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Mon seul nom prononcé fera rougir leur front.
L'opprobre et l'abandon, voilà leur héritage:
Nulle vierge aux autels n'acceptera leur main,
Et le peuple en fuyant dira sur leur passage:
Malheur aux fils de l'assassin !"

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Et toi, dont l'hyménée avait fait ma conquête,
Heureuse de dormir dans la paix du tombeau,
Réjouis-toi; tes yeux n'ont pas vu sur ma tête
Peser du déshonneur l'exécrable fardeau.
Veuve de ses plaisirs, si ma couche fidèle
Longtemps pleura l'épouse enlevée à l'époux,
La mort va nous rejoindre, et la tombe m'appelle
A son éternel rendez-vous.

La mort!... Quel bruit soudain ébranle mon abîme!
J'entends des bruits confus, j'entends des pas nombreux;
On accourt.... L'échafaud réclame sa victime.
Eh bien, mon dernier jour sera le moins affreux.
Du fond de ces cachots ma paisible innocence
S'élève en souriant vers la divinité;

Mes tourments vont finir, ma liberté commence :
Je suis prêt pour l'éternité.

A. Bignan.

Le jeune pâtre.

Voici la nuit, qui va descendre,
Les troupeaux couvrent le chemin :
Les chants du soir se font entendre,

Je reste seul pauvre orphelin !
O pâtres, quittez vos bruyères,
Ceux, que vous aimez,
Sont là-bas !

On vous attend dans vos chaumières,
Allez, allez,

Moi l'on ne m'attend pas.

Moi, souffrant et pauvre, mon âme
Sans amour doit se consumer,
Jamais un doux regard de femme
Ne me dira: Veux tu m'aimer?

Helas! ici, jusqu'à l'aurore

Je reste, et demain, sans espoir,
Demain, vous entendrez encore
Mon chant plaintif de chaque soir.
O pâtres, quittez vos bruyères,
Ceux, que vous aimez,

Sont là-bas !

On vous attend dans vos chaumières,

Allez, allez,

Moi l'on ne m'attend pas.

Émile Souvestre.

Le sylphe.

Je suis un sylphe, une ombre, un rien, un rêve,

Hôte de l'air, esprit mystérieux,

Léger parfum que le zéphir enlève,

Anneau vivant qui joint l'homme et les dieux.

De mon corps pur les rayons diaphanes
Flottent mêlés à la vapeur du soir;

Mais je me cache aux regards des profanes,
Et l'âme seule, en songe, peut me voir.
Rasant du lac la nappe étincelante,
D'un vol léger j'effleure les roseaux,
Et, balancé sur mon aile brillante,

J'aime à me voir dans le cristal des eaux.

Dans vos jardins quelquefois je voltige,
Et, m'enivrant de suaves odeurs,

Sans que mon poids fasse incliner leur tige,
Je me suspends au calice des fleurs.

Dans vos foyers j'entre avec confiance,
Et récréant son oeil clos à demi,
J'aime à verser des songes d'innocence
Sur le front pur d'un enfant endormi.

Lorsque sur vous la nuit jette son voile,
Je glisse aux cieux comme un long filet d'or,
Et les mortels disent: c'est une étoile

"Qui d'un ami nous présage la mort."

A. Dumas.

Le départ du petit Savoyard.

Pauvre petit, pars pour la France;

Que te sert mon amour? Je ne possède rien.

On vit heureux ailleurs; ici dans la souffrance :
Pars, mon enfant; c'est pour ton bien.

Tant que mon lait put te suffire,

Tant qu'un travail utile à mes bras fut permis,
Heureuse et satisfaite en te voyant sourire,
Jamais on n'eût osé me dire:

Renonce aux baisers de ton fils.

Mais je suis veuve; on perd sa force avec la joie.
Triste et malade, où recourir ici?

Où mendier pour toi? Chez des pauvres aussi?
Laisse ta pauvre mère, enfant de la Savoie ;
Va, mon enfant, où Dieu t'envoi!

Que feras-tu, mon fils, si Dieu ne te seconde !

Seul, parmi les méchants, (car il en est au monde)

Sans ta mère, du moins,

pour t'apprendre à souf

frir?

Oh! que n'ai-je du pain, mon fils, pour te nourrir!

Mais Dieu le veut ainsi : nous devons nous soumettre:
Ne pleure pas en me quittant;

Porte au seuil des palais un visage content.
Parfois mon souvenir t'affligera peut-être ...
Pour distraire le riche, il faut chanter pourtant.

Chante, tant que la vie est pour toi moins amère; Enfant, prends ta marmotte et ton léger trousseau; Répète, en cheminant, les chansons de-ta mère, Quand ta mère chantait autour de ton berceau.

Maintenant de ta mère entends le dernier voeu: Souviens-toi, si tu veux que Dieu ne t'abandonne, Que le seul bien du pauvre est le peu qu'on lui

donne.

Prie, et demande au riche: il donne au nom de Dieu. Ton père le disait; sois plus heureux: adieu.

A. Guiraud.

La soeur grise.

J'ai laissé pour toujours la maison paternelle ;
Mes jeunes soeurs pleuraient, ma pauvre mère aussi.
Oh! qu'un regret tardif me rendrait criminelle !
Ne suis-je pas heureuse ici? ...

Ne m'abandonne pas, toi qui m'as appelée,
Dieu, qui mourus pour nous, mon Dieu, je t'appar-

tiens!

Et moi, qui console et soutiens,

J'ai besoin d'être consolée.

Ignorante du monde avant de le quitter,

Je ne le hais point; et peut-être

(Un mourant me l'a dit) j'aurais dû le connaître,
Pour ne jamais le regretter.

Quand je me sens reprendre à sa joie éphémère,
Faible encor du dernier adieu,

J'embrasse ta croix, ô mon Dieu! ...
Je n'embrasserai plus ma mère.

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