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Quand je verrais son globe errant et solitaire,
Flottant loin des soleils, pleurant l'homme détruit
Se perdre dans les champs de l'éternelle nuit;
Et quand, dernier témoin de ces scènes funèbres,
Entouré du chaos, de la mort, des ténèbres,
Seul je serais debout: seul, malgré mon effroi,
Être infaillible et bon! j'éspérerais en toi,
Et certain du retour de l'éternelle aurore,
Sur les mondes détruits je t'attendrais encore !
Alph. de Lamartine.

Pensée des morts.

Quoique jeune sur la terre,
Je suis déjà solitaire

Parmi ceux de ma saison;

Et quand je dis en moi-même :

Où sont ceux que ton coeur aime?

Je regarde le gazon.

Leur tombe est sur la colline,

Mon pied la sait; la voilà!
Mais leur essence divine,
Mais eux, Seigneur, sont-ils là?
Jusqu'à l'indien rivage

Le ramier porte un message
Qu'il rapporte à nos climats;

La voile passe et repasse,
Mais de son étroit espace
Leur ame ne revient pas.

Ah! quand les vents de l'automne
Sifflent dans les rameaux morts,
Quand le brin d'herbe frissonne,
Quand le pin rend ses accords,
Quand la cloche des ténèbres
Balance ses glas funèbres,
La nuit, à travers les bois,
A chaque vent qui s'élève,
A chaque flot sur la grève,

Je dis N'es-tu pas leur voix?

:

C'est une mère ravie

A ses enfants dispersés,

Qui leur tend de l'autre vie
Ces bras qui les ont bercés;
Des baisers sont sur sa bouche,
Sur ce sein qui fut leur couche
Son coeur les rappelle à soi;
Des pleurs voilent son sourire,
Et son regard semble dire:
Vous aime-t-on comme moi?

C'est une jeune fiancée,

Qui, le front ceint du bandeau,

N'emporta qu'une pensée

De sa jeunesse au tombeau;

Triste, hélas! dans le ciel même, Pour revoir celui qu'elle aime

Elle revient sur ses pas,

Et lui dit: Ma tombe est verte!

Sur cette terre déserte

Qu'attends-tu? Je n'y suis pas !

C'est un ami de l'enfance

Qu'aux jours sombres du malheur Nous prêta la providence

Pour appuyer notre coeur.

Il n'est plus; notre ame est veuve,
Il nous suit dans notre épreuve
Et nous dit avec pitié:

Ami, si ton ame est pleine
De ta joie ou de ta peine,
Qui portera la moitié?

C'est l'ombre pâle d'un père
Qui mourut en nous nommant;
C'est une soeur, c'est un frère,
Qui nous devance un moment;
Sous notre heureuse demeure,
Avec celui qui les pleure,
Hélas! ils dormaient hier!
Et notre coeur doute encore,
Que le ver déjà dévore
Cette chair de notre chair!

L'enfant dont la mort cruelle
Vient de vider le berceau,

Qui tomba de la mamelle
Au lit glacé du tombeau,
Tous ceux enfin dont la vie,

Un jour ou l'autre ravie,

Emporte une part de nous,
Murmurent sous la poussière:
Vous qui voyez la lumière,

Vous souvenez-vous de nous?

Ah! vous pleurer est le bonheur suprême,
Mânes chéris de quiconque a des pleurs!
Vous oublier, c'est s'oublier soi-même :
N'êtes-vous pas un débris de nos coeurs?

En avançant dans notre obscur voyage,
Du doux passé l'horizon est plus beau;
En deux moitiés notre ame se partage,
Et la meilleure appartient au tombeau.

Dieu du pardon! leur Dieu! Dieu de leurs pères !
Toi que leur bouche a si souvent nommé !
Fntends pour eux les larmes de leurs frères !
Prions pour eux, nous qu'ils ont tant aimé !

Ils t'ont prié pendant leur courte vie,
Ils ont souri quand tu les as frappés!
Ils ont crié Que ta main soit bénie!
Dieu, tout espoir! les aurais-tu trompés?
Et cependant pourquoi ce long silence?
Nous auraient-ils oubliés sans retour?
N'aiment-ils plus? Ah! ce doute t'offense!
Et toi, mon Dieu! n'es-tu pas tout amour?
Mais s'ils parlaient à l'ami qui les pleure,
S'ils nous disaient comment ils sont heureux,

De tes desseins nous devancerions l'heure,
Avant ton jour nous volerions vers eux.

Où vivent-ils ? Quel astre à leur paupière
Répand un jour plus durable et plus doux?
Vont-ils peupler ces îles de lumière?
Ou planent-ils entre le ciel et nous?

Sont-ils noyés dans l'éternelle flamme?
Ont-ils perdu ces doux noms d'ici-bas,
Ces noms de soeur et d'amante et de femme ?
A ces appels ne répondront-ils pas ?

Non, non, mon Dieu! si la céleste gloire
Leur eût ravi tout souvenir humain,

Tu nous aurais enlevé leur mémoire;
Nos pleurs sur eux couleraient-ils en vain ?

Ah! dans ton sein que leur ame se noie!
Mais garde-nous nos places dans leur coeur;
Eux qui jadis ont goûté notre joie,

Pouvons-nous être heureux sans leur bonheur?
Étends sur eux la main de ta clémence,
Ils ont péché, mais le ciel est un don!
Ils ont souffert; c'est une autre innocence!
Ils ont aimé; c'est le sceau du pardon!

Alph. de Lamartine.

Stances.

Et j'ai dit dans mon coeur: Que faire de la vie? Irai-je encor, suivant ceux qui m'ont devancé,

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