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Ma mère vit le ciel et partit la première,

Et son oeil en mourant fut plein d'une lumière
Qu'on n'a point vue ailleurs.

Et puis mon premier-né la suivit, puis mon père,
Fier vétéran âgé de quarante ans de guerre,

Tout chargé de chevrons.

Maintenant ils sont là, tous trois dorment dans l'ombre, Tandis que leurs esprits font le voyage sombre

Et vont où nous irons!

Voyageur! voyage ur! quelle est notre folie!
Qui sait combien de morts à chaque heure on oublie,
Des plus chers, des plus beaux ?

Qui peut savoir combien toute douleur s'émousse,
Et combien sur la terre un jour d'herbe qui pousse
Efface de tombeaux?

Victor Hugo.

A Mr. Louis B.

Louis, quand vous irez, dans un de vos voyages, Voir Bordeaux, Pau, Bayonne et ses charmants rivages,

Toulouse la Romaine, où dans des jours meilleurs J'ai cueilli tout enfant la poésie en fleurs,

Passez par Blois. Et là, bien volontiers sans

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doute,

Laissez dans le logis vos compagnons de route,
Et tandis qu'ils joueront, riront ou dormiront,
Vous, avec vos pensers qui haussent votre front,

Montez à travers Blois cet escalier de rues

Que n'inonde jamais la Loire au temps des crues; ... Mais passez. Et sorti de la ville, au midi, Cherchez un tertre vert, circulaire, arrondi,

Que surmonte un grand arbre, un noyer, ce me semble

Comme au cimier d'un casque une plume qui tremble. Vous le reconnaîtrez, ami; car tout rêvant,

Vous l'aurez vu de loin sans doute en arrivant.

Regardez à vos pieds.

Louis, cette maison

Qu'on voit, bâtie en pierre et d'ardoise couverte,
Blanche et carrée, au bas de la colline verte,
Et qui, fermée à peine aux regards étrangers,
S'épanouit charmante entre ses deux vergers,

C'est là.

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Regardez bien: c'est le toit de mon père,
C'est ici qu'il s'en vint dormir après la guerre,
Celui que tant de fois mes vers vous ont nommé,
Que vous n'avez pas vu, qui vous aurait aimé !

Alors, ô mon ami, plein d'une extase amère,
Pensez pieusement, d'abord à votre mère,
Et puis à votre soeur, et dites: „Notre ami
Ne reverra jamais son vieux père endormi!

„Hélas! il a perdu cette sainte défense

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Qui protége la vie encore après l'enfance,

Ce pilote prudent, qui pour dompter le flot

„Prête une expérience au jeune matelot.

„Plus de père pour lui! plus rien qu'une mémoire !

Plus d'auguste vieillesse à couronner de gloire! „Plus de récits guerriers! plus de beaux cheveux

blancs

"A faire caresser par les petits enfants!
„Hélas! il a perdu la moitié de sa vie,
L'orgueil de faire voir à la foule ravie
Son père, un vétéran, un général ancien!

"

Ce foyer où l'on est plus à l'aise qu'au sien,

„Et le seuil paternel qui tressaille de joie

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Quand du fils qui revient le chien fidèle aboie!

„Le grand arbre est tombé! resté seul au vallon,
L'arbuste est désormais à nu sous l'aquilon.
"Quand l'aïeul disparaît du sein de la famille,

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Tout le groupe orphelin, mère, enfant, jeune fille, Se rallie inquiet autour du père seul,

Que ne dépasse plus le front blanc de l'aïeul.

"C'est son tour maintenant. Du soleil, de la pluie,

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On s'abrite à son ombre, à sa tige on s'appuie.

C'est à lui de veiller, d'enseigner, de souffrir,

„De travailler pour tous, d'agir et de mourir !

Victor Hugo.

La captive.

Si je n'étais captive,
J'aimerais ce pays,
Et cette mer plaintive,
Et ces champs de maïs,
Et ces astres sans nombre,

Si le long du mur sombre
N'étincelait dans l'ombre
Le sabre des spahis.

Pourtant j'aime une rive
Où jamais des hivers

Le souffle froid n'arrive
Par les vitraux ouverts.
L'été, la pluie est chaude;
L'insecte vert qui rôde
Luit, vivante émeraude,

Sous les brins d'herbe verts.

Smyrne est une princesse

Avec son beau chapel;

L'heureux printemps sans cesse

Répond à son appel,

Et, comme un riant groupe
De fleurs dans une coupe,
Dans ses mers se découpe
Plus d'un frais archipel.

J'aime ces tours vermeilles,
Ces drapeaux triomphants,
Ces maisons d'or, pareilles
A des jouets d'enfants;
J'aime, pour mes pensées
Plus mollement bercées,
Ces tentes balancées

Au dos des éléphants.

Dans ce palais de fées

Mon coeur, plein de concerts,
Croit, aux voix étouffées

Qui viennent des déserts,
Entendre les génies

Mêler les harmonies

Des chansons infinies

Qu'ils chantent dans les airs!

J'aime de ces contrées

Les doux parfums brûlants,
Sur les vitres dorées

Les feuillages tremblants,
L'eau que la source épanche
Sous le palmier qui penche,
Et la cigogne blanche

Sur les minarets blancs.

J'aime en un lit de mousses

Dire un air espagnol,

Quand mes compagnes douces,
Du pied rasant le sol,
Légion vagabonde,

Où le sourire abonde,

Font tournoyer leur ronde
Sous un rond parasol.

Mais surtout, quand la brise
Me touche en voltigeant,

La nuit, j'aime être assise,

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