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Muette et désolée, elle ne vivait plus

Que pour pleurer sur une tombe!... Un arbuste odorant, et par ses mains planté, Sur ces restes si chers étendait son ombrage. Là s'arrêtait souvent son regard attristé ! Quelques fleurs émaillaient ce verdoyant feuillage; Une surtout, brillante au milieu de ses soeurs, Souriait la pauvre mère.

Elle semblait heureuse et fière

D'embellir ce lieu de douleurs!

Aussi, chaque matin une eau limpide et pure
Baignait son calice vermeil;

Du moindre vent, pour elle, on redoutait l'injure,
Mille soins caressants saluaient son réveil;

Et quand sa tige languissante

Se penchait sous les feux du jour,

Sous quelques frais rameaux une main prévoyante La protégeait avec amour!...

Humble fleur, par le deuil choisie

Pour fêter et parer la mort,

Bientôt tu devins une amie

Pour ce coeur brisé par le sort!
Quand la dixième année enfin fut écoulée,
La mère, le front souriant,

S'approchait du tombeau, paisible, consolée,
Et venait pour la fleur autant que pour l'enfant.
De Dieu les bontés paternelles

Mesurent sagement le poids de nos douleurs !

Au temps il a donné deux ailes,

L'une, emportant nos biens, l'autre essuyant nos pleurs.

Léon Halévy.

La feuille flétrie.

Pourquoi tomber déjà, feuille jaune et flétrie ?
J'aimais ton doux aspect dans ce triste vallon.
Un printemps, un été, furent toute ta vie ;
Et tu vas sommeiller sur le pâle gazon.

Pauvre feuille! il n'est plus le temps où ta verdure
Ombrageait le rameau dépouillé maintenant.

Si fraîche au mois de mai! faut-il que la froidure
Te laisse encore à peine un incertain moment!
L'hiver, saison des nuits, s'avance et décolore
Ce qui servait d'asile aux habitants des cieux;
Tu meurs, un vent du soir vient t'embrasser encore;
Mais ses baisers glacés pour toi sont des adieux.

Elisa Mercoeur.

Le captif.

Le crime fait la honte, et non pas l'échafaud.

Combien dans ces cachots creusés par l'injustice,
Combien mes jours captifs se traînent lentement!
C'est déjà le subir qu'attendre le supplice,

Et chaque heure nouvelle est un nouveau tourment.
O murs! sombre séjour de deuil et d'épouvante!
Ouvrez-vous, laissez-moi m'emparer de mon sort;
Laissez-moi, libre enfin de ma tombe vivante,
Me réfugier dans la mort.

Un rayon faible et pâle, à travers les ténèbres,
N'éclaire qu'à regret mon vaste souterrain,

Et n'offre à mes regards, sous les voûtes funèbres,
Que des portes de fer et des chaînes d'airain.
Seul et déshérité de toute la nature,

Les pleurs vont de mes jours éteindre le flambeau.
J'ai pour lit un rocher, du pain pour nourriture,
Et pour asile le tombeau.

Privé de l'air des cieux, de l'aspect de la terre,
Soleil, mes yeux jamais ne monteront vers toi:
Dans l'abîme où languit ma douleur solitaire,
Le monde des vivants n'existe plus pour moi.
O champs de ma patrie! ô fertiles rivages!
Rochers d'où mon regard interrogeait les mers,
Beaux vallons, verts côteaux, voluptueux ombrages,
Adieu pour jamais, je vous perds!

Quand d'un léger sommeil la douceur bienfaisante
Vient fermer un instant mes yeux lassés de pleurs,
De mon bonheur passé l'image séduisante,
Comme un baume céleste assoupit mes douleurs.
Je ressaisis ces jours où ma jeunesse ardente,
Aimant, pour tout connaître, à se multiplier,
Étendait en espoir sa course indépendante

Jusqu'aux bornes du monde entier.

J'embrasse d'un regard un horizon immense.
Combien ces flots sont purs! combien ces vents sont

frais !

L'aigle avec maje sté dans les airs se balance.

L'univers m'appartient; mais tout change. O regrets!

POÉSIES DIVERSES.

Plus mon songe était doux, plus sa fuite est terrible,
Mon rapide bonheur s'envole dans les airs.

Quand on se rêvait libre, hélas! qu'il est horrible
De s'éveiller au bruit des fers!

Si mon coeur égaré m'eût poussé vers le crime,
Si mon bras l'eût commis, je ne me plaindrais pas,
Et sous le fer des lois, d'un juste arrêt victime,
J'irais sans murmurer courber mes attentats.

Mais des mortels trompés quand la haine m'accable,
Puis-je ne pas gémir d'un trépas flétrissant?
La terre vainement m'a proclamé coupable,
Le ciel me proclame innocent.

Quoi! moi d'un meurtre affreux jaurais été complice,
Et le nom d'assassin me suivrait au tombeau!
Sur la foi d'un soupçon faut-il que je périsse ?
Je demandais un juge, et ne vois qu'un bourreau !
Condamné par les lois, absous par la nature,
L'homme pur de forfaits ne craint point le trépas;
. La rage est dans son coeur, la douleur y murmure;
Mais le remords n'y frémit pas.

Trahi par les humains, je descends dans moi-même :
Là je trouve un appui, là j'obtiens un vengeur;
Là s'élève en secret un tribunal suprême,
Qui me rend le repos en me rendant l'honneur.
Mon âme, en sa vertu confiante et tranquille,
Ne dit pas à l'espoir un éternel adieu;
Si l'homme me repousse, il me reste un asile
Aux pieds du trône de mon Dieu.

Pourtant j'aimais à vivre, et je meurs jeune encore, Et la fleur de mes ans tombe dans son matin;

Comme un soleil d'hiver voilé dès son aurore,
Astre décoloré, je touche à mon déclin.
Deux enfants, doux portrait d'une épouse chérie,
Faisaient battre mon sein et d'espoir et d'orgueil;
Mais l'éclat dont par eux s'embellissait ma vie
S'éteint dans la nuit du cercueil.

Heureux qui, s'entourant des fils de sa tendresse,
Riche de jours nombreux coulés dans le bonheur,
Couronné de repos, d'amour et de vieillesse,
Sur sa couche du soir expire avec honneur;
Le respect d'âge en âge escorte sa mémoire:
On le chérit encor lorsqu'il n'existe plus,
Et la postérité se lègue avec sa gloire
L'héritage de ses vertus.

Pour moi je vais mourir étranger dans le monde;
Je vais mourir flétrie, mourir abandonné,

Semblable au malheureux qui de la lèpre immonde
A reçu dans ses flancs le germe empoisonné.
Mes fils ne viendront pas recueillir sur ma bouche
Ma dernière pensée et mes derniers adieux,
Ni l'oeil en pleurs, autour de ma funèbre couche
Traîner le deuil religieux.

Tous deux, associés à l'erreur de la terre,

Dans leur amour pour moi ne verraient qu'un affront; Ils baisseront les yeux au souvenir d'un père:

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