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Où l'ours, où le tigre s'abreuve,
Il émigre sous d'autres cieux,
Chargé de ses dieux tutélaires :
Marchons, dit-il, os de nos pères,

La patrie est où sont les dieux !

Et de quoi parlez-vous, marbres, bronzes, portiques,
Colonnes de Palmyre ou de Persèpolis!
Panthéons sous la cendre ou l'onde ensevelis,

Si vides maintenant, autrefois si remplis !

Et vous dont nous cherchons les lettres symboliques,
D'un passé sans mémoire incertaines reliques,
Mystères d'un vieux monde en mystères écrits !
Et vous, temples debout, superbes basiliques,
Dont un souffle divin anime les parvis!

Vous nous parlez des dieux! des dieux! des dieux

encore !

Chaque autel en porte un, qu'un saint délire adore, Holocauste éternel que tout lieu semble offrir. L'homme et les élements, pleins de ce seul mystère, N'ont eu qu'une pensée, une oeuvre sur la terre: Confesser cet être et mourir!

Mais si l'homme occupé de cette oeuvre suprême
Épuise toute langue à nommer le seul Grand.
Ah! combien la nature, en son silence même,
Le nomme mieux encore au coeur qui le comprend!
Voulez-vous, ô mortels, que ce Dieu se proclame?
Foulez au pied la cendre où dort le Panthéon

Et le livre où l'orgueil épèle en vain son nom!
De l'astre du matin le plus pâle rayon

Sur ce divin mystère éclaire plus votre âme

Que la lampe au jour faux qui veille avec Platon.

Montez sur ces hauteurs d'où les fleuves descendent
Et dont les mers d'azur baignent les pieds dorés,
A l'heure où les rayons sur leurs pentes s'étendent,
Comme un filet trempé ruisselant sur les prés!
Quandtout autour de nous sera splendeur et joie,
Quand les tiédes réseaux des heures de midi
En vous enveloppant comme un manteau de soie,
Feront épanouir votre sang attiédi!

Quand la terre exhalant son âme balsamique
De son parfum vital enivrera vos sens,

Et que l'insecte même, entonnant son cantique,
Bourdonnera d'amour sur les bourgeons naissants!
Quand vos regards noyés dans un vague atmosphère,
Ainsi que le dauphin dans son azur natal,
Flotteront incertains entre l'onde et la terre,
Et des cieux de saphir et des mers de cristal,

Écoutez dans vos sens, écoutez dans votre àme
Et dans le pur rayon qui d'en haut vous a lui!
Et dites si le nom que cette hymne proclame
N'est pas aussi vivant, aussi divin que lui?

Alph. de Lamartine.

Napoléon en 1811.

Quand il eut bien fait voir l'héritier de ses trônes
Aux vieilles nations comme aux vieilles couronnes,
Éperdu, l'oeil fixé sur quiconque était roi,
Comme un aigle arrivé sur une haute cime,
Il cria tout joyeux avec un air sublime:
L'avenir l'avenir! l'avenir est à moi!

Non, l'avenir n'est à personne !
Sire! l'avenir est à Dieu !

A chaque fois que l'heure sonne,
Tout ici-bas nous dit adieu.
L'avenir! l'avenir! ... mystère !
Toutes les choses de la terre,
Gloire, fortune militaire

Couronne éclatante des rois,
Victoire aux ailes embrasées,
Ambitions réalisées,

Ne sont jamais sur nous posées

Que comme l'oiseau sur nos toits!

Non, si puissant qu'on soit, non, qu'on rie ou qu'on

pleure,

Nul ne te fait parler, nul ne peut avant l'heure

Ouvrir ta froide main,

O fantôme muet, ô notre ombre, ô notre hôte,
Spectre toujours masqué qui nous suis côte à côte,
Et qu'on nomme demain !

Oh! demain, c'est la grande chose!
De quoi demain sera-t-il fait?

L'homme aujourd'hui sème la cause,
Demain Dieu fait mûrir l'effet.

Demain, c'est l'éclair dans la voile,
C'est le nuage sur l'étoile,

C'est un traître qui se dévoile,
C'est le bélier qui bat les tours,
C'est l'astre qui change de zone,
C'est Paris qui suit Babylone;
Demain, c'est le sapin du trône,
Aujourd'hui, c'en est le velours!

Demain, c'est le cheval qui s'abat blanc d'écume. Demain, ô conquérant, c'est Moscou qui s'allume, La nuit, comme un flambeau.

C'est votre vieille garde au loin jonchant la plaine; Demain, c'est Waterloo! demain, c'est Sainte-Hélène ! Demain, c'est le tombeau!

Vous pouvez entrer dans les villes
Au galop de votre coursier,
Dénouer les guerres civiles
Avec le tranchant de l'acier ;
Vous pouvez, ô mon capitaine,
Barrer la Tamise hautaine,

Rendre la victoire incertaine

Amoureuse de vos clairons,
Briser toutes portes fermées,
Dépasser toutes renommées,
Donner pour astre à des armées
L'étoile de vos éperons!

Dieu garde la durée et vous laisse l'espace;
Vous pouvez sur la terre avoir toute la place,
Être aussi grand qu'un front peut l'être sous le ciel ;
Sire, vous pouvez prendre, à votre fantaisie,
L'Europe à Charlemagne, à Mahomet l'Asie ;
Mais tu ne prendras pas demain à l'Éternel!

Victor Hugo.

Махерра.

I.

Ainsi, quand Mazeppa qui rugit et qui pleure, A vu ses bras, ses pieds, ses flancs qu'un sabre effleure

Tous ses membres liés

Sur un fougueux cheval, nourri d'herbes marines
Qui fume, et fait jaillir le feu de ses narines
Et le feu de ses pieds:

Quand il s'est dans ses noeuds roulé comme

reptile,

Qu'il à bien réjoui de sa rage inutile

Ses bourreaux tout joyeux,

Et qu'il retombe enfin sur la croupe farouche,
La sueur sur le front, l'écume dans la bouche,
Et du sang dans les yeux,

Un cri part, et soudain voilà que par la plaine
Et l'homme et le cheval, emportés, hors d'haleine,
Sur les sables mouvants,

un

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