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Au dedans, que le pouls, balancier de la vie,
Dont les coups inégaux, dans ma tempe engourdie,
M'annoncent sourdement que le doigt de la mort
De la machine humaine a pressé le ressort,

Et que, semblable au char qu'un coursier précipite,
C'est pour mieux se briser qu'il s'élance plus vite!

Et c'est donc là le terme !

Ah! s'il faut une fois

Que chaque homme à son tour élève enfin la voix, C'est alors! c'est avant qu'une terre glacée

Engloutisse avec lui sa dernière pensée !

C'est à cette heure même, où prête à s'exhaler,
Toute âme a son secret qu'elle veut révéler,
Son mot à dire au monde, à la mort, à la vie,
Avant que pour jamais, éteinte, évanouie,
Elle n'ait disparu, comme un feu de la nuit,
Qui ne laisse après soi ni lumière ni bruit!

Ombre de nos désirs, trompeuse vérité

Que de nuits sans sommeil ne m'as-tu pas coûté?
A moi, comme aux esprits fameux de tous les âges,
Que l'ignorance humaine, hélas ! appela sages,
Tandis qu'un fond du coeur riant de leur vertu,
Ils disaient en mourant: Science, que sais-tu ?
Ah! si ton pur rayon descendait sur la terre,
Nous tomberions frappés comme par le tonnerre!
Mais ce désir est faux comme tous nos désirs;
C'est un soupir de plus parmi nos vains soupirs!
La tombe est de l'amour le fond lugubre et sombre,

La vérité toujours a nos erreurs pour ombre,
Chaque jour prend pour elle un rêve de l'esprit
Qu'un autre jour salue, adore et puis maudit!
Avez-vous vu, le soir d'un jour mêlé d'orage,
Le soleil qui descend de nuage en nuage,
A mesure qu'il baisse et retire le jour

De ses reflets de feu les dorer tour à tour?
L'oeil les voit s'enflammer sous son disque qui passe,
Et dans ce voile ardent croit adorer sa trace;
Le voilà! dites-vous, dans la blanche toison
Que le souffle du soir balance à l'horizon !
Le voici dans les feux dont cette pourpre éclate!
Non, non, c'est lui qui teint ce s flocons d'écarlate!
Non, c'est lui qui, trahi par ce flux de clarté,
A fendu d'un rayon ce nuage argenté!

Voile impuissant! le jour sous l'obstacle étincelle!
C'est lui! la nue est pleine et la pourpre en ruisselle!
Et tandis que votre oeil à cette ombre attaché
Croit posséder enfin l'astre déjà couché,

La nue à vos regards fond et se décolore;
Ce n'est qu'une vapeur qui flotte et s'évapore;
Vous le cherchez plus loin, déjà, déjà trop tard!
Le soleil est toujours au delà du regard!

Et le suivant en vain de nuage en nuage,

Non, ce n'est jamais lui, c'est toujours son image!
Voilà la vérité! Chaque siècle à son tour
Croit soulever son voile et marcher à son jour,
Mais celle qu'aujourd'hui notre ignorance adore,
Demain n'est qu'un nuage; un autre est près d'éclore
A mesure qu'il marche et la proclame en vain,

La vérité qui fuit trompe l'espoir humain,

Et l'homme qui la voit dans ses reflets sans nombre
En croyant l'embrasser n'embrasse que son ombre !
Mais les siècles déçus sans jamais se lasser
Effacent leur chemin pour le recommencer !
La vérité complète est le miroir du monde ;
Du jour qui sort de lui Dieu le frappe et l'inonde,
Il s'y voit face à face, et seul il peut s'y voir;
Quand l'homme ose toucher à ce divin miroir,
Il se brise en éclats sous la main des plus sages,
Et ses fragments épars sont le jouet des âges!
Chaque siècle, chaque homme, assemblant ces débris
Dit: Je réunirai ces lueurs des esprits,

Et dans un seul foyer concentrant la lumière,
La nature à mes yeux paraîtra tout entière !

Il dit, il croit, il tente, il rassemble en tous lieux
Les lumineux fragments d'un tout mysterieux,
D'un espoir sans limite en rêvant il s'embrase,
Des systèmes humains il élargit la base,

Il encadre au hasard, dans cette immensité,
Système, opinion, mensonge, vérité!

Puis, quand il croit avoir ouvert assez d'espace
Pour que dans son foyer l'infini se retrace,
Il y plonge ébloui ses avides regards,
Un jour foudroyant sort de ces morceaux épars!
Mais son oeil, partageant l'illusion commune,
Voit mille vérités où Dieu n'en a mis qu'une !
Ce foyer, où le tout ne peut jamais entrer,
Disperse les lueurs qu'il devait concentrer,
Comme nos vains pensers l'un l'autre se détruisent,

Ses rayons divergents se croisent et se brisent,
L'homme brise à son tour son miroir en éclats,
Et dit, en blasphémant: Vérité, tu n'es pas !

Alph. de Lamartine.

Le cri de l'âme.

Quand le souffle divin qui flotte sur le monde
S'arrête sur mon âme ouverte au moindre vent,
Et la fait tout à coup frissonner comme une onde
Où le cygne s'abat dans un cercle mouvant!

Quand mon regard se plonge au rayonnant abîme,
Où luisent ces trésors du riche firmament,
Ces perles de la nuit que son souffle ranime,
Des sentiers du Seigneur innombrable ornement!

Quand d'un ciel de printemps l'aurore qui ruisselle,
Se brise et rejaillit en gerbes de chaleur,
Que chaque atome d'air roule son étincelle,

Et que tout sous mes pas devient lumière ou fleur !

Quand tout chante ou gazouille, ou roucoule ou bourdonne,

Que d'immortalité tout semble se nourrir,
Et que l'homme ébloui de cet air qui rayonne,
Croit qu'un jour si vivant ne pourra plus mourir !

Quand je roule en mon sein mille pensers sublimes, Et que mon faible esprit ne pouvant les porter,

S'arrête en frissonnant sur les derniers abîmes,
Et, faute d'un appui, va s'y précipiter!

Quand dans le ciel d'amour où mon âme est ravie,
Je presse sur mon coeur un fantôme adoré,

Et que je cherche en vain des paroles de vie
Pour l'embraser du feu dont je suis dévoré !

Quand je sens qu'un soupir de mon âme oppressée
Pourrait créer un monde en son brûlant essor,
Que ma vie userait le temps, que ma pensée
En remplissant le ciel déborderait encor,

Jéhova! Jéhova! ton nom seul me soulage!
Il est le seul écho qui réponde à mon coeur !
Ou plutôt ces élans, ces transports sans langage,
Sont eux-mêmes un écho de ta propre grandeur !

Tu ne dors pas souvent dans mon sein, nom sublime
Tu ne dors pas souvent sur mes lèvres de feu:
Mais chaque impression t'y trouve et t'y ranime,
Et le cri de mon âme est toujours toi, mon Dieu!
Alph. de Lamartine.

tine.

L'hirondelle et le proscrit.*

Pourquoi me fuir, passagère hirondelle,
Ah! viens fixer ton vol auprès de moi.

*) Ces paroles, sous le pseudonyme Fougas, sont de Mr de Lamar-
Elles ne se trouvent dans aucune édition de ses poésies.

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