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Mais il faut au grand homme un plus heureux partage; Consulter la prudence, et suivre l'équité,

Ce n'est encor qu'un pas vers l'immortalité.

Qui n'est que juste est dur, qui n'est que sage est triste;

Dans d'autres sentimens l'héroïsme consiste:

Le conquérant est craint, le sage est estimé;
Mais le bienfaisant charme, et lui seul est aimé;
Lui seul est vraiment roi, sa gloire est toujours pure;
Son nom parvient sans tache à la race future.
A qui se fait chérir faut-il d'autres exploits?
Trajan non loin du Gange enchaîna trente rois;
A peine a-t-il un nom fameux par la victoire :
Connu par ses bienfaits, sa bonté fait sa gloire.
Jerusalem conquise, et ses murs abattus,
N'ont point éternisé le grand nom de Titus:
Il fut aimé; voilà sa grandeur véritable.

O vous qui l'imitez, vous son rival aimable,
Effacez le héros dont vous suivez les pas;
Titus perdit un jour, et vous n'en perdrez pas.

Voltaire.

A ma soeur de Baireuth.

O doux et cher espoir du reste de mes jours!
O soeur! dont l'amitié si fertile en secours
Partage mes chagrins, de mes douleurs s'attriste,
Et d'un bras secourable au sein des maux m'assiste.

Vainement le destin m'accable de revers, Vainement contre moi s'arme tout l'univers.

Si sous mes pas tremblans la terre est entr'ouverte, Si la foule des rois a conjuré ma perte,

Qu'importe ? Vous m'aimez, tendre et sensible soeur ; Etant chéri de vous, il n'est plus de malheur.

J'ai vu, vous le savez, s'epaissir les nuages Dont les flancs ténébreux ont vomi ces orages. J'ai vu, vous le savez, tranquille et sans effroi, Ces dangereux complots se tramer contre moi. La fortune ennemie excitant la tempête, M'ôta jusqu'aux moyens d'y dérober ma tête. Soudain en s'élançant du gouffre des enfers, La discorde parut et troubla l'univers. Le trouble, la terreur, le désordre s'accroît, La paix s'envole aux cieux, l'équité disparaît; On respire le sang, le meurtre, les alarmes ; Les champs restent déserts, tout peuple est sous les

armes.

Cet ange qui préside au destin des combats,
Qui dirige ou retient les flèches du trépas,
Arrache la fortune ou soudain la ramène,
Soutenait nos drapeaux d'une main incertaine ;
Il permet que le nombre aceable la vertu.

De la Prusse aux abois on crut la chute sûre; On présageait sa mort d'une faible blessure.

Ce qu'il restait de rois jusqu'en ces jours d'horreurs, De nos combats sanglans tranquilles spectateurs, L'esprit préoccupé de frivoles attentes,

Flattés de partager nos dépouilles sanglantes,

Des triumvirs vainqueurs grossissent la parti.

Que dis-je ? mes parens, pour combler la mesure, En outrageant leur sang étouffent la nature,

Ou séduits, ou craintifs, entraînés ou trompés,
Dans ce complot d'horreurs de même enveloppés,
Couvrant leur trahison de voiles hypocrites,
Des heureux triumvirs se font les satellites.
O décrets inconnus de la fatalité !

Qui prescrivez un terme à la prospérité,
O fortune inconstante! ô déesse légère!
Que tout ambitieux au fond du coeur vénère,
On ne m'entendra point profanant l'art des vers
Célébrer tes faveurs, déplorer mes revers.

Je sais que je suis homme et né pour la souffrance,
Je dois à tes rigueurs opposer ma constance.

Et toi, peuple chéri, peuple objet de mes voeux,
O toi que par devoir je devais rendre heureux,
Ton danger que je vois, ton destin lamentable
Me perce au fond du coeur; c'est ton sort qui m'ac-
cable.

J'oublîrai sans regret la faste de mon rang,
Mais pour te relever j'épuiserai mon sang.
Oui, ce sang t'appartient, oui, mon âme attendrie
Immole avec plaisir ses jours à ma patrie.
Long-temps son défenseur, j'ose du même front
Ranimer nos guerriers à venger son affront,
Défier le trépas au pied de ses courtines,
Vaincre, ou m'ensevelir couvert sous ses ruines.

Tandis que je m'apprête à braver mon destin,
Dieux quels lugubres cris s'élèvent de Berlin ?

A travers les sanglots d'une douleur amère

Se distingue une voix .. la mort frappe ta mère,
Les ombres du trépas, que dis-je ? .... c'en est fait.
Ah! du sort irrité voilà le dernier trait.

Tous genres de malheurs sur moi fondent en foule
Ma vie en vains regrets funestement s'écoule,
J'ai trop vécu, hélas! pour un infortuné.

Malgré moi de vos bras, ô ma mère! entraîné,
Que ce dernier congé dans ces momens d'alarmes
Par mes pressentimens fut arrosé de larmes !
Mon coeur, mon triste coeur, facile à s'attendrir,
Ne m'annonçait que trop ce cruel avenir.
J'espérais qu' Atropos, flexible à ma prière,
Contente de mon sang respecterait ma mère.
Hélas! je me trompais, la mort fuit mes malheurs,
Pour étendre sur vous ses livides horreurs.

Ce sombre monument est donc ce qui conserve Vos restes précieux, mon auguste Minerve? Je vous devais le jour, je vous devais bien plus; Votre exemple instruisait à suivre vos vertus : Malgré l'affreux trépas je les respecte encore, Votre tombe est pour moi le lieu saint que j'honore. Si tout n'est pas détruit, si sur les sombres bords Les soupirs des vivans pénétrent chez les morts, Si la voix de mon coeur de vous se fait entendre, Permettez que mes pleurs arrosent votre cendre, Et qu'emplissant les airs de mes tristes regrets, Je répande des fleurs aux pieds de vos cyprès. Du déclin de mes jours la fin empoisonnée D'un tissu de tourmens remplit ma destinée.

Ainsi, mon seul asile et mon unique port Se trouve, chère soeur, dans les bras de la mort.

Frédéric le Grand, roi de Prusse.

A mon frère Henri.

Tel que d'un vol hardi s'élevant dans les nues,
Et déployant dans l'air ses ailes étendues,
Il échappe à nos yeux,

L'oiseau de Jupiter fend cette plaine immense
Qui du monde au soleil occupe la distance,
Et perce jusqu'aux cieux :

Ou telle que soudain dans l'ombre étincelante
Dans son rapide cours la comète brillante
Eclaire l'horizon;

Elle éclipse les feux de la céleste voûte,
Et trace au firmament dans son oblique route
Un lumineux rayon:

Tel subjugué du dieu dont la fureur m'inspire,
Plein de l'enthousiasme et du fougueux délire
De ses transports divins,

Je prends un fier essor des fanges de la terre
Au palais d'où les dieux font tomber le tonnerre
Sur les pâles humains.

Mes accens ne sont plus ceux d'un mortel profane; C'est Apollon lui-même animant mon organe

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