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Du pain! je ne suis pas gourmande;
Ah! ne me grondez pas, j'ai faim.

N'allez pas croire que j'ignore

Que dans ce monde il faut souffrir;
Mais je suis si petite encore !
Ah! ne me laissez pas mourir.
Donnez à la pauvre petite,
Et pour vous comme elle prîra!
Elle a faim, donnez, donnez vite,
Donnez, quelqu'un vous le rendra.

Si ma plainte vous importune,
Eh bien! je vais rire et chanter;
De l'aspect de mon infortune
Je ne dois pas vous attrister.
Quand je pleure, l'on me rejette,
Chacun me dit: „Éloigne-toi!"
Écoutez donc ma chansonnette;
Je chante, ayez pitié de moi!

Boucher de Perthes.

Fragment.

(X Satire.)

I est, il est sur terre une infernale cuve,

On la nomme Paris; c'est une large étuve,
Une fosse de pierre aux immenses contours
Qu'une eau jaune et terreuse enferme à triples tours;
C'est un volcan fumeux et toujours en haleine,

Qui remue à longs flots de la matière humaine, Un précipice ouvert à la corruption

Où la fange descend de toute nation;

Et qui de tems en tems plein d'une vase immonde, Soulevant ses bouillons, déborde sur le monde.

Là, dans ce trou boueux, le timide soleil
Vient poser rarement un pied blanc et vermeil ;
Là, les bourdonnemens nuit et jour dans la brume
Montent sur la cité comme une vaste écume;
Là, personne ne dort, là, toujours le cerveau
Travaille, et comme l'arc tend son rude cordeau.
On y vit un sur trois, on y meurt de débauche;
Jamais le front huilé, la mort ne vous y fauche,
Car les saints monumens ne restent dans ce lieu
Que pour dire: Autrefois il y avait un Dieu.

Là, tant d'autels debout ont roulé de leurs bases,
Tant d'astres ont pâli sans achever leurs phases,
Tant de cultes naissans sont tombés sans mûrir,
Tant de grandes vertus, là, s'en vinrent pourrir,
Tant de chars meutriers creusèrent leur ornière,
Tant de pouvoirs honteux rougirent la poussière,
De révolutions au vol sombre et puissant
Crevèrent coup sur coup leurs nuages de sang,
Que l'homme, ne sachant où rattacher sa vie,
Au seul amour de l'or se livre avec furie.

Barbier.

La Napoléone. (1802.)

Que le vulgaire s'humilie

Sur les parvis dorés du palais de Sylla,
Au-devant des chars de Julie,

Sous le sceptre de Claude et de Caligula;
Ils régnèrent en dieux sur la foule tremblante.
Leur domination sanglante

Accabla le monde avili;

Mais les siècles vengeurs ont maudit leur mémoire, Et ce n'est qu'en léguant des forfaits à l'histoire Que leur règne échappe à l'oubli.

Qu'une foule pusillanime

Brûle au pied des tyrans son encens odieux.
Exempt de la faveur du crime,

Je marche sans contrainte, et ne crains que les dieux.
On ne me verra point mendier l'esclavage

Et payer d'un coupable hommage

Une infâme célébrité.

Quand le peuple gémit sous sa chaine nouvelle,
Je m'indigne d'un maître, et mon âme fidèle
Respire encor la liberté.

Il vient cet étranger perfide
Insolemment s'asseoir au-dessus de nos lois;
Lâche héritier du parricide,

Il dispute aux bourreaux la dépouille des rois.
Sycophante vomi des murs d'Alexandrie

Pour l'opprobre de la patrie,

Et pour le deuil de l'univers,

Nos vaisseaux et nos ports accueillent le transfuge: De la France abusée il reçoit un refuge,

Et la France en reçoit des fers.

Pourquoi détruis-tu ton ouvrage,

Toi qui fixas l'honneur au pavillon français ?
Le peuple adorait ton courage,

La liberté s'exile en pleurant tes succès
D'un espoir trop altier ton âme s'est bercée.
Descends de ta pompe insensée,

Retourne parmi tes guerriers.

A force de grandeur crois-tu devoir t'absoudre ?
Crois-tu mettre ta tête à l'abri de la foudre
En la cachant sous de lauriers?

Quand ton ambitieux délire

Imprimait tant de honte à nos fronts abattus,
Dans l'ivresse de ton empire

Révois-tu quelquefois le poignard de Brutus ?
Voyais-tu s'élever l'heure de la vengeance
Qui vient dissiper ta puissance
Et les prestiges de ton sort?

La roche Tarpéienne est près du Capitole,
L'abîme est près du trône, et la palme d'Arcole
S'unit au cyprès de la mort.

En vain la crainte et la bassesse,
D'un culte adorateur ont bercé ton orgueil.
Le tyran meurt, le charme cesse,

La vérité s'arrête au pied de son cercueil.
Debout dans l'avenir la justice t'appelle;

Ta vie apparaît devant elle

Veuve de ses illusions.

Les cris des opprimés tonnent sur ta poussière,
Et ton nom est voué par la nature entière
A la haine des nations.

En vain aux lois de la victoire
Ton bras triomphateur a soumis le destin.
Le tems s'envole avec ta gloire,

Et dévore en fuyant ton règne d'un matin.
Hier j'ai vu le cèdre; il est couché dans l'herbe,
Devant une idole superbe,

Le monde est las d'être enchainé.

Avant que tes égaux deviennent tes esclaves,
Il faut, Napoléon, que l'élite des braves
Monte à l'échafaud de Sidney.

Ch. Nodier.

L'hymne de la nuit.

Le jour s'éteind sur tes collines,
O terre où languissent mes pas !

Quand pourrez-vous, mes yeux, quand pourrez-vous, hélas !

Saluer les splendeurs divines

Du jour qui ne s'éteindra pas ?
Sont-ils ouverts pour les ténèbres
Ces regards altérés du jour ?

De son éclat, o nuit! à tes ombres funèbres

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