les balcons s'écroulent... Plus d'abris;
Les enfants sont en pleurs sur les seuils en débris.
Les mères, le sein nu, comme de pâles ombres,
Courent; les animaux hurlent sous les décombres :
Tout meurt, tombe ou s'enfuit par de brûlants chemins.
Le sceau vole emporté par la chaîne des mains:
Ce fils, qui va tenter l'effrayante escalade,
Souvera-t-il du moins son vieux père malade?...
L'orage impétueux accourt de l'occident,

La flamme s'en irrite, et l'accueille en grondant.
Sur la moisson sêchée elle tombe et serpente,

« PreviousContinue »