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C'est toujours par la mort, que Dieu s'unit aux rois; Leur couronne dorée a pour faîte sa croix,

Son temple est pavé de leurs tombes.

Quoi! hauteur de nos tours, splendeur de nos palais, Napoléon, César, Mahomet, Périclès,

Rien, qui ne tombe et ne s'efface!

Mystérieux abîme où l'esprit se confond!

A quelques pieds sous terre un silence profond,
Et tant de bruit à la surface!

Rêves.

Amis, loin de la ville,

Loin des palais de roi,

Loin de la cour servile,

Loin de la foule vile,
Trouvez-moi! trouvez-moi!

Aux champs, où l'âme oisive
Se recueille en rêvant,
Sur une obscure rive
Où du monde n'arrive
Ni le flot, ni le vent,

Quelque asile sauvage,
Quelque abri d'autrefois,
Un port sur le rivage,
Un nid sous le feuillage,
Un manoir dans les bois !

Victor Hugo.

Trouvez-le-moi bien sombre,
Bien calme, bien dormant,
Couvert d'arbres sans nombre,
Dans le silence et l'ombre
Caché profondément.

Que là, sur toute chose,
Fidèle à ceux, qui m'ont,
Mon vers plane, et se pose
Tantôt sur une rose,

Tantôt sur un grand mont.

Qu'il puisse avec audace
De tout noeud détaché,
D'un vol que rien ne lasse,
S'égarer dans l'espace
Comme un oiseau lâché.

On croit sur la falaise,
On croit dans les forêts,
Tant on respire à l'aise,
Et tant rien ne nous pèse,
Voir le ciel de plus près!

Là tout est comme un rêve;
Chaque voix a des mots,
Tout parle, un chant s'élève
De l'onde sur la grève,

De l'air dans les rameaux.

Que, l'été, la charmille

Me dérobe un ciel bleu;

Que l'hiver ma famille,

Dans l'âtre assise, brille

Toute rouge au grand feu!

Dans les bois, mes royaumes,

Si le soir l'air bruit,

Qu'il semble, à voir leurs dômes,

Des têtes de fantômes

Se heurtant dans la nuit !

Ainsi, noués en gerbe,
Reverdiront mes jours
Dans le donjon superbe,
Comme une touffe d'herbe
Dans les brèches des tours.

Mais, donjon ou chaumière,
Du monde délié,

Je vivrai de lumière,

D'extase et de prière,

Oubliant, oublié !

Victor Hugo.

Méditation.

Rêver, c'est le bonheur; attendre, c'est la vie.
Courses pays lointains! voyages! folle envie !
C'est assez d'accompli le voyage éternel.
Tout chemine ici-bas vers un but de mystère.

Où va l'esprit dans l'homme? où va l'homme sur terre ?
Seigneur! Seigneur! où va la terre dans le ciel ?

Le saurons-nous jamais?

-

Qui percera vos voiles

Noirs firmamens, semés de nuages d'étoiles?
Mer, qui peut dans ton lit descendre et regarder?
Où donc est la science? où donc est l'origine?
Cherchez au fond des mers cette perle divine,
Et l'océan connu, l'âme reste à sonder!

Que faire et que penser?

-

Nier, douter, ou croire!

Carrefour ténébreux! triple route! nuit noire !
Le plus sage s'assied sous l'arbre du chemin,
Disant tout bas: j'irai, Seigneur, où tu m'envoies.
Il espère; et de loin, dans les trois sombres voies,
Il écoute, pensif, marcher le genre humain !

Victor Hugo.

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Le poète mourant.

La coupe de mes jours s'est brisée encor pleine,
Ma vie en longs soupirs s'enfuit à chaque haleine
Ni larmes ni regrets ne peuvent l'arrêter,

Et l'aile de la mort, sur l'airain qui me pleure,
En sons entrecoupés frappe ma dernière heure ;
Faut-il gémir? faut-il chanter? ...

Chantons, puisque mes doigts sont encor sur la lyre;
Chantons, puisque la mort, comme au cygne, m'inspire
Aux bords d'un autre monde n cri mélodieux.

C'est un présage heureux donné par mon génie;
Si notre âme n'est rien qu'amour et qu'harmonie,
Qu'un chant divin soit ses adieux!

La lyre en se brisant jette un son plus sublime;
La lampe qui s'éteint tout à coup se ranime,
Et d'un éclat plus pur brille avant d'expirer;
Le cygne voit le ciel à son heure dernière;
L'homme seul, reportant ses regards en arrière,
Compte ses jours pour les pleurer.

Qu'est-ce donc que des jours pour valoir qu'on les pleure?

Un soleil, un soleil; une heure, et puis une heure;
Celle qui vient ressemble à celle qui s'enfuit;
Ce qu'une nous apporte, une autre nous l'enlève :
Travail, repos, douleur, et quelquefois un rève,
Voilà le jour; puis vient la nuit.

Ah! qu'il pleure, celui dont les mains acharnées
S'attachant comme un lierre aux débris des années,
Voit avec l'avenir s'écrouler son espoir!

Pour moi, qui n'ai point pris racine sur la terre,
Je m'en vais sans effort comme l'herbe légère
Qu'enlève le souffle du soir.

Le poète est semblable aux oiseaux de passage,
Qui ne bâtissent point leurs nids sur le rivage,
Qui ne se posent pas sur les rameaux des bois;
Nonchalamment bercés sur le courant de l'onde,
Ils passent en chantant loin des bords; et le monde
Ne connait rien d'eux, que leur voix.

Jamais aucune main sur la corde sonore

Ne guida dans ses jeux ma main novice encore.
L'homme n'enseigne pas ce qu'inspire le ciel ;

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