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Tu laisses par moments ta chevelure sombre
Caresser le lac attristé.

Mais c'est avec lenteur que tes rameaux s'étendent Près des humides bords confidents de ton deuil: Linceul mystérieux, sur l'onde ils se répandent Comme un cyprès sur un cercueil.

Le jour ne perce point ton épaisse feuillée,
Ta fraîche obscurité résiste à tous ses feux:
Ainsi la joie effleure une âme désolée,
Sourde à l'ivresse des heureux.

Sous ton ombrage aimé ma pensée incertaine
Oublie et l'avenir et ses vagues ennuis:
Un souvenir plus doux quelquefois me ramène
Vers des temps presque évanouis.

Au travers les rameaux j'entrevois une image;
Un céleste regard me suit avec amour;
Et seul, interrompant ces songes d'un autre âge
Que j'osai caresser un jour,

Un vent inattendu de son haleine amie
Fait retentir longtemps le feuillage froissé,
Et porte le réveil à mon âme endormie
Dans les visions du passé.

Glissez, rameaux légers, sur ma tête inclinée ;
Rapide voyageur, je n'ai que peu d'instants;
Doux saule, si ta vue aujourd'hui m'est donnée,

Doux saule, est-ce encor pour longtemps?

Quand viendra l'heure sombre où, tout-à-coup glacée, L'existence s'arrête au souffle du trépas,

Où l'oeil est sans regard, où le coeur sans pensée Ne chérit plus rien ici-bas;

Vous frémirez encor sur mon front immobile, Rameaux flottants du saule, ombrages suspendus : Alors je dormirai... plus pâle et plus tranquille... Mais vous ne m'éveillerez plus.

Edouard Turquety.

Rêverie.

Encor si l'on savait le secret de la tombe:
Si l'ame s'élevait ainsi qu'une colombe
A travers le ciel bleu, vers cette immensité
Où Dieu jouit de tout et de l'éternité!
Si l'ame, se trouvant sous la forme d'un ange,
S'enivrait à jamais de bonheurs sans mélange;
Si, rejetant la coupe où l'on boit tant de fiel,
Les âmes qui s'aimaient se renvoyaient au ciel!
Si des mondes roulants l'ineffable harmonie,
La majesté de Dieu, sa puissance infinie,
L'orgueil d'être immortel, de voir créer sans fin,
L'unir son chant d'amour au chant du séraphin,
Si les plaisirs sacrés du céleste domaine,

Qui n'auraient point de mot dans toute langue humaine,

Dont notre esprit a soif et qu'il ne conçoit pas,
Se montraient devant nous au-delà du trépas !

Oui, j'en crois ce besoin que Dieu mit en notre âme, Ce vague instinct des cieux, qui m'attire et m'enflamme,

Ce désir éthéré qui n'a rien d'ici bas,

Il est un autre monde un terme nos combats:

Une fête éternelle, où Dieu même convie,
Un bonheur indicible, un grand but à la vie,
Un sublime repos aux élans de l'esprit,
Un amour, Eliza, qui jamais ne tarit;
Un port aux affligés, libres de toute crainte,
Devant le Dieu de tous, une égalité sainte,
Des prix à la vertu, des regrets aux pervers,
Un culte universel au Dieu de l'univers.

G. Drouineau.

Les feuilles de saule.

L'air était pur; un dernier jour d'automne
En nous quittant arrachait la couronne
Au front des bois;

Et je voyais, d'une marche suivie,
Fuir le soleil, la saison et ma vie,
Tout à la fois.

Près d'un vieux tronc, appuyée en silence,
Je repoussais l'importune présence

Des jours mauvais ;

Sur l'onde froïde où l'herbe encor fleurie
Tombait sans bruit quelque feuille flétrie,
Et je rêvais!...

Au saule antique, incliné sur ma tête,
Ma main enlève, indolente et distraite,
Un vert rameau.

Puis j'effeuillai sa dépouille légère,
Suivant des yeux sa course passagère
Sur le ruisseau.

De mes ennuis jeu bizarre et futile!
J'interrogeais chaque débris fragile
Sur l'avenir.

Voyons, disais-je à la feuille entraînée,
Ce qu'à ton sort ma fortune enchaînée
Va devenir.

Un seul instant je l'avais vue à peine,
Comme un esquif que la vague promène,
Voguer en paix;

Soudain le flot la rejette au rivage,
Ce léger choc décida son naufrage..........
Je l'attendais !....

Je fie à l'onde une feuille nouvelle,
Cherchant le sort que pour mon luth fidèle
J'osais prévoir.

Mais vainement j'espérais un miracle;
Un vent rapide emporta mon oracle
Et mon espoir.

Sur cette rive où ma fortune expire,
Où mon talent sur l'aile du zéphire
S'est envolé,

Vais-je exposer sur l'élément perfide

Un voeu plus cher ?... Non, non, ma main timide

A reculé.

Mon faible coeur, en blâmant sa faiblesse,
Ne put bannir une sombre tristesse,
Un vague effroi :

Un coeur malade est crédule aux présages;
Ils amassaient de menaçants nuages

Autour de moi.

Le vert rameau de mes mains glisse à terre.
Je m'éloignai pensive et solitaire,

Non sans effort;

Et dans la nuit mes songes fantastiques,
Autour du saule aux feuilles prophétiques
Erraient encor.

Mme Amable Tastu.

Le bonheur.

Mes amis ont raison, j'aurais tort, en effet, De me plaindre; en tous points mon bonheur est parfait.

J'ai trente ans, je suis libre, on m'aime assez per

sonne

Ne me hait; ma santé, grâce au ciel! est fort bonne ;
L'étude, chaque jour, m'offre un plaisir nouveau,
Et justement le temps est aujourd'hui très beau.

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