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Plaintes d'un père délaissé par son fils.

Fut-il pour l'oeil d'un père un plus affreux réveil?
Malheureux, j'ai vu naître et pâlir le soleil,

Sans que ses premiers feux, ni sa clarté mouvante
De mes sens éperdus aient calmé l'épouvante.
Je marchais, je courais, je criais: O mon fils!
Mon fils!... L'écho lui seul répondait à mes cris.
Je rentrai vers le soir, me disant sur ma route,
Près du toit paternel mon fils m'attend sans doute.
Personne sur le seuil, nul vestige, aucun bruit;
Je m'y retrouvai seul, et seul avec la nuit.
Que son astre à regret sembla mesurer l'heure!
Combien ma solitude agrandit ma demeure!
Mes yeux, de pleurs noyés, s'attachaient sans espoir
Sur cette place vide, où tu devais t'asseoir.
J'accusai de ta mort le tigre, le reptile,

Nos rochers, dont les flancs te devaient un asile;
Ces arbres du vallon, mes hôtes, mes amis,
Muets témoins du crime et qui l'avaient permis,
Tout, l'univers entier, les humains et moi-même,
Avant de t'accuser, ô toi, mon bien suprême,
Toi l'unique soutien d'un père vieillissant,
Toi, que j'avais nourri, toi mon fils, toi mon sang,
Confondant jusqu'aux dieux dans ma haine implacable,
Je n'excusai que toi, toi seul étais coupable!

C. Dělavigne.

Souvenir.

Toujours je pleure au nom de mon enfant:

Sans sa beauté rien n'est beau dans ma vie. Du monde et de ses biens c'est le seul que j'envie, Mais je ne l'attends plus, la mort me le défend.

Je le revois dans la fleur éphémère ;

Elle apparaît pour sourire et périr;

Comme elle, mon enfant, sur le sein de sa mère,
Après avoir souri, se pencha pour mourir.

Je le revois partout où de mon âme

S'attache encor la mourante langueur:

Quand le jour sur mes yeux ne répand plus sa flamme, Je le revois toujours: n'est-il pas dans mon coeur?

Mon doux enfant! ma plus vive tendresse !

Quel autre amour me tiendrait lieu de toi? De te garder, mon fils, je ne fus pas maîtresse; Mais ta fidèle image, oh! comme elle est à moi!

Mme Desbordes Valmore.

Le vieux vagabond.

Dans ce fossé cessons de vivre.

Je finis vieux, infirme et las.

Les passants vont dire:

Il est ivre."

Tant mieux! Ils ne me plaindront pas.
J'en vois, qui détournent la tête;

D'autres me jettent quelques sous.

Courez vite; allez à la fête.

Vieux vagabond, je puis mourir sans vous.

Oui, je meurs ici de vieillesse,

Parce qu'on ne meurt pas de faim.
J'espérais voir de ma détresse
L'hôpital adourir la fin.

Mais tout est plein dans chaque hospice,
Tant le peuple est infortuné !

La rue, hélas! fut ma nourrice:
Vieux vagabond, mourons, où je suis né !

Aux artisans, dans mon jeune âge, J'ai dit: Qu'on m'enseigne un métier. Va, nous n'avons pas trop d'ouvrage, Répondaient-ils, va mendier. Riches qui me disiez: Travaille, J'eus bien des os de vos repas; J'ai bien dormi sur votre paille. Vieux vagabond, je ne vous maudis pas.

J'aurais pu voler, moi, pauvre homme; Mais non; mieux vaut tendre la main. Au plus, j'ai dérobé la pomme Qui mûrit au bord du chemin Vingt fois pourtant on me verrouille Dans les chachots, de par le roi. De mon seul bien on me depouille. Vieux vagabond, le soleil est à moi.

Le pauvre a-t-il une patrie?

Que me font vos vins et vos blés,
Votre gloire et votre industrie,

Et vos orateurs assemblés ?

Dans vos murs ouverts à ses armes
Lorsque l'étranger s'engraissait,

Comme un sot j'ai versé des larmes. Vieux vagabond, sa main ne nourrissait.

Comme un insecte fait pour nuire,
Hommes, que ne m'écrasiez-vous ?
Ah! plutôt vous deviez m'instruire
A travailler au bien de tous:
Mis à l'abri du vent contraire,
Le ver fût devenu fourmi;

Je vous aurais chéris en frère.

Vieux vagabond, je meurs votre ennemie.

J. P. Béranger.

Les hirondelles.

Captif au rivage du Maure,

Un guerrier, courbé sous ses fers,
Disait je vous revois encore,
Oiseaux ennemis des hivers.
Hirondelles, que l'espérance
Suit jusqu'en ces brûlans climats,
Sans doute vous quittez la France;
De mon pays ne me parlez-vous pas ?

Depuis trois ans je vous conjure
De m'apporter un souvenir

Du vallon, où ma vie obscure
Se berçait d'un doux avenir.
Au détour d'une eau qui chemine
A flots purs, sous de frais lilas,
Vous avez vu notre chaumine;
De ce vallon ne me parlez-vous pas ?

L'une de vous peut-être est née
Au toit où j'ai reçu le jour.
Là, d'une mère infortunée

Vous avez dû plaindre l'amour.
Mourante, elle croit à toute heure
Entendre le bruit de mes pas :
Elle écoute, et puis elle pleure.
De son amour ne me parlez-vous pas ?

Ma soeur est-elle mariée ?
Avez-vous vu de nos garçons
La foule aux noces conviée,
La célébrer dans leurs chansons?
Et ces compagnons du jeune âge
Qui m'ont suivi dans les combats,
Ont-ils revu tous le village?

De tant d'amis ne me parlez-vous pas ?

Sur leurs corps, l'étranger peut-être

Du vallon reprend le chemin :

Sous mon chaume il commande en maître,

De ma soeur il trouble l'hymen.

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