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Et là, bientôt plus calme en son accroissement,
Semble, dans ses travaux, s'arrêter un moment,
Et se plaire à mêler, à briser sur son onde
Les membres arrachés au cadavre du monde.

Ce fut alors qu'on vit des hôtes inconnus
Sur ces bords étrangers tout-à-coup survenus ;
Le cèdre jusqu'au nord vint écraser le saule;
Les ours noyés, flottants sur les gazons du pôle,
Heurtèrent l'éléphant près du Nil endormi;
Et le monstre, que l'eau soulevait à demi,
S'étonna d'écraser dans sa lutte contre elle,
Une vague où nageaient le tigre et la gazelle.
En vain des larges flots repoussant les premiers,
Sa trompe tournoyante arracha les palmiers;
Il fut roulé comme eux dans les plaines torrides,
Regrettant ses roseaux et ses sables arides,

Et de ses hauts bambous le lit flexible et vert,
Et jusqu'au vent de flamme exilé du désert.

Dans l'effroi général de toute créature,
La plus féroce même oubliait sa nature,
Les animaux n'osaient ni ramper ni courir ;
Chacun d'eux résigné se coucha pour mourir.
En vain, fuyant aux cieux l'eau sur ses rocs venue,
L'aigle tomba des airs, repoussé par la nue.

Le péril confondit tous les êtres tremblants.
L'homme seul se livrait à des projets sanglants.
Quelques rares vaisseaux qui se faisaient la guerre,

Se disputaient longtemps le restes de la terre,
Mais pendant leurs combats, les flots non ralentis
Effaçaient à leurs yeux ces restes engloutis.

Alors un ennemi plus terrible que l'onde
Vint achever partout la défaite du monde;
La faim de tous les coeurs chassa les passions:
Les malheureux, vivants après leurs nations,
N'avaient qu'une pensée, effroyable torture,
L'approche de la mort, la mort sans sépulture.
On vit sur un escif, de mers en mers jeté,
L'oeil affamé du fort sur le faible arrêté:
Des femmes à grands cris insultant la nature,
Y réclamaient du sort leur humaine pâture;
L'athée, épouvanté de voir Dieu triomphant,
Puisait un jour de vie aux veines d'un enfant;
Des derniers réprouvés telle fut l'agonie.
L'amour survivait seul à la bonté bannie;

Ceux qu'unissaient entre eux des serments mutuels
Et que persécutait la haine des mortels,

S'offraient d'eux-mêmes à l'onde avec un front tran

quille,

Et contre leurs douleurs trouvaient un même asile.

Enfin le fléau lent qui frappait les humains

Couvrit le dernier point des oeuvres de leurs mains;
Les montagnes, bientôt par l'onde escaladées
Cachèrent dans son sein leurs têtes inondées.
Le volcan s'éteignit, et le feu périssant
Voulut enfin y rendre un combat impuissant ;

A l'élément vainqueur il céda le cratère,

Et sortit en fumant des veines de la terre.

Kien ne se voyait plus, pas même des débris ;
L'univers écrasé ne jettait plus ses cris.

Quand la mer eut des monts chassé tous les nuages,
On vit se disperser l'épaisseur des orages;
Et les rayons du jour dévoilant leur trésor
Lançaient jusqu'à la mer des jets d'opale et d'or;
La vague était paisible, et molle et cadencée,
En berceaux de cristal mollement balancée;
Les vents, sans résistance, étaient silencieux;
La foudre, sans échos, expirait dans les cieux;
Les cieux devenaient purs, et réfléchis dans l'onde,
Teignaient d'un azur clair l'immensité profonde.
Alfred de Vigny.

Le cor.

J'aime le son du cor, le soir, au fond des bois,
Soit qu'il chante les pleurs de la biche aux abois,
Ou l'adieu du chasseur que l'écho faible accueille,
Et que le vent du nord porte de feuille en feuille.
Que de fois seul dans l'ombre à minuit demeuré,
J'ai souri de l'entendre, et plus souvent pleuré !
Car je croyais ouïr de ces bruits prophétiques
Qui précédaient la mort des paladins antiques.

O montagnes d'azur! ô pays adoré !
Rocs de la Frazona, cirque du Marboré,

Cascades qui tombez des neiges entraînées,
Sources, gaves, ruisseaux, torrents des Pyrénées ;

Monts gelés et fleuris, trône des deux saisons,
Dont le front est de glace et les pieds de gazons!
C'est là qu'il faut s'asseoir, c'est là qu'il faut entendre
Les airs lointains d'un cor mélancolique et tendre.

Souvent un voyageur, lorsque l'air est sans bruit,
De cette voix d'airain fait retentir la nuit:

A ses chants cadencés autour de lui se mêle
L'harmonieux grelot du jeune agneau qui bêle.

Une biche attentive, au lieu de se cacher,
Se suspend immobile au sommet du rocher,
Et la cascade unit, dans une chute immense,
Son éternelle plainte au chant de la romance.

Ames des Chevaliers, revenez-vous encor?
Est-ce vous qui parlez avec la voix du cor?
Roncevaux! Roncevaux! dans ta sombre vallée
L'ombre du grand Roland n'est donc pas consolée.
Alfred de Vigny.

L'aumône.

Donnez à l'indigent, donnez, heureux du monde ! Vous êtes en tout point semblables à cette onde Qui, caressant des bords par des palmiers couverts, Savoure avec orgueil leur ombre favorable,

Et s'avance pourtant d'un cours inexorable
Pour se perdre dans les déserts.

Donnez, car de la mort l'inflexible fantôme
Ne nous laisse emporter dans son fatal royaume
Que nos crimes et nos vertus ;

Et, parmi les vertus, l'aumône est la plus belle,
La plus belle des fleurs dont l'éclat étincelle
Sur la couronne des élus.

Donnez, afin qu'ayant parcouru la carrière,
Vous puissiez sans gémir regarder en arrière
Et trouver moins amer le moment du trépas,
Afin de ne pas voir l'espérance bannie,
Quand vos jours passeront devant votre agonie
Que vous ne les maudissiez pas.

Donnez, afin que, même aux terrestres demeures,
Le ciel de ses bontés accompagne vos heures
Et vous rende en tout triomphants,

Afin qu'en vos sillons il sème l'abondance,
Et qu'il tienne les eaux de la fausse science
Loin des lèvres de vos enfants...

De l'hydre des partis l'haleine empoisonnée,
Comme l'hiver enchaîne une onde fortunée,
Tient suspendu le cours de nos prospérités :
Des milliers de vaisseaux qui ne pouvaient suffire,
La voile maintenant dérobée au zéphire,

Dorment dans nos ports attristés.

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