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Sont plus doux dans les pleurs, tes yeux purs et

touchants

Sont plus beaux quand tu les essuies.

L'été, quand il a plu, le champ est plus vermeil,
Et le ciel fait briller plus frais au beau soleil
Son azur, lavé par les pluies!

Pleure comme Rachel, pleure comme Sara.
On a toujours souffert ou bien on souffrira.
Malheur aux insensés qui rient!

Le Seigneur vous relève alors que nous tombons.
Car il préfère encor les malheureux aux bons,
Ceux qui pleurent à ceux qui prient.

Pleure afin de savoir! Les larmes sont un don.
Souvent les pleurs, après l'erreur et l'abandon,
Raniment nos forces brisées.

Souvent l'âme, sentant, au doute qui s'enfuit,
Qu'un jour intérieur se lève dans sa nuit,
Répand de ces douces rosées.

Pleure; mais tu fais bien, cache-toi pour pleurer,
Aie un asile en toi. Pour t'en désaltérer,

Pour les savourer avec charmes,

Sous le riche dehors de ta prospérité,

Dans le fond de ton coeur, comme un fruit pour l'été,
Mets à part ton trésor de larmes.

Car la fleur, qui s'ouvrit avec l'aurore en pleurs,
Et qui fait à midi de ses belles couleurs

Admirer la splendeur timide,

Sous ses corolles d'or, loin des yeux importuns,
Au fond de ce calice où sont tous ses parfums,
Souvent cache une perle humide.

Victor Hugo.

Pour les pauvres.

Dans vos fêtes d'hiver, riches, heureux du monde,
Quand le bal tournoyant de ses feux vous inonde,
Quand partout à l'entour de vos pas vous voyez
Briller et rayonner cristaux, mirois, balustres,
Candélabres ardens, cercle étoilé des lustres,
Et la danse, et la joie au front des conviés;

Tandis qu'un timbre d'or sonnant dans vos demeures
Vous change en joyeux chant la voix grave des heures,
Oh! songez-vous parfois que, de faim dévoré,
Peut-être un indigent dans les carrefours sombres
S'arrête, et voit danser vos lumineuses ombres
Aux vitres du salon doré?

Songez-vous, qu'il est là sous le givre et la neige
Ce père sans travail, que la famine assiège?

Et qu'il se dit tout bas: Pour un seul que de biens ! A son large festin que d'amis se récrient!

Ce riche est bien heureux, ses enfants lui sourient! Rien que dans leurs jouets que de pain pour les

miens!

Et puis à votre fête il compare en son âme
Son foyer où jamais ne rayonne une flamme,

Ses enfants affamés, et leur mère en lambeau,
Et sur un peu de paille, étendue et muette
L'aïeule, que l'hiver, hélas! a déjà faite
Assez froide pour le tombeau !

Car Dieu mit ces degrés aux fortunes humaines.
Les uns vont tout courbés sous le fardeau des peines;
Au banquet du bonheur bien peu sont conviés

Tous n'y sont point assis également à l'aise.
Une loi, qui d'en bas semble injuste et mauvaise,
Dit aux uns: Jouissez! aux autres: Enviez !

Cette pensée est sombre, amère, inexorable,
Et fermente en silence au coeur du misérable,
Riches, heureux du jour, qu'endort la volupté,
Que ce ne soit pas lui, qui des mains vous arrache
Tous ces biens superflus où son regard s'attache;

Oh! que ce soit la charité!

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Donnez, riches! L'aumône est soeur de la prière.
Hélas! quand un vieillard sur votre seuil de pierre,
Tout roidi par l'hiver, en vain tombe à genoux ;
Quand les petits enfants, les mains de froid rougies,
Ramassent sous vos pieds les miettes des orgies,
La face du Seigneur se détourne de vous.

Donnez! afin que Dieu, qui dote les familles,
Donne à vos fils la force et la grâce à vos filles;
Afin que votre vigne ait toujours un doux fruit;
Afin qu'un blé plus mûr fasse plier vos granges;
Afin d'être meilleurs; afin de voir les anges

Passer dans vos rêves la nuit!

Donnez! il vient un jour où la terre nous laisse.
Vos aumones là-haut vous font une richesse.
Donnez! afin qu'on dise: Il a pitié de nous !
Afin que l'indigent, que glacent les tempêtes,
Que le pauvre qui souffre à côté de vos fêtes,
Au seuil de vos palais fixe un oeil moins jaloux.

Donnez! pour être aimés du Dieu, qui se fit homme,
Pour que le méchant même en s'inclinant vous nomme,
Pour que votre foyer soit calme et fraternel;
Donnez! afin qu'un jour, à votre heure dernière,
Contre tous vos péchés vous ayez la prière

D'un mendiant puissant au ciel!

Victor Hugo

A un voyageur.

Ami! vous revenez d'un de ces longs voyages

Qui nous font vieillir vite et nous changent en sages

Au sortir du berceau.

De tous les océans votre course a vu l'onde,
Hélas! et vous feriez une ceinture au monde

Du sillon du vaisseau.

Vous êtes fatigué, tant vous avez vu d'hommes !
Enfin vous revenez, las de ce que nous sommes,
Vous reposer en Dieu.

Triste, vous me contez vos courses infécondes,
Et vos pieds ont mêlé la poudre de trois mondes
Aux cendres de mon feu.

Or, maintenant, le coeur plein de choses profondes, Des enfants dans vos mains tenant les têtes blondes, Vous me parlez ici,

Et vous me demandez, sollicitude amère !

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Où donc ton père? où donc ton fils? où donc

Ils voyagent aussi !

ta mère ?"

Le voyage qu'ils font n'a ni soleil ni lune :
Nul homme n'y peut rien porter de sa fortune,

Tant le maître est jaloux!

Le voyage qu'ils font est profond et sans bornes :
On le fait à pas lents parmi des faces mornes,
Et nous le ferons tous !

J'étais à leur départ comme j'étais au vôtre.
En diverses saisons, tous trois, l'un après l'autre,
Ils ont pris leur essor.

Hélas! j'ai mis en terre, à cette heure suprême,
Ces têtes que j'aimais. Avare, j'ai moi-même

Enfoui mon trésor!

Je les ai vus partir. J'ai, faible et plein d'alarmes, Vu trois fois un drap noir semé de blanches larmes

Tendre ce corridor.

J'ai sur leurs froides mains pleuré comme une femme; Mais, le cercueil fermé, mon âme a vu leur âme

Ouvrir deux ailes d'or.

Je les ai vus partir comme trois hirondelles
Qui vont chercher bien loin des printemps plus fidèles
Et des étés meilleurs.

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