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Ton âme a voyagé comme la blonde abeille,
Qui s'enivre en buvant aux bouquets des chemins.
La muse la plus fraîche a rempli ta corbeille,
Et tu jettes sur nous les fleurs à pleines mains.

Arsène Houssaye.

A Mr. Reboul de Nimes.

C'est moi, Reboul, c'est moi qui frappe à votre porte;
Vous ignorez mon nom; ouvrez toujours, n'importe.
Pauvre, je viens à vous pour demander du pain :
Mais non pas de ce pain qui nourrit le vulgaire ;
Ami, de celui-là l'homme ne manque guère:
C'est d'un autre aliment que le poète a faim.

C'est de ce pain qui rend notre âme forte et libre,
Qui fait qu'au fond du coeur la corde aimante vibre,
Que l'homme est plus soumis et plus audacieux;
De ce pain dont jamais on ne se rassasie,
Dont les divins parfums, qu'on nomme poésie,
Donnent à notre voix quelques notes des cieux.

C'est de ce pain doré, dont la pâte est pétrie
Par les Muses pour ceux qu'adopte la patrie,
Pour ceux qu'elle présente en disant: "Les voici!*
De ce pain dont le suc plus doux qu'un lait de mère
Nourrit Châteaubriand comme il nourrit Homère ;
Et de ce pain, Reboul, vous en avez aussi.

Boulanger par hasard, poète par nature,

Chez vous l'âme et le corps trouvent leur nourriture;

Après une pratique, il vient un courtisan.

Pourquoi comme les rois le soir êtes-vous triste ?
Pourquoi? - · C'est que le soir vous devenez artiste;
Le jour vous êtes gai, vous êtes artisan.

O maître, ouvrez-moi donc; nommez-moi votre frère;
Et m'élevant alors jusque dans votre sphère,
Vous m'apprendrez l'accord sonore et triomphant
Qui dans le monde au loin porta votre génie,
Et fit monter si haut, d'un souffle d'harmonie,
Le boulanger de Nîme avec l'Ange et l'Enfant."

L'Ange et l'Enfant, si sainte et si touchante his

toire,

Qui dit qu'un séraphin, mystère doux à croire,
Descend sur un berceau comme sur un autel,
Qui des mères peut-être adoucit la souffrance,
Qui nous fit dans la mort trouver une espérance,
Et qui du premier coup vous rendit immortel.

Mais si le sort vous place au front une couronne,
Si la muse vous met près d'elle sur son trône,
Aux moeurs de votre état restez fidèle encor :
C'est mal de renier l'écusson de famille,

Soit qu'il porte deux pains en croix sous une grille, Ou bien un champ d'azur et trois fleurs de lis d'or. Le comte de Resseguier.

Ma chambre.

Qu'est-ce donc à présent ce qu'on nomme

une fête ?

C'est un tumulte, un bruit à vous fendre la tête;

C'est un lustre au plafond comme un soleil aux cieux,
Et des milliers d'éclairs à vous crever les yeux;
Ce sont mille propos, et pas une pensée;
C'est l'heure du bonheur en tourments dépensée.

Oh! que chez moi je trouve un bien-être plus sûr !
Le portrait de ma mère incliné sur le mur
Me tient sous son regard; et cette image aimée
Protége mes loisirs dans ma chambre fermée.
Mes secrets douloureux j'aime à les lui donner,
J'aime ce souvenir qui semble pardonner.
J'aime mes arts à moi: musique, poésie,
Mon chapelet de Rome et mes coussins d'Asie.
Rêvant alors de tout, et de moi-même un peu,
Je pense à ma famille, à mes amis, à Dieu.
Ce bonheur par degrés s'éteint comme une flamme,
Mais il laisse longtemps un rayon dans mon âme.

Demandez à demain, il vous le dira, lui,
Ce qui vous restera des fêtes d'aujourd'hui !

Le comte de Resseguier.

Une fille du ciel.

Au milieu de la foule et des bruits de la terre,
Hélas! elle a passé, rapide et solitaire,

Comme le ruisseau clair et pur

Qui, sous les peupliers de sa rive isolée,

Murmure et court, sans nom, à travers la vallée,
Se perdre au sein d'un lac d'azur.

Belle de cette grâce où le ciel se révèle,
Semant partout l'amour et l'espoir autour d'elle,
Séchant les larmes sur ses pas,

Aux yeux des malheureux elle était apparue
Comme une déité favorable, accourue
Pour les secourir ici-bas.

Mais loin du sol natal pauvre fleur exilée,
Transplantée en ce monde, infertile vallée,
Où tout, hélas! vient se flétrir,

Loin d'un ciel qui, jaloux de l'éclat de ses charmes,
Aimait à lui verser ses rayons et ses larmes,

Comment eût-elle pu fleurir!

Bientôt des aquilons sans relâche battue,
Frêle plante, on la vit, sous leurs coups abattue,
Languir: le regret dévorant,

Comme le ver caché sous un bouton de rose,
Flétrit et dessécha son visage si rose,

Et sa lèvre au souffle odorant

Sa vie alors ne fut qu'une souffrance lente,
Que le cri douloureux d'une âme impatiente
Qui, d'une aile captive encor,

Bat ses chaînes, voyant l'aube céleste éclore,
Et vers ces champs lointains qu'un jour si pur colore,
Cherche en vain à prendre l'essor.

Aussi quand du départ l'heure fut arrivée,
Voyant enfin sa tâche ici-bas achevée,

La joie éclata dans ses yeux ;

Pour la première fois son pâle et doux visage

Rayonna d'un sourire, et ce fut le présage

De son prochain retour aux cieux.

Puis, s'armant de constance ainsi que d'une armure, Des mains de la douleur elle prit sans murmure

Sa coupe, et la vida d'un trait:

Puis de son voile blanc, comme pour une fête,

A l'aspect de la mort elle couvrit sa tête,

Et lui dit:

Partons, tout est prêt.

Ce fut le dernier mot que murmura sa bouche;
Son front appesanti retomba sur sa couche,
Ses yeux se fermèrent au jour.

Heureuse qui, longtemps avant le soir, comme elle,
S'endort pour s'éveiller avec l'aube éternelle,

Au sein du céleste séjour.

Eugene Faure.

L'hirondelle et le prisonnier.

Hirondelle gentille,

Voltigeant à la grille

Du cachot noir,

Vole, vole, sans crainte,

Autour de cette enceinte.

J'aime à te voir

Légère aérienne,

Dans ta robe d'ébène

Lorsque le vent

Soulève ta plume

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