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Comme l'agneau qui passe où sa mère a passé,
Imiter des mortels l'immortelle folie?

L'un cherche sur les mers les trésors de Memnon, Et la vague engloutit ses voeux et son navire; Dans le sein de la gloire où son génie aspire, L'autre meurt enivré par l'écho d'un vain nom.

Avec nos passions, formant sa vaste trame,
Celui-là fonde un trône, et monte pour tomber;
Dans des piéges plus doux, aimant à succomber
Celui-ci lit son sort dans les yeux d'une femme.

Le paresseux s'endort dans les bras de la faim;
Le laboureur conduit sa fertile charrue;
Le savant pense et lit, le guerrier frappe et tue;
Le mendiant s'assied sur les bords du chemin.

Où vont-ils cependant? Ils vont où va la fueille
Que chasse devant lui le souffle des hivers ;
Ainsi vont se flétrir dans leurs travaux divers
Ces générations que le tems sème et cueille.

Ils luttaient contre lui, mais le tems a vaincu;
Comme un fleuve engloutit le sable de ces rives,
Je l'ai vu dévorer leurs ombres fugitives.

Ils sont nés, ils sont morts; Seigneur, ont-ils vécu?

Pour moi, je chanterai le maître que j'adore,
Dans le bruit des cités, dans la paix des déserts,
Couché sur le rivage, ou flottant sur les mers,

Au déclin du soleil, au réveil de l'aurore.

La terre m'a crié: Qui donc est le Seigneur?
Celui dont l'âme immense est partout répandue,
Celui dont un seul pas mesure l'étendue,
Celui dont le soleil emprunte sa splendeur;

Celui qui du néant a tiré la matière,
Celui qui sur le vide a fondé l'univers,
Celui qui sans rivage a renfermé les mers,
Celui qui d'un regard a lancé la lumière;

Celui qui ne connaît ni jour ni lendemain,
Celui qui de tout tems de soi-même s'enfante,
Qui vit dans l'avenir comme à l'heure présente,
Et rappelle les tems échappés de sa main:

C'est lui, c'est le Seigneur: que ma langue rédise
Les cent noms de sa gloire aux enfans des mortels:
Comme la harpe d'or pendue à ses autels,

Je chanterai pour lui, jusqu'à ce qu'il me brise...

Lamartine. (Harmonie IX.)

L'athée.

Je n'y parviendra pas; il a beau dans sa course

Se serrer à deux mains le coeur,
Comme pour comprimer la source
De l'intarissable douleur;

La douleur! elle gonfle, elle bat ses artères,
Elle l'étreint de tous côtés,

Dans les lieux les plus solitaires,

Sur les bords les plus frequentées.

Qu'il aille au haut des monts, qu'il aille sur la crête

Du roc le plus retentissant,

Dans le calme ou dans la tempête,

Sur la terre ou sur l'océan,

Il entendra toujours le grand mot qu'il redoute,

Partout, à toute heure, en tout lieu;

Les pierres même de la route

Lui crîront le nom de son Dieu.

Oh! oui, c'est en vain, qu'il espère,
Qu'il implore un sommeil sans fin;
Une voix sourde à sa prière
Lui jette le mot de demain:
C'est en vain qu'il se réfugie
Dans les ténèbres de l'orgie,
Dans les abîmes de la nuit :
Comme une ardente chasseresse,
Qui toujours le traque et le presse,
Son immortalité le suit.

Et quand sa paupière alourdie
Se ferme au soleil d'içi-bas,
Quand sa voix mourante mendie
Un jour de plus, qu'il n'aura pas,
Oh! c'est là qu'il tremble et recule,
C'est là, qu'un affreux crépuscule
Lui fait pousser un cri profond:
„A moi, j'ai peur! à moi, je tombe!"
Car il s'aperçoit, que la tombe,
Froide au bord, est brûlante au fond.

Turquety.

La prière.

Son regard humble et doux est baissé vers la terre;
Elle aime des autels le degré solitaire:

Son coeur, comme l'encens, brûle dans le saint lieu;
Souvent, dans sa fureur, Dieu se lève et menace :
Le pécheur va périr... elle s'offre en sa place,
Et calme le courroux de Dieu.

C'est elle dont la voix anime la nature;
Libre, on la voit errer dans le vague murmure
Des bois que le zéphir agite mollement,

Dans les parfums des fleurs qui montent en silence,
Dans les nuages purs qu'un vent léger balance
Aux bords lointains du firmament.

Elle suit dans les airs les brises passagères;
Elle s'élève à Dieu dans les vapeurs légères
Que la terre arrosée exhale de son sein;
Des sages inspirés elle accorda la lyre;
Et dans les cieux encor c'est elle qui soupire
Sur la harpe du séraphin.

Souvent des monts altiers elle gravit les cimes;
Elle aime des vieux rocs, ces barrières sublimes,
Du roi de l'univers mystérieux autels.

Là, seule devant Dieu, le front dans la poussière,
Des pleurs du repentir elle inonde la pierre,

Et s'immole pour les mortels.

C'est là, parmi ces rocs, au bord des lacs immenses, Que j'écoutais, enfant, du sein des longs silences, Ses chants harmonieux s'élever dans les airs:

C'est là que, sur ses pas, je volais loin du monde Chercher les plaisirs purs, et cette paix profonde Qui repose dans les déserts.

Seigneur, disais-je alors, que suis-je en ta présence ?... „Les éléments soumis accourent en silence „Du bout de l'univers se ranger sous ta loi. Les mondes que ta main a jetés dans l'espace, La terre et les mortels qui couvrent sa surface, Grand Dieu! que sont-ils devant toi?..."

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Je disais, et tes saints te portaient ma prière ;
Alors de plaisirs purs tu semais ma carrière;
Alors comme au bonheur s'ouvrant à ton amour,
Mon coeur était en paix: ainsi la fleur timide,
Dans les airs parfumés levant sa tête humide,

S'entr'ouvre aux rayons d'un beau jour.

...

Dans quel ravissement mon âme était plongée !...
Le temps a fait un pas la terre s'est changée.
Soumise à tes décrets, j'ai vécu pour souffrir:
Que de songes détruits ont trompé mes années!
Que de liens rompus! que de fleurs moissonnées !
Que de tombeaux j'ai vu s'ouvrir!

Mais je n'ai pas cessé de bénir ta justice:
Je n'ai point, ô mon Dieu, repoussé le calice
Que ta main équitable a préparé pour moi!
Je n'ai point déserté le seuil de ta demeure,

Et du fond de l'exil, en tous lieux, à toute heure,

Ma douleur s'exhale vers toi!

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