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Le juif l'épouvante dans l'âme,
Tombe le front sur le pavé,
Et par les moines relevé,
Raconte l'aventure étrange;
Puis de religion il change,
Et sous le nom de Diego Gil
Entre au couvent. Ainsi soit-il !

Théophile Gautier.

Le Vengeur.

Que vouliez-vous qu'il fit contre trois?

I.

Les marins du Vengeur, sur des vagues tranquilles,
Se hâtaient vers la France; et leurs voiles dociles
Les guidaient sans effort pleines de vents heureux.
Pour voir grandir un peuple aux bords du Nouveau-
Monde,

De l'Océan naguère ils avaient passé l'onde,
Et du retour enfin l'heure approchait pour eux.

Pleins d'espoir ils rêvaient à leur belle patrie.
Déjà l'astre du jour, dans la mer aplanie,
Répandait les splendeurs d'un radieux déclin ;
Mais avant que la nuit, sur les flots descendue,
Des mers ait assombri la tranquille étendue,
A la rive sacrée ils toucheront enfin.

Sur le pont du vaisseau, tête nue, en silence,

Ils attendaient..... Aux bords de l'horizon immense,

Les flots voilaient encor la France aux voyageurs; Mais sur les flots en paix, pour l'heureux équipage, Elle approchait toujours. .et, vers son doux rivage, Se tournaient tous les yeux, tous les bras, tous les coeurs.

II.

Une voile! une voile! Est-ce une voile amie?
Conduit-elle un vaisseau de leur France chérie ?
Voit-on ses trois couleurs, signal de liberté ?

Non.

Déployant soudain pavillon d'Angleterre,
Aux marins du Vengeur il apporte la guerre,
Et déjà pour combattre avance avec fierté.

Il n'est pas seul... Un autre! et puis un autre encore !
Tous ont vu resplendir l'étendard tricolore,
Eblouissant drapeau flottant sur le Vengeur;
Et des mers et des cieux l'immensité tressaille ;
Leurs canons, proclamant l'espoir d'une bataille,
Vomissent à la fois l'éclair provocateur.

Au belliqueux appel du tonnerre qui gronde,
Le Vengeur fuira-t-il sans que sa voix réponde?
Non..... Le Vengeur s'arrête, et sa voix répondra.
Devant les trois vaisseaux de la flotte ennemie,

Il est seul..... Mais il touche aux bords de sa patrie,
Et s'il doit succomber la France le verra.

Des navires anglais, longtemps, comme un orage,
Le feu gronda terrible..... et longtemps son courage
Repoussa, glorieux, leur impuissant effort.

Et quand la sombre nuit, sur les flots descendue,

Déploya son grand voile et couvrit l'étendue,
Lutteur infatigable il triomphait encor...

III.

Mais contre une tempête, implacable, éternelle,
Que pouvait un navire? ..... Il fut brisé par elle,
Vit ses deux flancs ouverts par les flots envahis,
De ses mâts entendit tomber la tête altière,
Et bientôt, dévasté de l'avant à l'arrière,

Il traîna dans les mers ses canons endormis.

Et ses marins, hélas!... presque tout l'équipage
Désormais n'était plus qu'un funèbre assemblage
De grands débris humains couverts d'un étendard.
Bien peu restaient debout. Mais, la main engourdie,
Et le coeur sans espoir, à la flotte ennemie,
Ceux-là ne lançaient plus qu'un impuissant regard.

--

Ceux-là se rendront-ils ? Verront-ils leur navire,
Aux combats jusqu'alors si fier de les conduire,
S'engloutir tout entier sans tomber avec lui ?
Le Vengeur, dans les flots, descendrait solitaire ?
Et ses marins, à bord d'un vaisseau d'Angleterre,
Pour la première fois mendîraient un abri?.....
Non... jamais... Si le nombre, accablant leur vaillance,
De leur main belliqueuse a trompé l'espérance,
Du mépris des vainqueurs la mort les défendra.
De ses flots, l'océan doit leur faire une tombe,
Et chacun d'eux, à l'heure où le Vengeur succombe,
Avec sa liberté dans les flots descendra.

Et, réchauffant leurs seins, l'esprit de la patrie
Des marins mutilés réveilla l'énergie:

Et sur un mât brisé s'éleva leur drapeau;
Et comme des géants, groupés sur des ruines,
Ils sentirent encor, sur leurs mâles poitrines,
Flotter les plis sacrés de son dernier lambeau.

IV.

Tous alors, pour adieux, de leurs voix unanimes,
Chantèrent à la France un de ces chants sublimes
Qui s'échappent des coeurs comme un élan d'amour.
Et l'Anglais, maîtrisé par cette voix soudaine,
Laissa dormir enfin son tonnerre et sa haine,
Et, jaloux des vaincus, fit silence à l'entour.

Tous les flots se taisaient... et leurs chants heroïques
Se répandaient au loin sur les mers atlantiques,
Et s'élevaient en choeur dans le calme des cieux.
Et la France, attentive à leur voix bien-aimée,
Au bord des océans immobile et charmée,
Pleurait en écoutant leurs suprêmes adieux.

Mais ils chantaient toujours, tournés vers la patrie;
Et pour elle avec joie abandonnant leur vie,
Tranquilles et debout descendaient au cercueil.
Et quand tout l'équipage entra dans ses abîmes,
Pour donner un sépulcre à ces grandes victimes,
A leurs pieds l'océan s'ouvrit avec orgueil.

Et l'Anglais, dans son île emportant sa victoire,
Quitta ce lieu funèbre, y laissant la mémoire
D'un triomphe éclipsé par l'éclat d'un revers.
Et couvrant de clartés la tombe glorieuse
Des héros endormis, la nuit silencieuse
De tous ses astres d'or illumina les mers.

André Lemoyne.

Dernière bénédiction.

L'orage s'est accru; les vents, depuis l'aurore,
Ont labouré le sein des mers,

Et le flot tourbillonne en face des éclairs
Qui déchirent le ciel sonore.

Tout à coup du milieu de ces vents déchaînés,
Là-bas, près du roc sombre où la houle est plus
haute,

Un cri part, cri d'angoisse: „Oh! venez tous, venez ! Un navire se perd! à la côte! à la côte!"

Un brick démâté, chancelant

Sous les assauts de la tempête,

Est la contre un écueil qui l'entrouvre et l'arrête,
Et le tient couché sur le flanc.

Il va sombrer; le flot qui le creuse avec joie
Fouille au fond de sa proie.

Le brick gémit et s'use à ce choc convulsif;
Mais l'onde n'est pas satisfaite,

La houle poursuivant sa victoirer incomplète,

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