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A ses amis.

Aujourd'hui qu'au tombe je suis prêt à descendre,
Mes amis, dans vos mains je dépose ma cendre.
L'espoir que des amis pleureront notre sort
Charme l'instant suprême et console la mort.
Vous-mêmes choisirez à mes jeunes reliques
Quelque bord fréquenté des pénates rustiques,
Des regards d'un beau ciel doucement animé,
Des fleurs et de l'ombrage, et tout ce que j'aimai.
C'est là, près d'une eau pure, au coin d'un bois
tranquille,

Qu'à mes mânes éteints je demande un asile:
Afin que votre ami soit présent à vos yeux,
Afin qu'au voyageur amené dans ces lieux,

La pierre, par vos mains, de ma fortune instruite,
Raconte en ce tombeau quel malheureux habite.
Quels maux ont abrégé ses rapides instants;
Qu'il fut bon, qu'il aima, qu'il dut vivre longtemps.
Ah! le meurtre n'a souillé jamais mon courage;
Ma bouche du mensonge ignora le langage;
Et jamais, prodiguant un serment faux et vain
Ne trahit le secret recélé dans mon sein.
Nul forfait odieux, nul remords implacable
Ne dechire mon âme inquiète et coupable.
Vos regrets la verront pur et digne des pleurs ;
Oui, vous plaindrez sans doute en mes longues
douleurs

Et ce brillant midi, qu'annoncait mon aurore,

Et ces fruits dans leur germe éteints avant d'éclore,

Que mes naissantes fleurs auront en vain promis.
Oui, je veux vivre encore au sein de nos amis.
Souvent à vos festins, qu'égaya ma jeunesse,
Au milieu des éclats d'une vive allégresse,
Frappés d'un souvenir, hélas! amer et doux.
Sans doute, vous direz: Que n'est-il avec nous!
André Chénier.

Tristesse.

Sans parens, sans amis, et sans concitoyens,
Oublié sur la terre, et loin de tous les miens,
Par les vagues jeté dans cette île farouche,

Le doux nom de la France est souvent sur ma bouche.
Auprès d'un noir foyer, seul, je me plains du sort.
Je compte les moments, je souhaite la mort.
Et pas un seul ami, dont la voix m'encourage,
Qui près de moi s'asseie et voyant mon visage
Se baigner de mes pleurs et tomber sur mon sein,
Me dise: Qu'as-tu donc ?" et me presse la main!

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André Chénier.

Le gondolier.

Près des bords où Venise est reine de la mer,
Le gondolier nocturne, au retour de Vesper,
D'un aviron léger bat la vague aplanie,
Chante Renaud, Tancrède et la belle Herminie.
Il aime ses chansons; il chante sans désir,

Sans gloire, sans projets, sans craindre l'avenir;

Il chante, et plein du Dieu, qui doucement l'anime,
Sait égayer du moins sa route sur l'abîme.
Comme lui, sans échos je me plais à chanter;
Et les vers inconnus, que j'aime à méditer
Adoucissent pour moi la route de la vie,

Où de tant d'aquilons ma voile est poursuivie.

André Chénier.

Jambe.

Quand au mouton bêlant la sombre boucherie
Ouvre ses cavernes de mort,

Pauvres chiens et moutons, toute la bergerie
Ne s'informe plus de son sort.

Les enfants, qui suivaient ses ébats dans la plaine,
Les vierges aux belles couleurs,

Qui le baisaient en foule, et sur sa blanche laine Entrelaçaient rubans et fleurs,

Sans plus penser à lui le mangent, s'il est tendre.
Dans cet abime enseveli

J'ai le même destin. Je m'y devais attendre.
Accoutumons-nous à l'oubli.

Que pouvaient mes amis? oui, de leur main chérie
Un mot à travers ces barreaux

A versé quelque baume en mon âme flétrie.

De l'or peut-être à mes bourreaux..

Mais tout est précipice. Ils ont eu droit de vivre. Vivez, amis! vivez contents.

En dépit de Bavus soyez lents à me suivre.

Peut-être en de plus heureux temps

J'ai moi-même, à l'aspect des pleurs de l'infortune
Détourné mes regards distraits ;

A mon tour aujourd'hui mon malheur importune,
Vivez, amis! vivez en paix.

André Chénier.

La jeune captive.

L'épi naissant mûrit de la faulx respecté ;
Sans crainte du pressoir, le pampre, tout l'été,
Boit les doux présens de l'aurore ;

Et moi, comme lui belle, et jeune comme lui,
Quoique l'heure présente ait de trouble et d'ennui,
Je ne veux point mourir encore.

Qu'un stoïque aux yeux secs vole embrasser la mort,
Moi je pleure et j'espère; au noir souffle du nord,
Je plie et relève ma tête.

S'il est des jours amers, il en est de si doux!
Hélas! quel miel jamais n'a laissé de dégoûts?
Quelle mer n'a point de tempête ?

L'illusion féconde habite dans mon sein.
D'une prison sur moi les murs pèsent en vain ;
J'ai les ailes de l'espérance:
Échappée aux réseaux de l'oiseleur cruel,
Plus vive, plus heureuse, aux campagnes du ciel
Philomèle chante et s'élance.

Est-ce à moi de mourir! Tranquille je m'endors,

Et tranquille je veille; et ma veille aux remords
Ni mon sommeil ne sont en proie.

Ma bien-venue au jour me rit dans tous les yeux;
Sur des fronts abattus, mon aspect dans ces lieux
Ranime presque de la joie.

Mon beau voyage encore est si loin de sa fin!
Je pars, et des ormeaux, qui bordent le chemin
J'ai passé les premiers à peine.

Au banquet de la vie à peine commencé
Un instant seulement mes lèvres ont pressé
La coupe en mes mains encor pleine.

Je ne suis qu'au printemps, je veux voir la moisson:
Et, comme le soleil, de saison en saison,
Je veux achever mon année.

Brillante sur ma tige et l'honneur du jardin,
Je n'ai vu luire encor que les feux du matin ;
Je veux achever ma journée.

O mort! tu peux attendre; éloigne, éloigne-toi;
Va consoler les coeurs que la honte, l'effroi,
Le pâle désespoir dévore.

Pour moi Palès *) encore a des asiles verts;
Les amours des baisers, les Muses des concerts;
Je ne veux pas mourir encore.

Ainsi, triste et captif, ma lyre toutefois
S'éveillait; écoutant ces plaintes, cette voix,
Ces voeux d'une jeune captive,

Et secouant le joug de mes jours languissans,
Aux douces lois des vers je pliais les accens

*) La déesse des bergers et des troupeaux.

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