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C'est avec mon ami que ma raison s'épure,
Que je cherche la paix, des conseils, un appui.
Je me soutiens, m'éclaire, et me calme avec lui.
Dans des piéges trompeurs si ma vertu sommeille,
J'embrasse, en le suivant, sa vertu qui m'éveille.
Dans le champ varié de nos doux entretiens,
Son esprit est à moi, ses trésors sont les miens.
Je sens dans mon ardeur, par les siennes pressées,
Naître, accourir en foule, et jaillir mes pensées.
Mon discours s'attendrit d'un charme intéressant,
Et s'anime à sa voix du geste et de l'accent.
Quelquefois tous les deux nous fuyons au village.
Nous fuyons. Plus de soins, plus d'importune image.
Amis, la liberté nous attend dans les bois.

Sans nous plaindre, et de l'homme, et des grands, et des rois,

Nous déplorons sans fiel leur pénible esclavage. De mes tilleuls à peine ai-je aperçu l'ombrage, Mon coeur s'ouvre à la joie, au calme, à l'amitié. J'ai revu la nature, et tout est oublié.

Ducis.

Vérité.

Sans doute ils vous diront: Vous êtes bien crédule, N'allez-vous pas souffrir, plus que lui, de ses maux ! Poète, son chagrin s'évapore en vains mots,

Se cadence en soupirs que sa lyre module.

Vous partez; il languit, il se meurt... un instant; Puis, de son art chéri rappelant la magie,

Il voit dans votre absence un sujet d'élégie,
Et de son désespoir se console en chantant.

Voilà ce qu'ils diront.

C'est leur joie et leur vie,

De blasphémer les arts, de nier l'amitié!

Mais vous, les croirez-vous ces discours de l'envie, Qui refuse au talent jusques à la pitié?

Non, la douleur n'est point la muse du poète;
Il lui faut des parfums, des sourires, des fleurs...
Quand mon coeur parle trop, ma voix devient muette
Et mon luth, loin de vous, se détend sous mes pleurs.
Émile Deschamps.

L'océan.

Sombre océan, du haut de tes falaises,
Que j'aime à voir les barques du pêcheur!
Et de tes vents, sous l'ombre des mélèzes,
A respirer la lointaine fraîcheur !

Je veux, ce soir, visitant tes rivages,
Y promener mes rêves les plus chers;
J'aime de toi jusqu'à tes ravages,

Mon coeur souffrant s'apaise au bruit des mers:
Sombre océan, j'aime tes cris sauvages,

Les jours sont doux près de tes flots amers!

Sombre océan, j'épuiserais ma vie

A voir s'enfler tes vagues en fureur;
Mon corps frissonne et mon âme est ravie,

Tu sais donner un charme à la terreur.
Depuis le jour où cette mer profonde
M'apparut noire aux lueurs des éclairs,
Nos lacs si bleus, la langueur de leur onde,
N'inspirent plus mes amours ni mes vers;
Sombre océan, vaste moitié du monde,
Les jours sont doux près de tes flots amers!

Sombre océan, parfois ton front s'égaie,
Épanoui sous l'astre de Venus;

Et mollement ta forte voix bégaie

Des mots sacrés à la terre inconnus.

Et puis ton flux s'élance, roule et saute,
Comme un galop de coursier aux crins verts;
Et se retire, en déchirant la côte

D'un bruit semblable au rire des enfers.
Sombre océan, superbe et terrible hôte,

Les jours sont doux près de tes flots amers!

Sombre océan, soit quand tes eaux bondissent,
Soit quand tu dors comme un champ moissonné,
De ta grandeur nos pensers s'agrandissent,
L'infini parle à notre esprit borné.

Qui, devant toi, quel athée en démence,
Nîrait tout haut le Dieu de l'univers !
Qui, l'Éternel s'explique par l'immense !
Dans ton miroir j'ai vu les cieux ouverts
Sombre océan, par qui ma foi commence,
Les jours sont doux prês de tes flots amers !
Émile Deschamps.

Le tombeau du poète.

Ils avaient déposé dans la terre muette
Ce corps, que dévora son âme de poète;
Mais nous tous, ses amis, nous revînmes le soir,
Près de ses restes froids, saintement nous asseoir,
Et nous jetions des vers à son ombre ravie,

Comme, en signe de deuil, pour saluer leurs noms,
Tonne au tombeau des rois la douleur des canons;
Quand soudain (c'était bien sa voix pendant la vie !)
Parvint à nous ce chant, tel que nous le donnons :

„O songes, confidents de l'éternel mystère, „Songes, doux messagers des astres à la terre; "Apprenez à cet ange, hélas! qui manque au ciel, Qu'au sein des purs esprits et du bonheur réel, Triste, je cherche encor ses fleurs, ses eaux limpides,

"

Et le bruit de son rire, et le bruit de ses pas,

„Et de son front voilé les modestes appas;

"Et que des beaux instants, près d'elle si rapides, Mon immortalité ne me console pas !"

Et tous, levés ensemble, attentifs au prodige,
Nous nous taisions. — Enfin, ô mes amis ! leur dis-je,
Vous voyez bien; (et certe, on ne peut démentir
Cette voix que la tombe, en s'ouvrant, fait sortir.)
Quand on croit le poète occupé d'un vain faste,
Qu'on ne lui croit un coeur, des pensers et des yeux,
Que pour son nom; il traîne un mal silencieux,

Et trop jeune s'éteint, brulé d'un amour chaste,

Qui survit à la mort et souffre dans les cieux!
Émile Deschamps.

L'oreiller d'une petite fille.

Cher petit oreiller, doux et chaud sous ma tête,
Plein de plumes choisies, et blanc, et fait pour moi!
Quand on a peur du vent, des loups, de la tempête,
Cher petit oreiller, que je dors bien sur toi!

Beaucoup, beaucoup d'enfans, pauvres et nus, sans mère,
Sans maison, n'ont jamais d'oreiller pour dormir;
Ils ont toujours sommeil! ô destinée amère !
Maman! douce maman! cela me fait gémir.

Et quand j'ai prié Dieu pour tous ces petits anges
Qui n'ont pas d'oreiller, moi, j'embrasse le mien ;
Et, seule en mon doux nid qu'à tes pieds tu m'ar-
ranges,

Je te bénis, ma mère, et je touche le tien.

Je ne m'éveillerai qu'à la lueur première

De l'aube au rideau bleu: c'est si gai de la voir!
Je vais dire tout bas ma plus tendre prière,
Donne encore un baiser, douce maman; bon soir!

Mme Desbordes-Valmore.

La veillée du nègre.

Le soleil de la nuit éclaire la montagne ;
Sur le sable désert faut-il encor rester ?
Doucement dans mes bras laisse-moi t'emporter,
Bon maître, éveille-toi! marchons vers la campagne.
Tes yeux sont clos depuis trois jours:
Maître! dormiras-tu toujours ?

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