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Ma foi, messieurs, je crois qu'il faut changer nos

plans.

Voisin, garde ton bien; j'aime fort ta réplique." Qu'aurait on fait de mieux dans une république?

Andrieux.

Le voyageur égaré dans les neiges du SaintBernard.

La neige au loin accumulée

En torrens épaissis tombe du haut des airs,
Et sans relâche amoncelée

Couvre du Saint-Bernard les vieux sommets déserts.

Plus de routes, tout est barrière ;

L'ombre accourt, et déjà, pour la dernière fois
Sur la cime inhospitalière

Dans les vents de la nuit l'aigle a jeté sa voix.

A ce cri, d'effroyable augure,
Le voyageur transi n'ose plus faire un pas;
Mourant, et vaincu de froidure,

Au bord d'un précipice il attend le trépas.

Là, dans sa dernière pensée,

Il songe à son épouse, il songe à ses enfans:
Sur sa couche affreuse et glacée

Cette image a doublé l'horreur de ses tourmens.

C'en est fait; son heure dernière

Se mesure pour lui dans ces terribles lieux,

Et chargeant sa froide paupière,

Un funeste sommeil déjà cherche ses yeux.

Soudain, ô surprise, ô merveille!

D'une cloche il a cru reconnaître le bruit;
Le bruit augmente à son oreille;
Une clarté subite a brillé dans la nuit.

Tandis qu'avec peine il écoute,

A travers la tempête un autre bruit s'entend:
Un chien jappe, et souvrant la route,
Suivi d'un solitaire, approche au même instant.

Le chien en aboyant de joie,

Frappe du voyageur les regards éperdus :
La mort laissa échapper sa proie,

Et la charité.compte un miracle de plus.

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Trois jours, leur dit Colomb, et je vous donne

un monde."

Et son doigt le montrait, et son oeil, pour le voir, Perçait de l'horizon l'immensité profonde.

Il marche, et des trois jours le premier jour a lui; Il marche, et l'horizon recule devant lui;

Il marche, et le jour baisse. Avec l'azur de l'onde

L'azur d'un ciel sans borne à ses yeux se confond. Il marche, il marche encore, et toujours; et la sonde Plonge et replonge en vain dans une mer sans fond.

Le pilote en silence, appuyé tristement

Sur la barre qui crie au milieu des ténèbres,
Écoute des roulis le sourd mugissement,

Et des mats fatigués les craquemens funèbres.
Les astres de l'Europe ont disparu des cieux;
L'ardente croix du sud épouvante ses yeux.
Enfin l'aube attendue, et trop lente à paraître,
Blanchit le pavillon de sa douce clarté:
"Colomb, voici le jour! le jour vient de renaître!

Le jour! et que vois-tu? - Je vois l'immensité."

Qu'importe ! il est tranquille... Ah! l'avez-vous pensé ?
Une main sur son coeur, si sa gloire yous tente,
Comptez les battemens de ce coeur oppressé,
Qui s'élève et retombe, il languit dans l'attente;
Ce coeur, qui, tour à tour brûlant ou sans chaleur,
Se goufle de plaisir, se brise de douleur:

Vous comprendrez alors que durant ces journées
Il vivait, pour souffrir, des siècles par momens.
Vous direz: Ces trois jours dévorent des années,
Et sa gloire est trop chère au prix de ses tourmens!

Oh! qui peindra jamais cet ennui dévorant

Ces extases d'espoir, ces fureurs solitaires

D'un grand homme ignoré qui lui seul se comprend,
Fou sublime, insulté par des sages vulgaires ?
Tu le fus, Galilée! Ah! meurs... Infortuné,

A quel horrible effort n'es-tu pas condamné,

Quand, pâle, et d'une voix que la douleur altère,
Tu démens tes travaux, ta raison et tes sens,
Le soleil qui t'écoute, et la terre, la terre,
Que tu sens se mouvoir sous tes pieds frémissans.

Le second jour a fui. Que fait Colomb? il dort; La fatigue l'accable, et dans l'ombre on conspire. „Périra-t-il? Aux voix: la mort! la mort! la mort!

Qu'il triomphe demain, ou, parjure, il expire." Les ingrats! quoi! demain il aura pour tombeau Le mer où son audace ouvre un chemin nouveau, Et peut-être demain leurs flots impitoyables,

Le poussant vers ces bords que cherchait son regard,
Les lui feront toucher, en roulant sur les sables
L'aventurier Colomb, grand nom un jour plus tard!

Il rêve comme un voile étendu sur les mers,
L'horizon qui les borne à ses yeux se déchire,
Et ce monde nouveau qui manque à l'univers,
De ses regards ardens il l'embrasse, il l'admire.
Qu'il est beau, qu'il est frais ce monde vierge encor!
L'or brille sur ses fruits, ses eaux roulent de l'or;
Déjà, plein d'une ivresse inconnue et profonde,
Tu t'écriais, Colomb: „Cette terre est mon bien!..."
Mais une voix s'élève, elle a nommé ce monde,
O douleur et d'un nom qui n'était pas le tien!...

Regarde les vois-tu, la foudre dans les mains,
Vois-tu ces Espagnols altérés de carnage

Effacer, en courant, du nombre des humains
Le peuple désarmé qui couvre ce rivage?
Vois les palais en feu, les temples s'écroulant,
Le cacique étendu sur ce brasier brûlant;`
Vois le saint crucifix, dont un prêtre inflexible
Menace les vaincus au sortir du combat,

S'élever dans ses mains plus sanglant, plus terrible
Que le glaive espagnol dans les mains du soldat.
La terre s'est émue; elle s'ouvre : descends!
Des peuples engloutis dans ces gouffres respirent,
Captifs, privés du jour, dont les bras languissans
Tombent lassés sur l'or des rochers qu'ils déchirent;
Cadavres animés, poussant des cris confus
Vers ce divin soleil qu'ils ne reverront plus,
S'agitant, se heurtant dans ses vapeurs impures,
Pour fuir par le travail le fouet qui les poursuit,
Et qu'une longue mort traîne dans les tortures
De cette nuit d'horreur à l'éternelle nuit.

Cet or, fruit douloureux de leur captivité,
Par le crime obtenu pour enfanter le crime,
Va servir d'un tyran la sombre cruauté,
Et peser sur le joug des sujets qu'il opprime.
Pour corrompre un ministre, enrichir un flatteur,
Payer l'injuste arrêt d'un noir inquisiteur,

Par cent chemins honteux, du trésor d'un seul homme

Il s'échappe, et, passant de bourreaux en bourreaux,
Va s'engloutir enfin dans le trésor de Rome,
Qui leur vend ses pardons au bord de leurs tombeaux.

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