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Hélas! dans nos cités, naguère si splendides,
Erre, les bras croisés, et les regards avides,
Une effrayante oisiveté :

Dans l'atelier désert habite le silence;

Et l'on a vu frapper la maison de l'aisance
D'une soudaine pauvreté.

Pénétrez aux réduits de ces tristes familles,
Voyez le haillon manque à la pudeur des filles !
Voyez le désespoir qui sait tout terrasser,
L'enfant dont les besoins ont dévoré les charmes,
Qui demande du pain et dont la mère est en larmes
Ne peut, hélas ! que l'embrasser!

Seigneur, notre misère est-elle assez profonde!.......
Que ma faible parole, en charité féconde,
Rende tous les coeurs généreux !

Faites pleuvoir l'aumône aux accents de ma lyre!
La vanité n'a point commandé mon délire,
J'ai chanté pour les malheureux.

Reboul.

Stances.

Que j'aime à voir dans la vallée
Désolée,

Se lever comme un mausolée

Les quatres ailes d'un noir moutier !

Que j'aime à voir, près de l'austère
Monastère,

Au seuil du baron feudataire,

La croix blanche et le bénitier!

Vous, des antiques Pyrénées
Les aînées,

Vieilles églises décharnées,
Maigres et tristes monuments,

Vous que le temps n'a pu dissoudre,
Ni la foudre,

De quelques grands monts mis en poudre
N'êtes-vous pas les ossements ?

J'aime vos tours à tête grise,
Où se brise

L'éclair qui passe avec la brise...
J'aime vos profonds escaliers,

Qui, tournoyant dans les entrailles
Des murailles,

A l'hymne éclatant des ouailles
Font répondre tous les piliers!

Oh! lorsque l'ouragan, qui gagne
La campagne,

Prends par les cheveux la montagne
Que le temps d'automne jaunit;

Que j'aime, dans le bois qui crie
Et se plie,

Les vieux clochers de l'abbaye,
Comme deux arbres de granit!

Que j'aime à voir dans les vesprées
Empourprées,

Jaillir en veines diaprées

Les rosaces d'or des couvents!

Oh! que j'aime, aux voûtes gothiques
Des portiques,

Les vieux saints de pierre athlétiques
Priant tout bas pour les vivants!

Musset.

La poésie.

Chasser tout souvenir et fixer la pensée,
Sur un bel axe d'or la tenir balancée,
Incertaine, inquiète, immobile pourtant;
Éterniser peut-être un rêve d'un instant;

Aimer le vrai, le beau, chercher leur harmonie ;
Écouter dans son choeur l'écho de son génie ;
Chanter, rire, pleurer, seul, sans but, au hasard ;
D'un sourire, d'un mot, d'un soupir, d'un regard,
Faire un travail exquis, plein de crainte et de charme,
Faire une perle d'une larme :

Du poète ici-bas voilà la passion,

Voilà son bien, sa vie et son ambition.

Musset.

La mendiante au cimetière.

La pauvre femme est là, devant le cimetière, Bien vieille, et ne pouvant presque se soutenir; Elle implore l'aumône, et prie, et sa prière Parle de mort et d'avenir.

Là, du matin au soir, tous ceux que l'on enterre Passent devant ses yeux avec leur blanc linceul; Là vient la jeune fille, et puis la pauvre mère, Et puis l'enfant, et puis l'aïeul.

Elle voit les regrets, les douleurs et les larmes, Elle sait que beaucoup ont tremblé de mourir ; Mais pour elle, elle peut y songer sans alarmes : Pour elle, mourir c'est dormir.

Le monde dur et froid la dédaigne et la chasse,
Et personne ne vient s'attacher à son sort;
Mais, pour se consoler, d'avance elle a pris place
Dans cet asile de la mort.

Que l'on visite encore un jour ce cimetière, Les yeux la chercheront et ne la verront pas : Car elle aura quitté son vieux siège de pierre, Pour reposer un peu plus bas.

Marmier.

L'amitié.

Noble et tendre amitié, je te chante en mes vers. Du poids de tant de maux semés dans l'univers,

Par tes soins consolants c'est toi qui nous soulages.
Trésor de tous les lieux, bonheur de tous les âges,
Le ciel te fit pour l'homme, et tes charmes touchants
Sont nos derniers plaisirs, sont nos premiers penchants.
Qui de nous, lorsque l'âme encor naïve et pure
Commence à s'émouvoir, et s'ouvre à la nature,
N'a pas senti d'abord, par un instinct heureux,
Le besoin enchanteur, le besoin d'être deux,
De dire à son ami ses plaisirs et ses peines?

D'un zéphyr indulgent si les douces haleines
Ont conduit mon vaisseau vers des bords enchantés,
Sur ce théâtre heureux de mes prospérités,

Brillant d'un vain éclat, et vivant pour moi-même,
Sans épancher mon coeur, sans un ami qui m'aime,
Porterai-je moi seul, de mon ennui chargé,

Tout le poids d'un bonheur qui n'est point partagé ?
Qu'un ami sur mes bords soit jeté par l'orage,
Ciel avec quel transport je l'embrasse au rivage!
Moi-même, entre ses bras si le flot m'a jeté,
Je ris de mon naufrage et du flot irrité.

Oui, contre deux amis la fortune est sans armes ;
Ce nom répare tout: sais-je, grâce à ses charmes,
Si je donne ou j'accepte? Il efface à jamais
Ce mot de bienfaiteurs, et ce mot de bienfaits.
Si, dans l'été brûlant d'une vive jeunesse,
Je saisis du plaisir la coupe enchanteresse,
Je veux, le front ouvert de la feinte ennemie,
Voir briller mon bonheur dans les yeux d'un ami.
D'un ami! ce nom seul me charme et me rassure.

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