Page images
PDF
EPUB

Puis plongeait la moitié de sa sanglante image,
Comme un navire en feu qui sombre à l'horizon;

Et la moitié du ciel pâlissait, et la brise
Défaillait dans la voile, immobile et sans voix,
Et les ombres couraient, et sous leur teinte grise
Tout sur le ciel et l'eau s'effacait à la fois;

Et dans mon âme, aussi pâlissant à mesure,
Tous les bruits d'ici-bas tombaient avec le jour,
Et quelque chose en moi, comme dans la nature,
Pleurait, priait, souffrait, bénissait tour à tour!

Et vers l'occident seul, une porte éclatante
Laissait voir la lumière à flots d'or ondoyer,
Et la nue empourprée imitait une tente
Qui voile sans l'éteindre un immense foyer;

Et les ombres, les vents, et les flots de l'abîme,
Vers cette arche de feu tout paraissait courir,
Comme si la nature et tout ce qui l'anime
En perdant la lumière avaient craint de mourir !

La poussière du soir y volait de la terre,
L'écume à blancs flocons sur la vague y flottait;
Et mon regard long, triste, errant, involontaire,
Les suivait, et de pleurs sans chagrin s'humectait.

Et tout disparaissait; et mon âme oppressée
Restait vide et pareille à l'horizon couvert,
Et puis il s'élévait une seule pensée,
Comme une pyramide au milieu du désert!

O lumière! où vas-tu? Globe épuisé de flamme,
Nuages, aquilons, vagues, où courez-vous ?

Poussière, écume, nuit! Vous, mes yeux! toi, mon âme!
Dites, si vous savez, où donc allons-nous tous ?

A toi, grand Tout! dont l'astre est la pâle étincelle, En qui la nuit, le jour, l'esprit, vont aboutir!

Flux et reflux divin de vie universelle,

Vaste océan de l'Être où tout va s'engloutir!...

Alph. de Lamartine.

Le golfe de Baïa.

Vois-tu comme le flot paisible
Sur le rivage vient mourir?
Vois-tu le volage zéphyr

Rider, d'une haleine insensible,
L'onde qu'il aime à parcourir?
Montons sur la barque légère
Que la main guide sans efforts,
Et de ce golfe solitaire

Rasons timidement les bords.

Loin de nous déjà fuit la rive:
Tandis que d'une main craintive
Tu tiens le docile aviron,
Courbé sur la rame bruyante,
Au sein de l'onde frémissante
Je trace un rapide sillon.

Dieu! quelle fraîcheur on respire!
Plongé dans le sein de Téthys,
Le soleil a cédé l'empire

A la pâle reine des nuits;

Le sein des fleurs demi-fermées
S'ouvre, et de vapeurs embaumées
En ce moment remplit les airs;
Et du soir la brise légère

Des plus doux parfums de la terre
A son tour embaume les mers.

Quels chants sur ces flots retentissent?
Quels chants éclatent sur ces bords?
De ces doux concerts qui s'unissent
L'écho prolonge les accords.
N'osant se fier aux étoiles,

Le pêcheur, repliant ses voiles,
Salue, en chantant, son séjour;
Tandis qu'une folle jeunesse

Pousse au ciel des cris d'allégresse,
Et fête son heureux retour.

Mais déjà l'ombre plus épaisse
Tombe et brunit les vastes mers;
Le bord s'efface, le bruit cesse,
Le silence occupe les airs.
C'est l'heure où la mélancolie
S'assied pensive et recueillie
Aux bords silencieux des mers,
Et, méditant sur les ruines,

Contemple au penchant des collines
Ce palais, ces temples déserts.

O de la liberté vieille et sainte patrie!
Terre autrefois féconde en sublimes vertus,
Sous d'indignes Césars* maintenant asservie,
Ton empire est tombé, tes héros ne sont plus !
Mais dans ton sein l'âme agrandie

Croit sur leurs monuments respirer leur génie,
Comme on respire encor dans un temple aboli
La majesté du dieu dont il était rempli.

Mais n'interrogeons pas vos cendres généreuses,
Vieux Romains, fiers Catons, mânes des deux Brutus !
Allons redemander à ces murs abattus

Des souvenirs plus doux, des ombres plus heureuses.

Horace, dans ce frais séjour,

Dans une retraite embellie
Par le plaisir et le génie,
Fuyait les pompes de la cour;
Properce y visitait Cynthie,

Et sous les regards de Délie

Tibulle y modulait les soupirs de l'amour.
Plus loin, voici l'asile où vint chanter le Tasse,
Quand, victime à la fois du génie et du sort,
Errant dans l'univers, sans refuge et sans port,

La pitié recueillit son illustre disgrâce.

Non loin des mêmes bords, plus tard il vint mourir; La gloire l'appelait, il arrive, il succombe:

Ceci était écrit en 1813.

La palme qui l'attend devant lui semble fuir,
Et son laurier tardif n'ombrage que sa tombe.
Colline de Baïa! poétique séjour !
Voluptueux vallon qu'habita tour à tour

Tout ce qui fut grand dans le monde,
Tu ne retentis plus de gloire ni d'amour.
Pas une voix qui me réponde,

Que le bruit plaintif de cette onde,
Ou l'écho réveillé des débris d'alentour!

Ainsi tout change, ainsi tout passe;
Ainsi nous-mêmes nous passons,
Hélas! sans laisser plus de trace
Que cette barque où nous glissons
Sur cette mer où tout s'efface.

Alph. de Lamartine.

Le soir.

Le soir ramène le silence.
Assis sur ces rochers déserts,
Je suis dans le vague des airs
Le char de la nuit qui s'avance.

Vénus se lève à l'horizon;

A mes pieds l'étoile amoureuse,
De sa lueur mystérieuse
Blanchit les tapis de gazon.

De ce hêtre au feuillage sombre
J'entends frissonner les rameaux:

« PreviousContinue »