Mais il faut au grand homme un plus heureux partage; Consulter la prudence, et suivre l'équité, Ce n'est encor qu'un pas vers l'immortalité. Qui n'est que juste est dur, qui n'est que sage est triste; Dans d'autres sentimens l'héroïsme consiste: Le conquérant est craint, le sage est estimé; O vous qui l'imitez, vous son rival aimable, Voltaire. A ma soeur de Baireuth. O doux et cher espoir du reste de mes jours! Vainement le destin m'accable de revers, Vainement contre moi s'arme tout l'univers. Si sous mes pas tremblans la terre est entr'ouverte, Si la foule des rois a conjuré ma perte, Qu'importe ? Vous m'aimez, tendre et sensible soeur ; Etant chéri de vous, il n'est plus de malheur. J'ai vu, vous le savez, s'epaissir les nuages Dont les flancs ténébreux ont vomi ces orages. J'ai vu, vous le savez, tranquille et sans effroi, Ces dangereux complots se tramer contre moi. La fortune ennemie excitant la tempête, M'ôta jusqu'aux moyens d'y dérober ma tête. Soudain en s'élançant du gouffre des enfers, La discorde parut et troubla l'univers. Le trouble, la terreur, le désordre s'accroît, La paix s'envole aux cieux, l'équité disparaît; On respire le sang, le meurtre, les alarmes ; Les champs restent déserts, tout peuple est sous les armes. Cet ange qui préside au destin des combats, De la Prusse aux abois on crut la chute sûre; On présageait sa mort d'une faible blessure. Ce qu'il restait de rois jusqu'en ces jours d'horreurs, De nos combats sanglans tranquilles spectateurs, L'esprit préoccupé de frivoles attentes, Flattés de partager nos dépouilles sanglantes, Des triumvirs vainqueurs grossissent la parti. Que dis-je ? mes parens, pour combler la mesure, En outrageant leur sang étouffent la nature, Ou séduits, ou craintifs, entraînés ou trompés, Qui prescrivez un terme à la prospérité, Je sais que je suis homme et né pour la souffrance, Et toi, peuple chéri, peuple objet de mes voeux, J'oublîrai sans regret la faste de mon rang, Tandis que je m'apprête à braver mon destin, A travers les sanglots d'une douleur amère Se distingue une voix .. la mort frappe ta mère, Tous genres de malheurs sur moi fondent en foule Malgré moi de vos bras, ô ma mère! entraîné, Ce sombre monument est donc ce qui conserve Vos restes précieux, mon auguste Minerve? Je vous devais le jour, je vous devais bien plus; Votre exemple instruisait à suivre vos vertus : Malgré l'affreux trépas je les respecte encore, Votre tombe est pour moi le lieu saint que j'honore. Si tout n'est pas détruit, si sur les sombres bords Les soupirs des vivans pénétrent chez les morts, Si la voix de mon coeur de vous se fait entendre, Permettez que mes pleurs arrosent votre cendre, Et qu'emplissant les airs de mes tristes regrets, Je répande des fleurs aux pieds de vos cyprès. Du déclin de mes jours la fin empoisonnée D'un tissu de tourmens remplit ma destinée. Ainsi, mon seul asile et mon unique port Se trouve, chère soeur, dans les bras de la mort. Frédéric le Grand, roi de Prusse. A mon frère Henri. Tel que d'un vol hardi s'élevant dans les nues, L'oiseau de Jupiter fend cette plaine immense Ou telle que soudain dans l'ombre étincelante Elle éclipse les feux de la céleste voûte, Tel subjugué du dieu dont la fureur m'inspire, Je prends un fier essor des fanges de la terre Mes accens ne sont plus ceux d'un mortel profane; C'est Apollon lui-même animant mon organe |