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Quand j'étais malheureux, j'étais triste et maussade,
J'allais au fond des bois, rêveur, le coeur malade,
Pleurer. C'était pitié! J'aimais voir l'eau couler,
Et briller ses flots purs, et mes pleurs les troubler.

Mais maintenant je suis heureux, gai, sociable;
J'ai l'oeil vif et le front serein;

je suis aimable. Le ruisseau peut courir à l'aise et murmurer Dans son onde à l'écart je n'irai point pleurer.

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Quand j'étais malheureux, souvent, lassé du monde,
Je m'abîmais au sein d'une extase profonde;
Dans un ciel de mon choix mes sens étaient ravis:
Indicibles plaisirs de longs regrets suivis !

Maintenant j'ai quitté les folles rêveries;
C'est pour herboriser que j'aime les prairies.
A rêver quelquefois si je semble occupé,
C'est qu'un passage obscur, en lisant, m'a frappé.
Quand j'étais malheureux, je voulais aimer, vivre:
Maintenant je n'ai plus de temps, je fais un livre.
Vous qui savez des chants pour calmer la douleur,
Pour calmer la douleur ou lui prêter des charmes,
Quand vos chants du malheur auront tari les larmes,
Consolez-moi de mon bonheur.

J. J. Ampère.

Le fleuve.

Soit que l'onde bouillonne et se creuse, en grondant, Parmi les durs rochers un lit indépendant;

Soit qu'elle suive en paix une pente insensible,
Un pouvoir inconnu vers un but invisible
L'appelle; elle obéit, et, torrent ou ruisseau,
Ne verra jamais les fleurs de son berceau.
Le fleuve réfléchit dans sa course limpide
Et l'immobile azur et l'orage rapide;

Les chants joyeux d'amour, les cris des matelots,
Rien ne l'arrête; il passe, arrosant de ses flots
Tantôt de frais gazons, des bois, de beaux rivages,
Tantôt d'impurs marais et des landes sauvages;
Puis apparaît soudain la sombre et vaste mer,
Et le fleuve gémit et tombe au gouffre amer!

Ainsi, cher Jule, ainsi nos douteuses journées,
Le front chargé de deuil, ou de fleurs couronnées,
S'écoulent promptement, jusqu'au jour redouté,
Où, pour les engloutir, s'ouvre l'éternité!

Emile Deschamps.

Rêveries.

J'aime à voir dans le ciel les nuages voler,
Et sous une brise légère

La cime des forêts doucement s'ébranler,
Les blés en tourbillons se heurter et rouler,
Comme des escadrons de guerre.

J'aime à voir sous mes pieds, j'aime à voir sous ma

main

Ces fleurs qui croissent sans culture;

Et fier de ma conquête, à surprendre en chemin,
Sous leur robe d'émail, d'albâtre ou de carmin,
Quelques secrets de la nature.

Surtout j'aime à rêver, à marcher, à m'asseoir
Dans leur brillante colonie,

A contempler des nuits le magique encensoir,
Ce blanc lychnis qui n'a de parfums que le soir;
Triste symbole du génie!

J'aime sur l'églantier ces insectes dorés,

Guerriers tout armés, dont les races

Habitent d'une fleur les remparts diaprés,
Agitant au soleil et leurs dards azurés,
Et le bronze de leurs cuirasses.

J'aime à les voir, groupés sur leur soyeux parquet,
De retour après leurs maraudes,

Scintiller dans la rose où se tient leur banquet, Comme on voit dans un bal scintiller un bouquet Et de saphirs et d'émeraudes.

Comme un matin, pour eux, est toute une saison,
La troupe se hâte, et butine,

Se soumettant au sort, changeant de garnison,
Quand le temps destructeur a semé le gazon
Des débris de leur églantine.

Qu'importe! n'ont-ils pas des palais à choisir?
A midi sur les eaux s'étale

La fleur du nénuphar, ouverte au doux loisir ;
Là, chacun d'eux vivra, comme un puissant visir
Dans une pompe orientale.

Là, modérant les feux d'un ciel éblouissant,
Sous le nacre de la corolle

Murmure à petit bruit quelque flot caressant,
Azuré, lumineux, qui glisse en les berçant
Dans leur odorante gondole.

De leurs rames de gaze agitant l'air brumeux,
Là, de bleuâtres Demoiselles,

Fêtant du nénuphar les hôtes bienheureux,
Éventails animés, se balancent sur eux,
Avec leurs frémissantes ailes.

Enivrés à demi dans leur palais mouvant,
Couchés sur de molles hermines,

Inondés de parfums, je les ai vus souvent,
Fatigués de leurs jeux, dormir en s'abreuvant
Dans les flots d'or des étamines.

Ainsi sur les étangs les brillants Charançons,
La Cétoine, la Cicindelle,

La rouge Criocère et le sylphe aux doux sons,
N'interrompent jamais leurs ébats, leurs chansons,
Que sous le bec de l'hirondelle!

Léger, brillant comme eux, mais plus sûr du butin, Le Bupreste, aux guerres furtives,

Renverse aussi parfois leur rempart incertain,
Transforme en champ de mort leur salle de festin,
Et fait son repas des convives.

Car chacun ici-bas a sa part de malheurs :
Qui combat, risque les défaites.

Le bonheur a son terme, et le cri des douleurs,

Comme dans les cités, retentit dans les fleurs,
La mort est de toutes les fêtes.

Saintine.

Repos de l'âme.

C'en est fait, j'ai quitté les désirs de ce monde,
Comme un vieux vêtement que les vers ont rongé;
Et mes yeux dessillés, perçant la nuit profonde,
Jusques au sein de Dieu sans terreur ont plongé;
Ah! quel est ce bruit sourd de saintes harmonies ?
Qu'entends-je dans les cieux, dans les rochers loin-
tains?...

Avais-je donc, mon Dieu, dans mon âme deux vies,
Une pour cette argile et l'autre pour tes saints?
Hier encor courbé sous l'obscure poussière,
Je ne comprenais rien à ton mystique nom;
Je priai, néanmoins, et ton regard de père

A fait descendre en moi ta bénédiction;

Elle est là.... Je la sens comme un parfum céleste
Qui s'attache en cristal au calice des fleurs,

Et de l'être charnel en mon coeur il ne reste
Qu'un tardif repentir et de vieilles douleurs!...
L'atmosphère aujourd'hui me semble moins pesante;
J'ai trouvé le secret des hymnes de l'oiseau ;
Ils résonnent en moi comme une voix aimante,
Comme un chant oublié que j'appris au berceau!...
Tel qu'un homme éveillé par un songe pénible
S'arrache en frémissant des bras du cauchemar,

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