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De sa bouche aimable et naïve.

Ces chants, de ma prison témoins harmonieux,
Feront à quelque amant des loisirs studieux
Chercher quelle fut cette belle :

La grâce décorait son front et ses discours,
Et, comme elle, craindront de voir finir leurs jours
Ceux qui les passeront près d'elle.

André Chénier.

Stances.

Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre
Anime la fin d'un beau jour,

Au pied de l'échafaud j'essaie encor ma lyre.
Peut-être est-ce bientôt mon tour;

Peut-être avant que l'heure en cercle promenée
Ait posé, sur l'émail brillant,

Dans les soixante pas où sa route est bornée,
Son pied sonore et vigilant,

Le sommeil du tombeau pressera mes paupières.
Avant que de ses deux moitiés

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Ce vers que je commence ait atteint la dernière,

Peut-être en ces murs effrayés

Le messager de mort, noir recruteur des ombres,
Escorté d'infâmes soldats,

Remplira de mon nom ces longs corridors sombres.

Derniers vers d'André Chénier.

Adieu.

La fleur laissant tomber sa tête languissante,
Semble dire au zéphyr, pourquoi m'éveilles-tu ?
Zéphyr, ta vapeur bienfaisante

Ne rendra point la vie à mon front abattu.
Je languis; le matin à ma tige épuisée
Apporte vainement le tribut de ses pleurs,
Et les bienfaits de la rosée

Ne ranimeront point l'éclat de mes couleurs.
Il approche le noir orage.
Sous l'effort ennemi d'un souffle détesté
Je verrai périr mon feuillage.

Demain le voyageur témoin de ma beauté,
De ma beauté sitôt flétrie,

Viendra pour me revoir; ô regrets superflus!
Il viendra, mais dans la prairie

Ses yeux ne me trouveront plus.

Charles Louis Chénier.

(Strophes écrites sur les murs de la prison de Saint-Lazare en l'an 1794.)

La chûte des feuilles.

De la dépouille de nos bois
L'automne avait jonché la terre:
Et dans le vallon solitaire
Le rossignol était sans voix.
Triste et mourant, à son aurore,
Un jeune homme seul, à pas lents,

Parcourait une fois encore

Le bois cher à ses prémiers ans :
„Bois que j'aime! adieu... je succombe;
Ton deuil m'avertit de mon sort;

Et dans chaque feuille qui tombe
Je vois un présage de mort.
Fatal oracle d'Épidaure, *

Tu m'as dit: Les feuilles des bois
"A tes yeux jauniront encore,
„Et c'est pour la dernière fois.
„La nuit du trépas t'environne:
„Plus pâle qu'une fleur d'automne,
„Tu t'inclines vers le tombeau.
„Ta jeunesse sera flétrie

„Avant l'herbe de la prairie,
„Avant le pampre du côteau.
Et je meurs!... De la vie à peine
J'avais compté quelques instans ;
Et j'ai vu comme une ombre vaine
S'évanouir mon beau printems.
Tombe, tombe, feuille éphémère !
Et, couvrant ce triste chemin
Cache au désespoir de ma mère
La place où je serai demain.
Mais, si mon amante voilée
Aux détours de la sombre allée
Venait pleurer quand le jour fuit,
Éveille
par un faible bruit

Mon ombre un instant consolée!"

* Il y avait un temple très célèbre d'Aesculap à Épidaure.

Il dit, s'éloigne... et sans retour!...
Sa dernière heure fut prochaine :
Vers la fin du troisième jour
On l'inhuma sous le vieux chêne.
Sa mère peu de temps, hélas!
Visita la pierre isolée;

Mais son amante ne vint pas,

Et le pâtre de la vallée

Troubla seul du bruit de ses pas

Le silence du mausolée.

Millevoye.

Adieux d'un jeune poète à la vie.

J'ai révélé mon coeur au Dieu de l'innocence;
Il a vu mes pleurs pénitents,

Il guérit mes remords, il m'arme de constance:
Les malheureux sont ses enfants.

Mes ennemis riant ont dit dans leur colère:
Qu'il meure, et sa gloire avec lui!

Mais à mon coeur calmé le Seigneur dit en père:
Leur haine sera ton appui.

A tes plus chers amis ils ont prêté leur rage.
Tout trompe ta simplicité:

Celui que tu nourris court vendre ton image,
Noire de sa méchanceté.

Mais Dieu t'entend gémir, Dieu vers qui te ramène Un vrai remords né des douleurs;

Dieu qui pardonne enfin à la nature humaine
D'être faible dans les malheurs.

J'éveillerai pour toi la pitié, la justice

De l'incorruptible avenir;

Eux-même épureront, par leur long artifice,
Ton honneur qu'ils pensent ternir.

Soyez béni, mon Dieu! vous qui daignez me rendre
L'innocence et son noble orgueil;

Vous qui, pour protéger le repos de ma cendre,
Veillerez près de mon cercueil !

Au banquet de la vie, infortuné convive,
J'apparus un jour, et je meurs :

Je meurs, et sur ma tombe où lentement j'arrive,
Nul ne viendra verser des pleurs.

Salut, champs que j'aimais! et vous, douce verdure!
Et vous, riant exil des bois !

Ciel! pavillon de l'homme, admirable nature,
Salut pour la dernière fois!

Ah! puissent voir longtemps votre beauté sacrée
Tant d'amis sourds à mes adieux !

Qu'ils meurent pleins de jours! que leur mort soit

pleurée !

Gilbert.

Qu'un ami leur ferme les yeux!

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