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Quand l'ouragan mugit, quand des monts brûlants

s'ouvrent

C'est le réveil du Dieu vengeur.

Et si, lassant enfin les clémences célestes,

Le monde à ces signes funestes

Ose répondre en les bravant,

Un homme alors, choisi par la main qui foudroie, Des aveugles fléaux ressaisissant la proie,

Paraît, comme un fléau vivant!

Parfois, élus maudits de la fureur suprême,
Entre les nations des hommes sont passés,
Triomphateurs longtemps armés de l'anathême,
Par l'anathême renversés !

De l'esprit de Nimrod héritiers formidables,
Ils ont sur les peuples coupables
Régné par la flamme et le fer!

Et dans leur gloire impie, en désastres féconde,
Ces envoyés du ciel sont apparus au monde,
Comme s'ils venaient de l'enfer!

II.

Naguère, de lois affranchie,

Quand la reine des nations
Descendit de la monarchie,
Prostituée aux factions,

On vit, dans ce chaos fétide,
Naître de l'hydre régicide

Un despote, empereur d'un camp.
Telle souvent la mer qui gronde

Dévore une plaine féconde

Et vomit un volcan.

D'abord, troublant du Nil les hautes catacombes;
Il vint, chef populaire, y combattre en courant,
Comme pour insulter des tyrans dans leurs tombes,
Sous sa tente de conquérant.

Il revint pour régner sur ses compagnons d'armes.
En vain l'auguste France en larmes

Se promettait des jours plus beaux;

Quand des vieux Pharaons il foulait la couronne, Sourd à tant de néant, ce n'était qu'un grand trône Qu'il rêvait sur leurs grands tombeaux !

Un sang royal teignit sa pourpre usurpatrice.
Un guerrier fut frappé par ce guerrier sans foi.
L'anarchie, à Vincenne, admira son complice,
Au Louvre elle adora son roi.

Il fallut presque un Dieu pour consacrer cette homme
Le prêtre-monarque de Rome

Vint bénir son front menaçant;

Car sans doute, en secret effrayé de lui-même,
Il voulait recevoir son sanglant diadême

Des mains d'où le pardon descend.

III.

Lorsqu'il veut, le Dieu secourable
Qui livre au méchant le pervers,
Brise le jouet formidable

Dont il tourmentait l'univers.
Celui qu'un instant il seconde
Se dit le seul maître du monde;
Fier, il s'endort dans son néant;
Enfin, bravant la loi commune,
Quand il croit tenir sa fortune,
Le fantôme échappe au géant.

IV.

Dans la nuit des forfaits, dans l'éclat des victoires,
Cet homme ignorant Dieu qui l'avait envoyé,
De cités en cités promenant ses prétoires,
Marchait, sur sa gloire appuyé.

Sa dévorante armée avait dans son passage,
Asservi les fils de Pélage,

Devant les fils de Galgacus;

Et quand dans leurs foyers il ramenait ses braves,
Aux fêtes qu'il vouait à ses vainqueurs esclaves,
Il invitait les rois vaincus !

Dix empires conquis devinrent ses provinces.
Il ne fut pas content dans son orgueil fatal.
Il ne voulait dormir qu'en une cour de princes,
Sur un trône continental!

Ses aigles, qui volaient sous vingt cieux parsemées
Au nord, de ses longues armées

Guidèrent l'immense appareil ;

Mais la parut l'écueil de sa course hardie.
Les peuples sommeillaient: un sanglant incendie
Fut l'aurore du grand réveil!

Il tomba roi ;

-

puis, dans sa route,

Il voulut, fantôme ennemi,
Se relever, afin sans doute
De ne plus tomber à demi.
Alors, loin de sa tyrannie,
Pour qu'une effrayante harmonie
Frappât l'orgueil anéanti,

On jeta ce captive suprême

Sur un rocher, débris lui-même

De quelque ancien monde englouti!

Là, se refroidissant comme un torrent de lave,
Gardé par ses vaincus, chassé de l'univers,
Ce reste d'un tyran, en s'éveillant esclave,
N'avait fait que changer de fers.
Des trônes restaurés écoutant la fanfare.

Il mourut.

Il brillait de loin comme un phare,;
Montrant l'écueil au nautonnier,

Quand ce bruit éclata dans nos villes, Le monde respira dans les fureurs civiles, Délivré de son prisonnier!

Ainsi l'orgueil s'égare en sa marche éclatante,
Colosse né d'un souffle et qu'un regard abat.
Il fit du glaive un sceptre, et du trône une tente.
Tout son règne fut un combat.

Du fléau qu'il portait lui-même tributaire,

Il tremblait, prince de la terre ;

Soldat, on vantait sa valeur.

Retombé dans son coeur comme dans un abîme,

Il passa par la gloire, il passa par le crime,
Et n'est arrivé qu'au malheur.

V.

Peuples, qui poursuivez d'hommages
Les victimes et les bourreaux,
Laissez-le fuir seul dans les âges:
Ce ne sont point là les héros !
Ces faux dieux que leur siècle encense,
Dont l'avenir hait la puissance,

Vous trompent dans votre sommeil ;
Tels que ces nocturnes aurores
Où passent de grands météores,

Mais que ne suit pas le soleil.

Victor Hugo.

Le déluge.

(Fragment.)

Tous les vents mugissaient, les montagnes tremblèrent,
Des fleuves arrêtés les vagues reculèrent,

Et du sombre horizon dépassant la hauteur,
Des vengeances de Dieu l'immense exécuteur,
L'océan apparut. Bouillonnant et superbe,
Entraînant les forêts comme le sable et l'herbe,
De la plaine inondée envahissant le fond,

Il se couche en vainqueur dans le désert profond,
Apportant avec lui comme de grands trophées
Les débris inconnus des villes étouffées,

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