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La nature, à cet âge, étincelle de charme.
Chaque idée, en passant, nous emporte une larme;
On essaie, on choisit vingt sentiers à la fois,

Et le plaisir dans tous éparpille sa voix.
On croit sur son génie assurer sa mémoire,
On assigne une forme aux rêves de la gloire,
Les serres de l'amour étreignent sans douleur,
Même en pleurant, l'espoir a les traits du bonheur.
Plus tard sans la choisir, on a reçu sa route:
Le peu que vaut la gloire, et le prix qu'elle coûte,
On le sait le dégoût a mis sur nous la main :
La moitié de nos noeuds s'est rompue en chemin,
Ceux qu'on voudrait former deviennent impossibles,
Et ce coeur sillonné de rides invisibles,

Vieux, sans être un vieillard, l'esprit chauve et muet,
On s'avance, isolé, vers ce terme inquiet,

Qui nous promet de loin un repos dont on doute. Quand on souffre, la mort ne vient que goutte à goutte.

Voilà pourquoi mon âme est si triste, et pourquoi Le printemps, sans me voir, passe à côté de moi.

Jules le Fèvre.

Les feuilles.

Soupir.

Frémissez, frémissez sur vos tiges sonores,

Feuilles qu'un vent du soir agite avec amour,
Feuilles aux sons divins, murmurantes mandores,

Qui donnez un salut au lit pourpré du jour!
J'aime à vous entendre bruire

Comme les ailes d'un oiseau,

Comme la voix en deuil d'un ami qui soupire
En courbant sous ses pas le gazon d'un tombeau !...

Pleurez-vous, chantez-vous, harpes mystérieuses, Quand votre bruit d'abord faible, indécis, sans noms, Comme un torrent grossi par des ondes nombreuses Roule, mugit, s'étend, éclate en mille sons?

De vos vagues de bruit que roule

La force mystique de l'air,

Qu'elle extase d'amour à chaque instant découle Comme un sel qu'à la rive abandonne la mer!...

Qu'il est doux le réveil de vos flots de verdure
Où l'oiseau de son nid pend le tissu soyeux,
Où le rayon s'égare, où l'abeille murmure,
D'où les parfums du soir s'élèvent vers les cieux !
Chacune de vous est un monde

Par des peuplades habité.

Des insectes brillans le nombre vous inonde
Le matin; et le soir, où sont-ils ?... vanité !...

Vanité! Disparus!... Dans un jour, dans une heure,
Avec leurs ailes d'or, d'azur et de saphir!...
A peine le cristal dans leur verte demeure
Pouvait-il découvrir ces enfans du zéphyr,
Et la cruelle mort enlève

Ces êtres où le Tout-Puissant

Avait placé tant d'or, de bonheur et de sève
Qu'il peut en contenir dans un peu de néant!...

Comme vous, ils avaient leurs voix et leur parure;
Plus que vous, ils avaient la vie et le plaisir,
Leurs artères battaient, et leur faible nature
Leur donnait le pouvoir d'entendre et de sentir.
Comme nous d'air et de lumière

Chaque instant ils prenaient leur part;
Mais ils n'avaient en eux qu'une vile poussière
Que le vent dans les airs peut rouler au hasard.

Feuilles, sous votre ombrage un insecte qui pense Vient aussi vous parler, écouter votre accord. Ame et corps, tout ensemble, éternelle substance Comme un faible ciron recevra-t-il la mort? Laissera-t-il aussi l'ombrage,

Où de doux rêves l'ont bercé,

Et lorsque son esquif quittera le rivage,
Tout sera-t-il pour lui dans le sein du passé ?

Quand sur son front la mort aura battu de l'aile,
Sur la terre qu'il laisse, à la place qu'il perd,
Un autre viendra-t-il? ou bien l'ombre éternelle
Viendra-t-elle y jeter le calme du désert?
Nul souvenir de son passage

Ne revivra-t-il dans les coeurs,

Et le pinceau du temps sur sa fragile image
Epandra-t-il à flots ses plus noires couleurs ?

Peut-être de l'oubli, le voile impénétrable

Couvrira son tombeau, tandis que les humains Observant dans la nuit quelque monceau de sable, Oublîront ces accens comme des bruits lointains? L'homme sur les os de son père

Peut-être en riant passera;

Et pour chercher de l'or entr'ouvrira la terre
Où repose son fils, sans penser qu'il est là!!

C'est la vie!... on s'agite, on passe sur la sphère,
Où chaque homme conquiert sa place d'un instant,
On cueille des lauriers, un fleuron; le suaire
Inévitable et froid, au bout seul nous attend ;
Ceux qui d'une étreinte amoureuse
Pressaient notre main sans chaleur,

Pleurent un jour ou deux... et puis leur voix heureuse
Ne connaît plus, hélas! l'accent de la douleur !...

Nos noms sont pour l'ami qui le plus nous vénère
Des mots vides de sens par l'écho renvoyés,

Des roses que détruit un souffle délétère,
Des sons confus de plus dans mille sons noyés:
Et l'amitié, l'amour, la gloire

Sont encor nos dieux révérés !

Pauvres humains, quoi! toujours boire

Dans un vase d'erreurs, et toujours altérés !!!...

Suivrons-nous de nos corps les folles utopies,
Seront-ils donc nos dieux, eux faits pour obéir,
Se dissoudre, se perdre au fond des gémonies,

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Où le ver des tombeaux rampe pour se nourrir
De cet amas impur de fange,

Que la flamme un jour anima,

Pour servir de palais à ce qui tient de l'ange,
A l'âme, être d'en haut, fille de Jéhovah?

Non, que devant le Moi, ce frêle corps s'efface,
Qu'il périsse à jamais avec tous ses liens,
Qu'il parte et qu'ici-bas il ne tienne de place,
Que celle de la tombe, et que tous ces faux biens,
Qu'ici-bas les soins du vulgaire

Cherchent toujours sans les cueillir,

N'attirent plus mes pas; enfans de la matière
Qu'ils aillent vers leur mère, et moi vers l'avenir.

Un jour me dépouillant du vêtement d'argile,
Je déploîrai mon aile, et comme un cygne blanc
Qui s'envole en ridant la surface tranquille,
Du lac qui le portait en le réfléchissant,
Mon âme trop long-temps captive

Dans les ténèbres d'ici-bas

Libre des fers pesans que le monde lui rive,
Montera jusqu'au ciel et ne s'éteindra pas.

Et vous, feuilles des bois que va jaunir l'automne, Vous tomberez aussi, car vous n'avez qu'un jour; Aux arbres comme à nous Dieu donne leur couronne, La leur ôte du front, la leur rend tour-à-tour:

Sur le gazon et sur l'arène

Vous roulerez au gré des vents,

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