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Sous les triples piliers des colonnes moresques,
En cercle sont placés des soldats gigantesques,
Dont le casque fermé, chargé de cimiers blancs,
Laisse à peine entrevoir les yeux étincelans.

Tous deux, joignant les mains, à genoux sur la pierre,
L'un pour l'autre en leur coeur cherchant une prière,
Les beaux enfans tremblaient, en abaissant leur front
Tantôt pâle de crainte du rouge de l'affront.
D'un silence glacé régnait la paix profondes
Bénissant en secret sa chevelure blonde,
Avec un lent effort, sous ce voile, Éginard
Tente vers sa maîtresse un timide regard.

Sous l'abri de ses mains Emma cache sa tête,
Et, pleurant, elle attend l'orage qui s'apprête ;
Comme on se tait encore, elle donne à ses yeux
A travers ses beaux doigts un jour audacieux.

L'empereur souriait en versant une larme
Qui donnait à ses traits un ineffable charme;
Il appela Turpin, l'évêque du palais,

Et d'une voix très-douce il dit: Bénissez-les.

Qu'il est doux, qu'il est doux d'écouter des histoires, Des histoires du tems passé,

Quand les branches d'arbres sont noires,

Quand la neige est épaisse et charge un sol glacé!

Comte de Vigny.

Agar et Ismaël.

Le vent souffle au désert, mon fils, arrêtons-nous; Ta bouche est presque sans haleine; Reposons-nous ici; tes yeux s'ouvrent à peine; Tu dormiras sur mes genoux.

,,Non, laisse-moi chercher un fruit qui te soutienne; L'ombre de ce palmier du soleil te défend: En attendant que je revienne,

Dors, si tu peux, mon cher enfant."

Et la mère, tremblante, et cachant ses alarmes,
Ne vit qu'un sable aride, et se prit à courir;
Puis s'assit à l'écart, s'écriant tout en larmes :
„Je ne veux pas le voir mourir !

„Il pleure, et, pour calmer la soif qui le dévore,
Dans ce vaisseau d'argile il ne reste plus rien:
Nous ne sommes pourtant qu'à la troisième aurore:
La tente d'Abraham à Gessen brille encore,

Et mon fils est aussi le sien!

„Lui qui fut si joyeux de ton premier sourire,
Mon fils, tes derniers pleurs l'ont à peine attendri:
Et moi, qui l'aime encor, dans mon fatal délire,

Je maudis ma beauté, ce sein qui t'a nourri...
Mais lui, je ne puis le maudire.

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Que me reproche-t-il? ai-je pris du repos,

Lorsque ses moissonneurs descendaient des mon

tagnes ;

Ai-je de la citerne écarté ses troupeaux ?

Ne l'ai-je pas aimé plus tôt que mes compagnes?

„Debout, près de sa tente, où j'ai cru demeurer,
Fuyez, nous a-t-il dit, j'ai fui sans murmurer:
Je sais que son coeur me regrette;
Car, en obéissant, j'ai détourné la tête,
Et j'ai vu mon maître pleurer.

„De mes pleurs cependant ma rivale se vante,
Et mon maître me chasse, et l'exil est cruel...
Je n'étais, il est vrai, que son humble servante,
Mais j'étais mère d'Ismaël.

Un grand peuple, dit-on, est promis à sa race:
Eh bien! mon Ismaël n'est-il-pas jeune et beau ?
Mais à ses yeux, mon fils, tu n'as pu trouver grâce,
Et tu vas, de mes bras, passer dans le tombeau!

„Bientôt, sous ce palmier je creuserai la terre ; Car, je l'espère au moins, tu mourras avant moi: Puis, sur ta fosse solitaire,

Moi, je me coucherai pour dormir comme toi.

„Mes restes, je le sais, j'en suis presque contente,

Ne seront pas ensevelis.

Quand mon maître, du moins, sortira de sa tente, Mes os lui marqueront la tombe de son fils."

Se levant à ces mots, inquiète, égarée,

Elle court au palmier, dans son trouble mortel,
Puis s'arrête et frémit, et sa voix altérée

Appelle tout bas Ismaël.

Elle écoute, elle hésite; enfin elle s'élance : L'enfant était debout; son doigt mystérieux Semblait chercher sa mère et montrer à ses yeux L'eau pure d'un ruisseau qui coulait en silence... Puis le doigt de l'enfant se leva vers les cieux.

Guiraud.

Le Cid et le juif.

(Romance imitée de Sepulveda.)

Le Cid, ce gagneur de batailles,

Ce géant plus grand que nos tailles,
A San-Pedro de Cardenna,

Don Alfonse ainsi l'ordonna,
Conservé par un puissant baume,
Bardé de fer, coiffé du heaume,
Repose en un riche tombeau,
Ayant pour siége un escabeau;
Sa barbe de neige s'épanche
Sur sa cuirasse en nappe blanche
Avec ampleur et majesté.
Pour le défendre, à son côté,
Au sang more et chrétien trempée,
Pend Tisona, sa bonne épée.
A le voir assis, quoique mort,
On dirait d'un vivant qui dort.
Depuis sept ans, dans cette pose,
De ses exploits il se repose,
Et pour voir son corps vénéré,

Tous les ans, au jour consacré,
A San-Pedro la foule abonde.

Une fois que la nef profonde
Était déserte, et qu'au saint lieu
Le Cid, resté seul avec Dieu,
Rêvait dans son tombeau sans garde,
Un juif arrive et le regarde,

Et parlant en soi-même ainsi,
Il se dit tout pensif: „Ceci

Est le corps du Cid, du grand homme,
Du vainqueur que partout on nomme!
On m'a raconté bien souvent

Que nul n'eût osé, lui vivant,
Se risquer dans cette entreprise
De toucher à sa barbe grise;
Maintenant, il gît morne et froid:
Son bras, qui répandait l'effroi,
La mort le désarme et l'attache:
Je vais luit toucher la moustache,
Nous verrons s'il se fâchera,

Et quelle mine il nous fera;

Le monde est loin, rien ne m'empêche

De tirer à moi cette mèche.

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Afin d'accomplir son dessein,

Le juif sordide étend la main;

Mais, avant que la barbe sainte

Par ses doigts crochus soit atteinte,

Le noble époux de Ximena,

A plein poing prenant Tisona,

Sort du fourreau deux pieds de lame...

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